Je me suis rendu à des procès gaçaça* parce que la plupart des gens qu’on y amenait, je les connaissais. Il y avait ceux qui avaient pris la machette et qui avaient été relâchés, et ceux qui n’avaient pas été relâchés et ceux qui n’avaient pas été emprisonnés un seul jour bien qu’ils aient coupé à s’en casser les bras. Ceux qui avaient saisi la machette sans toutefois couper. Est-ce qu’on pouvait se tromper ? Je voulais entendre comment ils pouvaient se défendre.
*Gaçaça signifie « herbe douce », comme celle où s’assoient ces tribunaux populaires sous les arbres. Inspirés d’une tradition ancestrale, ils furent créés pour suppléer à un appareil judiciaire trop affaibli par le génocide pour pouvoir en assumer la criminalité.
"Jamais on ne se querellait. ........On ne discutait de rien.Discuter de quoi?De haine des autres? On était trop bousculés pour s'y intéresser.De la mort?
On se préparait à être tués le lendemain.........On s'attendait tout le temps à mourir , on ne trouvait
Rien à ajouter. "
16 avril. Début des chasses organisées dans les marais et les forêts, ou se sont réfugiés les Tutsis.
14 mai. Arrivée sur les collines du FPR qui va chercher les survivants dans les marais. Cinquante mille cadavres sur une population tutsie de cinquante-neuf mille jonchent les églises, les marais et les forêts.
Arrivées dans les marécages, les mamans allaient cacher loin dans les papyrus les tout-petits. C'était à elle de les couvrir de feuilles et de boue et de leur distribuer des recommandations. Il leur fallait changer d'endroit chaque matin pour ruser, surtout si les pieds avaient laissé des empreintes dans la boue séchée. Nous, nous factions les enfants qui n'avaient plus de parents. Moi ,j'évitais de me cacher près d'eux. C'était trop risquant. Ils pouvaient pleurer à tout moment à cause de la vase. Je me tenais à l'écart, je cherchais des cachettes solitaires.
On zigzaguait. On n'était pas encore surpris d'être rescapés. On ne se réjouissait pas de notre délivrance, on buvait la plus grande quantité tout simplement. On buvait ce qu'on trouvait.
Autrefois, je racontais des blagusdu matin au soir. Mais le temps passe, des choses se sont passées qui m'ont prélevé de la gaieté. Ce n'est plus aussi naturel qu'auparavant. Mais j'aime les gens qui me parlent bien. ils sourient, je souris. Ils me montrent qu'ils sont gentils ; dans mon for intérieur, ça me donne de la joie.
Le génocide m’a fait solitaire intérieurement, comme je l’ai dit. Voilà pourquoi dorénavant, j’évite les complications. Je vais, je laisse. Ceux qui m’aiment, ils sont le grand nombre, je les aime aussi. Ceux qui ne m’aiment pas, tant pis, je ne veux même pas les rencontrer.
Les souvenirs, ils dépendent aussi de la vie qu'on mène. La misère tourmente la mémoire.
Ce qui me fait rire, c’est d’être content. Quand je suis content, j’aime amuser les autres. Mais j’évite le fou rire. Attention, je ne ris pas comme un idiot.
« En tant que rescapé, je n’aime pas qu’on me rappelle celui que j’ai été.