AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de madameduberry


Il y a du conte dans cette histoire tissée comme un tapis afghan : un fil pour l'histoire de l'aïeule, un fil pour l'histoire contemporaine de l'arrière petite fille. Les fils entrecroisés sont solidement noués par la religion et les traditions, qui sont trop souvent les autres noms de la superstition et de l'ignorance. de même que le voile intégral de la burqa, s'il rend invisible l'individu, présentifie aussi le statut de colis, voire de déchet, qui est fait de la femme, de même ce conte, s'il narre l'ingéniosité et l'intelligence de deux femmes paraissant exceptionnelles, fait ressentir d'autant plus cruellement la non vie de leurs semblables.
Notre société occidentale ayant aussi ses contes, j'ai appelé à mon secours toutes les Chèvres de M. Seguin, tous les Chaperon Rouge, toutes les Petites Sirènes, et j'ai réalisé que ce sont bien souvent les femmes, plus brimées du fait du statut social qui leur est fait, qui ont envie de rompre les chaînes, de partir et qui le paient de leur vie. Et les contes finissent mal, en général.

Que dire de ce livre, extraordinaire à plus d'un titre ? Tout d'abord qu'il a un très fort pouvoir évocateur, qui tient à la forme du récit raconté. Sans effet de style particulier, sans images extraordinairement travaillées, il fait surgir devant mes yeux le « village couleur kaki », la chaleur qui dessèche les tiges des oignons non récoltés, les marchandages du marché, les silhouettes enveloppées des femmes, les yeux baissés des petites filles, l'insolente liberté des garçons, libres de courir, de taper dans un ballon, de faire du vélo, de jeter leur dévolu sur une fillette même pas nubile quitte à la déshonorer, les pieds poudrés de poussière, les champs, et les petites maisons de terre qui se fissurent avec le temps.
Nous voyons défiler, à un siècle d'intervalle, les mêmes épaules courbées sous le même fardeau, les cohortes de femmes qui ne s'appartiennent jamais, vouées par leur mère elle-même à avoir honte de leur sexe et à vivre leur vie comme une calamité nécessaire, vendues ou échangées ou données en règlement d'une dette, soumises au bon vouloir sexuel et à la perversité d'un seul homme et de la famille de celui-ci, notamment sa mère. Elles vivent comme un malheur d'engendrer des filles et parfois l'une de ces mères ira jusqu'à tenter de faire mourir sa fille nouvelle-née, par desespoir, inconscience, lucidité, cruauté ou pitié, on ne sait plus le dire.

Ce n'est pas l'Afghanistan des Talibans qui est décrit, c'est celui d'avant (début XXème) et après les Talibans.
On n'ose penser à ce que fut la nuit qu'ils imposèrent à tous et bien sûr en particulier au sexe féminin.
Un moteur de recherche m'a fourni des photos de ce pays qui semble en effet couvert d'une poussière séculaire qui uniformise tout. On y voit aussi des armes lourdes et des uniformes kaki.
On y voit aussi une femme ? Une silhouette en burqa bleue, assise près de plusieurs paquets mal ficelés, et d'un grand sac poubelle de la même couleur que la burqa.
Même si on comprend qu'elle protège sa sécurité et sa vie en se réduisant à être un paquet parmi les paquets, on se dit aussi que croiser de tels fantômes dans les rues des villes à des milliers de kilomètres de là,dans une société démocratique, cela n'est pas, vraiment pas, vraiment vraiment pas explicable ni défendable par des alibis culturels.
Merci à Babelio et à l'éditeur Milady de me forcer à imaginer d'autres vies que les nôtres, pour continuer à défendre l'accès (et le maintien) de toutes les femmes à une vie digne, et une vie digne de ce nom.
Commenter  J’apprécie          754



Ont apprécié cette critique (49)voir plus




{* *}