« En 1768, les savants du monde entier s'organisent pour observer depuis différents points du globe le prochain passage de Vénus devant le soleil. »
Belle prémisse pour quiconque aime l'histoire et les romans historiques. Maximilianus Hell, astronome officiel à la cour impériale de Vienne, est invité par le roi du Danemark à étudier le phénomène depuis les latitudes nordiques, à Vardo, une ile en Laponie. Et il choisit Janos Sajnovics, un jeune jésuite, pour l'accompagner. Ce dernier profitera de l'occasion pour vérifier si la langue des Lapons et celle des Finlandais partagent beaucoup de similitudes avec le hongrois et, incidemment, une origine commune.
Toutefois, le chemin de Vienne à Vardo est long et périlleux. En fait, ce chemin constitue l'essentiel du roman. Hell et Sajnovics doivent traverser le Saint-Empire roman germanique (Prague, Dresde, Leipzig, Hambourg, Lubeck) puis passer par la capitale danoise Copenhague avant de traverser la Suède et la Norvège. Ouf! Les protagonistes n'arrivent à destination qu'après le deuxième tiers du bouquin. Et, là encore, l'observation du passage de Vénus, ce phénomène qui donne son titre au roman, n'est pas près de commencer non plus. Finalement, ce n'était qu'un prétexte. Je le précise parce que certains qui s'y attendaient pourraient être déçus.
En effet, cette traversée de l'
Europe germanique est l'occasion de s'arrêter dans quelques unes des cours royales, de rencontrer des personnages historiques. Plusieurs d'entre eux ont réellement existés, comme la princesse Antonia de Saxe et son jeune fils Frédéric-Auguste, les fils de Matyas Bél et de
Bach, le poète Klopstock, le comte Bernstorff, l'explorateur
Carsten Niebuhr et Christian VII du Danemark. Il est même question de l'impératrice
Marie-Thérèse, de Carl von Linné et de l'expédition de
Cook dans le Pacifique. Bref, l'élite politique, intellectuelle et artistique des Lumières. Comme ce dût être édifiant (malgré quelques difficultés ici et là). On en profite pour jeter un coup d'oeil à l'horloge astronomique de Prague et se prendre à penser que Kepler et Brahe ont foulé le même sol. À Dresde, on visite le Zwinger. Partout ailleurs, on découvre des innovations scientifiques (ou on montre les siennes). Un gros bravo à l'auteur
Robert Hasz pour la minutie avec laquelle il a reconstitué cet univers.
Surtout, ce voyage vers le nord est l'occasion pour Janos de réfléchir sur sa vie, sa vocation, sa place dans le monde. En effet, dès le début du roman, les premiers entretiens du jeune jésuite et de son supérieur le père Weiss, on sent que quelque chose le trouble. C'est que l'université Nagyszombat, une bourgade provinciale, est plutôt reculée. Janos est tourmenté par la fragilité de sa vocation, il souhaite voir le monde, « participer à l'édification d'un monde nouveau fondé sur le rationalisme scientifique ». Il faut dire que les Lumières s'y prêtent particulièrement : il s'intéresse à l'astronomie, évidemment, mais aussi à la théologie, à la musique, à l'histoire, à la linguistique, aux arts. Et sûrement à beaucoup d'autres choses. Sa rencontre à Hambourg avec Tamas, un ancien confrère défroqué ajoute à son tourment. Comme le dit ce dernier. « Je voulais vivre, connaître d'autres cieux, voyager, découvrir d'autres cultures. » (p. 128). Bien sûr, Janos fait tout cela à ce moment mais, dès que l'observation de Vénus sera terminée (l'affaire de quelques mois), il devra retourner dans sa bourgade provinciale ou à l'endroit qui lui sera indiqué par ses supérieur. Or, cette histoire se déroule à un moment où l'Ordre des jésuites approche de sa fin. Ses membres ont été expulsés de
France et d'Espagne, d'autres pays emboiteront probablement le pas, sinon militeront en faveur de la dissolution de leur organisation. Bref, ce voyage est l'occasion pour le jeune homme de se questionner.
Tout ça pour ça, comme diraient certains. C'est un bien long chemin seulement pour se découvrir. Et Vénus, la verra-t-on? Peut-être que oui, peut-être que non. Comme pour d'autres romans de l'auteur
Robert Hasz, il faut déposer le bouquin et réfléchir à sa lecture un certain moment pour s'assurer d'en avoir retiré l'essentiel. Parfois, des thèmes, des éléments qui sont passés inaperçus reviennent en mémoire et apportent un éclairage nouveau sur l'ensemble. Tout comme Janos, il faut réfléchir à son chemin dans la vie, saisir les opportunités qu'elle nous offre, les rencontres qu'elle place sur notre chemin. À l'occasion, elle peut nous mener bien loin, en d'autres, elle nous montre ce qui était devant nous tout ce temps.
Bon, assez philosophé!