Une réflexion très stimulante sur ce qui rend la vie « bonne » et l'impact des normes sociales modernes sur la capacité de s'en approcher. Long et académique, le texte n'en reste pas moins très accessible, voire vivant, du fait de la clarté du style et des références régulières et parlantes au quotidien.
Le principal enseignement à mes yeux est annoncé dès l'introduction : tant la sociologie que l'état d'esprit ambiant tournent notre énergie et notre attention sur l'acquisition ou l'enjeu de la répartition de ressources censées nous permettre d'être mieux au monde (et pouvant y aider), mais ignorent et font perdre de vue ce qui conduit effectivement à être bien au monde.
Les nombreuses pages qui suivent valent le temps requis car elles osent chercher à identifier ce qui rend la vie bonne, puis explorent de façon éclairante de nombreux aspects de la vie moderne au regard de leur impact selon cette perspective. Il ne s'agit clairement pas d'un ouvrage de développement personnel (je suppose que cette idée horrifierait l'auteur) mais ses apports sont aussi enrichissants à titre personnel qu'au plan de la pensée sociologique ou politique.
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H. Rosa introduit le concept de résonance pour trouver un remède à l’expérience moderne aliénante de l’accélération.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Dans « Résonance », le philosophe théorise une nouvelle relation au monde comme remède à l’agitation perpétuelle et à la perte de sens du moderne.
Lire la critique sur le site : LeMonde
La qualité de la vie humaine et des rapports sociaux ne se mesure pas simplement aux ressources dont nous disposons et aux options qui s'offrent à nous, mais ne peut s'apprécier au contraire que par l'étude du type de relation au monde qui gouverne cette vie. L'idée selon laquelle la multiplication des ressources et des options est gage en soi d'amélioration de la qualité de vie est trompeuse ; tout porte à croire que cette logique d'accroissement grève de plus en plus notre rapport au monde - et qu'elle est déjà l'expression et l'émanation d'un rapport problématique au monde.
En bref, la relation au monde ne saurait se définir en soi par le type d’activités ou les domaines d’objets qu’elle met en jeu, mais seulement par l’attitude au monde et l’expérience du monde qu’elle implique. La formation et le maintien ou non d’axes de résonance constitutifs dépendent premièrement des dispositions (physiques, biographiques, émotionnelles, psychiques et sociales) du sujet, deuxièmement de la configuration institutionnelle, culturelle, contextuelle et physique des fragments de monde en jeu et troisièmement, du type de relation existant entre entre les deux. Même les fragments de monde tendanciellement inhospitaliers et hostiles tels les déserts, les paysages enneigés ou les stations-service peuvent devenir, sous certaines conditions, de véritables oasis de résonance. L’aliénation, comprise comme relation au monde muette, froide, figée ou en échec, est dès lors le résultat d’une subjectivité dégradée, de configurations sociales ou matérielles hostiles à la résonance ou bien d’une inadéquation, c’est-à-dire d’un défaut d’ajustement entre le sujet et le fragment de monde. C’est dire que la sociologie de la relation au monde que je propose ici vise à dépasser le problème des essentialisations infondées : point n’est besoin de formuler une hypothèse substantialiste sur l’essence véritable de la nature humaine afin de pouvoir se prononcer sur la réussite ou la non-réussite de la vie. Admettons plutôt que cette essence est tout aussi changeante que l’organisation et l’orientation sociales et culturelles du monde. Les relations au monde doivent ainsi être considérées comme des configurations globales historiquement et culturellement variables, qui ne définissent pas seulement un certain rapport entre un sujet et un objet, mais coproduisent elles-mêmes, de facto, ces sujets et ces objets. La sociologie des relations au monde entreprise ici se présente donc comme une critique des rapports de résonance historiquement réalisés – et par là même, du moins je l’espère, comme une forme renouvelée de la Théorie critique. (p. 23-24)
