Ce livre est à la fois un premier roman tout à fait réussi et digne d'intérêt et un regard critique porté sur le Maroc du XXIe siècle. L'angle d'attaque, la presse, permet à l'auteur de mettre en évidence les paradoxes d'un pays qui s'affiche calme, modéré, tourné vers une sorte de démocratie mais dans lequel il n'est pas très bon d'ouvrir la bouche contre le roi, le pouvoir en place, les gens qui ont de l'autorité, les traditions, la religion, l'ordre établi, la bien pensance installée depuis l'indépendance, la suprématie de l'arabe et l'abandon du français...
Autant dire que
Kamil Hatimi, germano-marocain né en 1960 à Rabat risque quelques soucis avec les autorités de son pays. D'autant qu'il raconte une histoire à choquer les bourgeois de Casa et les religieux garantis grand teint.
En effet, il est question ici d'un journaliste au petit pied, Dragan Chenah, dont la carrière se limite à travailler pour un journal du nom de «
la Houlette casablancaise », media au service du pouvoir où on ne parle pas de choses qui fâchent. Encore mieux, les journalistes ne vont guère sur le terrain et se limitent à servir au peuple la sauce qu'il attend, entre faits divers et hommages respectueux à leur majesté.
Alors, quand Dragan (son prénom vient de sa mère Irina, gauchiste serbe mystérieusement « disparue » lors de remises au pas après les mouvements gauchistes), quand Dragan subitement perd ce qui fait son métier à savoir la capacité d'écrire, il nous entraîne dans une plongée douloureuse, sarcastique, révoltée, surnaturelle dans sa préadolescence et tout va s'éclairer dans la douleur et la libération. le glauque, l'insoutenable, le drôle, le fantastique et l'émotion se côtoient, le tout sous le microscope attentif et impitoyable d'un auteur qui dénonce ce qui dans son pays s'apparente à une dictature à peine atténuée. Les sujets tabous sont abordés : homosexualité propre au Maroc (et non pas perversité importée d'Europe), liberté de la presse, délit d'opinion, répression, corruption.
Très intéressante découverte.