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Critique de Biblioroz


Un hier pas bien lointain et un aujourd'hui qui le fait ressurgir, qui le répète abominablement, ne pouvant laisser enfin les Afghans vivre en paix dans leur pays. Ce roman qui donne vie à des personnages imaginaires retrace pourtant le parcours tristement réel d'autres femmes, d'autres hommes, d'autres enfants portant d'autres noms que celui de Fereiba, Mahmoud, Salim, Samira mais dont l'espoir reste le même : vivre en paix, se sentir en sécurité quelque part.

Fereiba attend fébrilement dans une chambre d'hôtel. Bien qu'exténuée, sans réussir à se reposer, elle attend pour elle et ses enfants la suite de leur interminable fuite. Elle attend Salim et l'argent pour poursuivre cette cavale forcée tristement nécessaire à leurs survies.

Ce roman est loin de débuter par ce voyage de la dernière chance face à la répression des talibans comme le laisse injustement supposer la quatrième de couverture.
C'est Fereiba elle-même qui nous livre sa vie depuis que sa mère l'a mise au monde tout en le quittant pour sa part définitivement. Fereiba est alors une enfant, une jeune fille puis une femme terriblement marquée par l'absence de cette chaleur maternelle qui lui a été refusée. Lorsqu'elle devient mère à son tour, l'importance cruciale de vouloir prodiguer à ses enfants amour, joie et quiétude n'en est que renforcée mais son pays natal et les évènements tragiques dont il sera victime seront loin de lui faciliter la tâche.
En la suivant dans son si douloureux parcours de mère, avec cette pratique narrative simple, fluide et qui nous ancre justement admirablement dans ce réel éprouvant et émouvant, l'auteure nous lie à cette femme marquée par la perte, la solitude, la peur sans jamais s'avouer vaincue car portée par l'amour qu'elle estime devoir à ses enfants. le portrait de cette Afghane ne peut qu'entraîner compassion et admiration devant cette détermination à faire face aux multiples hostilités qui ont jalonné sa route.

Enfant, Fereiba va devoir composer avec sa belle-mère, pétrie de superstitions en tous genres, cherchant le moindre signe dans les rêves ou les manifestations naturelles extérieures. Kokogul, la mère de substitution, est fausse, sarcastique, ne manque aucune occasion pour la rabaisser et s'en servir de bonne à tout faire. L'instruction lui est donc refusée mais à treize ans elle remporte la victoire d'être enfin inscrite au cours élémentaire et rattrape fébrilement son retard jusqu'à devenir enseignante.
Tout un pan de la culture afghane se déroule sous les yeux dépaysés du lecteur notamment les pratiques qui mènent au mariage. La cour se fait par la visite mutuelle des mères. On juge la fortune de la famille du prétendant en scrutant les robes et artifices portés par la mère puis le plateau de sucreries scellera l'accord entre les deux familles.
Après une déception amoureuse, Fereiba sera liée à Mahmoud qu'elle apprendra à aimer alors que les roquettes soviétiques puis celles des talibans viendront obscurcir durablement leurs plus belles années jusqu'à l'arrestation de l'homme accusé de mépris des lois islamiques. Qui peut blâmer cette attente de Mahmoud à déserter plus tôt sa ville de Kaboul ? On ressent cette terrifiante incertitude entre une possible amélioration ou une funeste aggravation de la situation.
C'est à Fereiba qu'incombera désormais la décision de partir et l'interrogation persistante d'avoir ou non choisi la bonne solution la hantera pendant les nombreux mois, à chaque coup dur, à chaque terreur, même en invoquant inlassablement la protection d'Allah. Sa grande douleur sera de devoir dire la vérité à Salim, son fils aîné adolescent. Elle aurait tant voulu lui épargner ces atroces nouvelles, ces peurs du lendemain qui constituent et constitueront leur quotidien présent et à venir. Il deviendra soutien avant l'heure et la narration basculera dans certains chapitres pour nous offrir alors l'histoire qui lui sera propre.

Ce roman aux accents de témoignage, quoique fictif, s'appuie sur des détails vécus déchirants et laisse donc planer les douloureuses réalités des migrants. Nadia Hashimi nous fait réellement ressentir la dépossession de tout et l'humiliation de n'être plus que des fuyards, la peur au ventre à la vue de chaque uniforme, chaque poste de contrôle, chaque frontière à franchir. Salim, loin de Kaboul s'éloigne encore plus loin de l'enfant qu'il était et on assiste à sa construction entièrement tournée vers la survie, la sienne et celle des êtres qui lui sont chers. Il a tout l'amour de sa mère mais pleure la perte de son père auquel il est rattaché par la montre qu'il porte au poignet et qui lui insuffle le courage nécessaire pour atteindre l'Angleterre.

Fereiba entrecoupe son angoissant périple de pensées qui la ramènent à son pays. Les dernières conversations, les ultimes mots échangés restent incrustées dans ses amers souvenirs. Elle va parsemer son récit de quelques mots en dari, ils accentuent le fait du déracinement qui est bien loin d'être uniquement géographique. La langue, les coutumes, les préceptes d'un pays, d'une religion sont inscrits dans son être et la suivent, inévitablement, vers un ailleurs. le fardeau, oh combien pesant, de tout ce qui n'est plus dans son pays l'accompagnera aussi.

L'Europe nous sera montrée de l'autre côté où le mot bienvenu n'existe plus, du côté de l'exploitation de ces migrants et des camps dans lesquels ils transitent. Heureusement que l'infinie gentillesse se rencontre également dans tous pays, des coups de pouce indispensables pour entretenir l'espoir et continuer à passer les innombrables frontières.

Fereiba nous dira « le monde est ainsi fait. » Il faut le savoir.
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