Il est intéressant de constater que tant dans la recherche sociologique que dans la discussion politique et la littérature de développement personnel, l’idée du juste équilibre vie-travail s’est imposée comme critère de référence. C’est reconnaître implicitement que vivre n’est pas la même chose que travailler –le terme de « travail » devant s’entendre ici au sens large de chasse aux ressources. Cet équilibre, de fait, s’avère problématique pour la plupart d’entre nous : car nous ne l’atteignons pas pendant la phase la plus active de notre existence qui est soumise aux règles du jeu de l’accroissement et aux to-do lists dont on ne vient jamais à bout. La part de « vie » lésée, ou laissée de côté, est reportée à l’âge de la retraite : pour l’instant je croule sous les obligations, mais un jour j’en aurais fini avec tout ça et je commencerai à vivre –à avoir une bonne vie. Tel est le discours dominant que les classes moyennes, et souvent aussi supérieures, tiennent sur elles-mêmes. C’est, me semble-t-il, la raison pour laquelle le recul de l’âge de la retraite se heurte, contre toute logique économique et démographique, à une résistance aussi acharnée : sur le plan culturel, cette mesure est perçue comme un vol de temps de vie. L’équilibre vie-travail n’est plus recherché sur un plan synchronique mais diachronique ; on attend de l’âge qu’il nous permette de rattraper tout ce que l’on a manqué. Reste cependant à savoir s’il est encore possible de mener une « vie bonne » quand l’obsession des ressources est devenue un habitus si puissant qu’elle a, des décennies durant, orienté notre vie et façonné notre attitude au monde. Sur ce point nous ressemblons davantage à Gustave qu’à Vincent. J’entends déjà l’objection : peut-on vraiment établir, comme vous le faites, une telle analogie entre l’art et la vie ? Que serait donc une « œuvre de vie » ? Quelle serait sa substance, au-delà de ce que vous avez dénoncé comme de simples ressources ? Comment statuer sur la forme ou les contenus d’une vie réussie sans s’instituer en gourou de la « vie bonne » ou –ce qui est tout aussi grave –en prescripteur condescendant ? Et mettons que l’on parvienne à éviter ces écueils et à admettre pleinement le pluralisme éthique de la modernité : n’en vient-on pas alors à vider cette « vie bonne » de toute substance et à la réduire à un simple sentiment de bien-être subjectif ?
En quoi cette histoire peut-elle éclairer la question de la vie bonne ? L’analogie semble évidente : la possession de toutes les ressources nécessaires ne garantit pas plus une vie réussie qu’elle ne suffit à produire une œuvre d’art. Et une focalisation exclusive sur les ressources nous empêche tout autant de réussir notre vie qu’elle entrave la réussite d’une œuvre d’art. Les guides de développement personnel actuellement en vogue, la réflexion politique sur la question de l’aisance matérielle et les définitions sociologiques dominantes du bien-être et de la qualité de vie révèlent pour la plupart une fixation sur les ressources qui correspond exactement à celle de Gustave. La santé, l’argent, la communauté (des relations sociales stables), mais également l’instruction et la reconnaissance, sont considérés comme les ressources essentielles d’une vie bonne –j’y reviendrai dans le chapitre d’introduction –et plus encore : ils sont devenus synonymes de vie bonne. Comment s’enrichir, améliorer sa santé, augmenter son pouvoir de séduction, accroître son cercle d’amis, développer son capital social et culturel, etc. : ce ne sont pas seulement les sujets de prédilection des « manuels de développement personnel », ce sont aussi les indicateurs dominants de la qualité de vie.
En guise d'avant-propos : l'histoire d'Anna et de Hannah et la sociologie, p. 9
Si le problème est l’accélération, alors la résonance est peut-être la solution. C’est la thèse centrale de ce livre, énoncée sous sa forme la plus courte. Elle exprime simultanément deux positions fondamentales. La première, c’est que la solution n’est pas la décélération. Même si la presse m’a parfois prêté un rôle de « gourou de la décélération » (quelques apparitions médiatiques imprudentes m’auront sans doute valu cette réputation), je n’ai, de fait, jamais prôné le ralentissement comme solution individuelle ou sociale au problème de l’accélération ; je l’ai tout au plus proposé comme une « stratégie d’adaptation », une manière de traiter au quotidien les problèmes créés par la vitesse. Au fond, je ne me suis jamais véritablement intéressé à la question de la « décélération ».
L'urgence d'agir bouleverse notre rapport au temps et nous précipite dans un avenir, promesse de catastrophes et de pénuries. Comment alors dépasser le sentiment d'urgence qui nous écrase ? Comment dépasser notre état de sidération ? le philosophe et sociologue allemand Hartmut Rosa, auteur notamment de "Accélération. Une critique sociale du temps et de Rendre le monde indisponible" (La Découverte, 2020) refuse l'idée que nous serions déjà en retard et nous invite à ralentir pour agir.
#urgence #philosophie #etmaintenant
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