Citations sur Les Cinq Quartiers de l'orange (39)
Les gens âgés ont besoin de la présence des petits pour se souvenir.
A cinq heures du matin, la Loire, baignée de brume, étale son calme et sa splendeur. De l'onde frissonnante, les bancs de sable émergent dans une pâleur éthérée comme des continents perdus. Le parfum de la nuit traîne encore sur la rivière. Un rayon de soleil naissant éclabousse sa surface de luisantes jaspures d'ombre.
L'ivresse, nous déclara-t-elle au cours d'un de ses rares moments de confidence, est un crime commis contre l'arbre, contre le fruit, contre le vin lui-même. C'est un crime de lèse-société, c'est un abus de confiance, comme le viol est un abus du désir.
L'appréhension de la douleur peut, en un certain sens, être encore plus pénible et plus insupportable que la douleur elle-même.
J'avais dû naître contestataire mais, l'été de ma neuvième année, cela s'aggrava. Comme des chattes, à l'affût l'une de l'autre, ma mère et moi établissions nos territoires. Chaque contact produisait son étincelle. Chaque mot prenait des airs d'insulte. Nos conversations étaient comme autant de champs de mines.
A la mort de mon père, j'éprouvais peu de vrai chagrin. J'avais beau rechercher la tristesse, je ne découvrais en moi qu'un cœur pétrifié comme un noyau au centre d'un fruit. J'essayais de me répéter que jamais plus je ne reverrais son visage. Je l'avais déjà presque oublié de toute façon.
A part les oranges qu'elle ne supportait pas dans la maison, ma mère avait la passion des fruits. Par espièglerie, semble-t-il, elle donna à chacun de nous le nom d'un fruit utilisé dans ses recettes - Cassis, en l'honneur de son gros gâteau au coulis de cassis, Framboise pour célébrer la liqueur qu'elle fabriquait et Reinette à cause des reines-claudes qui poussaient contre la façade sud de la maison.
La vigne est cultivée avec amour du bourgeon jusqu’au fruit. Son jus est distillé, puis soumis à tout le processus de fermentation et de manipulation qui fait de lui ce qu’il est : le vin. Ce vin-là mérite sûrement beaucoup mieux que d’être ingurgité à l’excès par quelque imbécile dont la tête est pleine de stupidités. Ce vin-là mérite notre vénération. Il doit être bu dans la joie et la générosité.
(Folio, p.267)
De l'autre côté de la rue principale, là-bas, coule la Loire. Comme un généreux champ de blé, elle coule au soleil, serpent dont la peau lisse et brune est tachetée des multiples îlots et bancs de sable qui en crevent la surface.
Mais octobre, cet éphémère, qui a encore le goût sucré de la jeunesse, octobre, dans l'or cuivré de sa lumière et la pâleur diaprée de ses premiers gels, quand les feuilles se drapent de lumineuses couleurs, octobre, lui, vous raconte une tout autre histoire. C'est un enchantement, un dernier geste d'allégresse, un défi vaillant au froid qui vous assiège.