« Vous vous demandez sans doute ce que je fabrique ici, dit-elle.
— Eh bien, je ne pense pas que vous soyez venue me dire que j'ai une jolie maison.
— Non. Je veux vous proposer quelque chose.
— Ah ?
— Oui. Une sorte de demande. »
Addie Moore à Louis Waters.
Une demande assez surprenante.
Addie aimerait que Louis vienne de temps en temps dormir avec elle. Les nuits lui semblent longues, elle a du mal à trouver le sommeil. Puisqu'ils sont seuls tous les deux, pourquoi ne pas partager ces moments-là ? Rien de grivois dans sa démarche, à soixante-dix ans passés, Addie dit avoir perdu le goût de la bagatelle. Non, ce qu'elle demande à Louis, c'est de venir dormir à ses côtés.
Aussi étrange que puisse paraître l'invitation, Louis ne se fait pas prier : le lendemain, rasé de frais et le cheveu bien coupé, il se présente chez Addie, son pyjama sous le bras – ils habitent le même quartier.
Il revient la semaine suivante (le temps de soigner une méchante infection) et la nouvelle habitude s'installe : Louis arrive chez Addie, il prend une bière, elle un verre de vin et ils se mettent au lit. Pas de silences gênants entre eux, ils s'allongent côte à côte, se questionnent sur le passé et apprennent à se connaître.
Se pose le problème des commérages du voisinage – ils ont toujours vécu dans la petite ville de Holt, Colorado. On a remarqué que Louis découchait et cela l'ennuie un peu d'être au centre de l'attention. Mais Addie prend les choses avec plus de détachement. Qu'ont-ils à se reprocher ? Ils n'ont pas de comptes à rendre.
Pas aux autres, en tout cas, mais à eux-mêmes ? Sont-ils au clair avec leur conscience ? Et s'ils remontent plus loin dans leur histoire, ont-ils mené la vie dont ils rêvaient ?
Soir après soir, la relation d'Addie et Louis se renforce. En jetant un oeil sur le passé, chacun trouve l'occasion de se confier sur des questions douloureuses.
Tandis que les mauvaises langues continuent de faire leur office – mais que font donc ensemble ces deux veufs qu'on croyait respectables ? –, Louis, d'ailleurs réprimandé par sa fille qu'il a envoyée sur les roses, s'affranchit de la considération des autres. À son initiative, le couple le plus en vogue du moment décide de se montrer en plein jour, et en pleine ville. Contre toute attente, les regards de biais cessent et leur complicité fait de gentils envieux. Addie et Louis ont osé ce qui en fait rêver d'autres. Mais le fils d'Addie ne l'entend pas de cette oreille et est résolu à leur mettre des bâtons dans les roues…
Les premières pages de ce roman m'ont mise mal à l'aise. J'éprouvais une réelle gêne à m'immiscer ainsi dans la vie de ce couple. Et pourquoi ? Pourquoi aurais-je détourné les yeux alors qu'eux refusaient de se cacher ? Je me suis laissée aller à la tendresse plus profonde encore qu'ils éveillaient en moi et j'ai admiré leurs sentiments naissants. À travers les mots de
Kent Haruf, j'ai trouvé Louis et Addie magnifiques.
Les septuagénaires ne sont pas les personnages qu'on rencontre le plus dans les romans. Au second plan, ils campent des pères retraités, bricoleurs et à l'écoute, des mères qui trouvent enfin le temps de voyager. Mais quand se penche-t-on sur leur intimité ? Quand leur donne-t-on le droit de s'aimer au grand jour ?
Tous deux mariés très tôt, avec la responsabilité d'une famille à assumer, ni l'un ni l'autre n'a profité de sa jeunesse. Ils ont fait « ce qu'il fallait », ce que la société attendait d'eux. C'est arrivés à l'hiver de leur vie que les voilà le coeur bourgeonnant comme au printemps. Quel beau message ! Sans ambages, avec des mots justes, l'auteur fait preuve de beaucoup de délicatesse. L'on n'ose tout d'abord pas se plonger dans cette histoire tant on a peur de déranger, puis on y trouve sa place et l'on éprouve sans retenue toute l'émotion des personnages. Doux, parfois dur, extrêmement touchant et lumineux. Nécessaire.