Lilia Hassaine situe l'intrigue de «
Panorama » en 2050, dans une France qui a fait la révolution de la Transparence, en 2029. Une révolution initiée par un influenceur célèbre qui a porté plainte contre son oncle qui l'a violé lorsqu'il était enfant, et demande le droit de se faire justice, les faits étant prescrits. Une affaire qui semble banale, mais va conduire au procès de la Justice, puis à la « Revenge Week », une semaine au cours de laquelle les victimes se vengeront des exactions commises par leurs bourreaux.
C'est l'avocate de l'influenceur, qui lance le mouvement « Transparence citoyenne » et obtient que ceux qui se font faits justice soient graciés, à condition que les violences cessent. Pour atteindre cet objectif, l'idée lumineuse selon laquelle on ne commet pas de crimes lorsqu'on se sait observé s'impose et conduit à ériger la Transparence en règle absolue. Un jeune architecte est ainsi chargé de conceptualiser et de réaliser un urbanisme adapté à ce nouveau dogme. Les maisons, les appartements, les écoles, les hôpitaux, les prisons, les commerces seront à présent construits en verre. Et la nuit, des lumières rouges éclaireront l'intérieur des maisons.
« La Transparence est un « pacte citoyen fondé sur la bienveillance partagée et la responsabilité individuelle », d'après le Préambule de la Constitution de 2030. »
Dans ce nouveau monde où chacun observe les faits et gestes de son voisin, la criminalité a disparu. Dans les quartiers huppés, tout n'est que « luxe, calme et sécurité ». Des verres opaques permettent de prendre sa douche dans une relative intimité (
seul le visage reste visible). L'acte d'amour peut-être réalisé après que les deux amants ont exprimé leur consentement en déclenchant la fermeture de leur lit-sarcophage.
Une fissure apparaît dans le meilleur des mondes, lorsque la famille Royer-Dumas, qui habite un quartier ultra-sécurisé, disparaît : David, Rose et leur jeune fils Milo s'évaporent sans laisser de traces. Hélène, une ancienne commissaire, devenue gardienne de protection depuis que la violence a été éradiquée par la transparence, reprend du service pour tenter de résoudre ce qui évoque un mystère absurde.
----
«
Panorama » est une contre-utopie qui interroge les limites d'une société où l'intimité a été sacrifiée sur l'autel du culte de la transparence. Une société dévoilée à travers le regard d'Hélène qui a repris son rôle d'enquêtrice pour tenter de résoudre le mystère de la disparition de la famille Royer-Dumas.
« Les réseaux sociaux ont connu leur apogée au moment de la révolte de 2029. L'avenir était alors au métavers, on nous promettait que l'homme du futur s'échapperait du monde matériel grâce à des casques de réalité virtuelle. Personne n'avait anticipé le scénario inverse : une société où, sans casque ni lunettes connectés, on jouerait chaque jour à être l'avatar de soi-même. »
L'idée-force du roman est simple : elle repose sur le constat que nous vivons déjà dans un monde fasciné par la transparence et pousse les curseurs à leur maximum pour nous emmener dans une « démocratie » d'un nouveau genre. La verticalité a cédé la place à l'horizontalité, une forme d'autogestion citoyenne a pris le pouvoir, l'avis des jeunes gens est devenu parole d'évangile, la duplicité, la tromperie, la violence ont été éradiquées.
L'auteure a identifié plusieurs travers très actuels : fascination pour l'exhibition de soi, amplifiée et véhiculée par les réseaux sociaux, critique permanente d'une justice dysfonctionnelle, crédit accordé une jeunesse en colère incarnée par
Greta Thunberg, etc. L'univers dystopique de l'ouvrage permet de questionner notre société hypnotisée par la possibilité d'un monde qui aurait fait fi de toute opacité. le «
Panorama » dressé par le roman est peut-être en réalité celui de notre époque.
Le nouveau roman de
Lilia Hassaine évoque «
1984 » de
George Orwell, qui avait imaginé un monde cauchemardesque où chacun était en permanence observé par un télécran, un univers régi par la célèbre maxime : « Big Brother is watching you ». L'auteure reprend en réalité l'idée géniale d'
Evgueni Zamiatine, qui imaginait en 1920, dans son roman «
Nous autres », une société entièrement transparente, prenant la forme d'une Cité de verre.
Tandis que
Zamiatine s'attachait à dénoncer les dérives du léninisme et qu'Orwell dévoilait l'horreur du stalinisme, «
Panorama » dresse une critique acerbe des menaces qui planent sur notre démocratie.
L'enquête policière n'est que le prétexte de la mise à nu de l'hypocrisie de cette société de la transparence absolue, qui dissimule des zones d'ombre inavouables derrière le modèle de vertu qu'elle prétend incarner.
Le roman séduit par l'ironie qui sous-tend la contre-utopie imaginée par l'auteure. Comme Orwell et
Zamiatine, l'auteure porte avant tout un regard critique sur notre présent, en imaginant le futur terrifiant qui pourrait advenir. Un présent qui nie toute négativité et a érigé le culte du positif en nouvelle religion.
« Plus personne, dans notre société qui « aime », dans notre société qui « like », ne peut comprendre l'argentique. À moins de transformer les « négatifs » en « positifs ». »
Malgré une ambition qu'il faut saluer, «
Panorama » n'atteint pas les sommets que le début de l'intrigue laisse entrevoir. La Cité de verre ne surprend pas le lecteur du chef-d'oeuvre de
Zamiatine. L'intrigue policière est parfois cousue de fil blanc. L'ouvrage manque enfin d'un véritable souffle romanesque et évoque une dénonciation par trop « transparente » des maux de l'époque.