Prendre le même train. Tous les jours, à la même heure. Aujourd'hui, il pleut. Les gouttes ruissellent le long des vitres. Demain, le soleil traversera ces mêmes vitres sales pour y distiller quelques rayons de chaleur. Je passe devant des maisons, des rues, des chemins de traverse. Toujours le même décor, à la même vitesse. Un casque sur les oreilles. Rock N Roll. Toujours le même train, chaque matin. La musique pour ne pas entendre le flot des portables déversant leurs crachotements et chuchotements intimes dont je me fous totalement. Toujours les mêmes têtes, dans le train. Mais pas la même musique. Je ferme les yeux, respire le parfum de la femme d'en face, celle qui se met toujours à la même place, et qui sent le matin la vinasse. Toujours les mêmes maisons embrumées le matin. de quoi même s'inventer des histoires. de toute façon, les histoires des autres…
Le train ralentit, le feu passe au rouge, il stoppe sa démarche. J'aimais dans le temps le bruit que pouvait faire la locomotive en déversant sa fumée, mon côté vieux westerns. Un son que je ne retrouve plus maintenant, pendant que je regarde à travers la vitre. Un couple, dans le jardin. Un couple qui s'aime, un couple qui se déchaine. Et dans celle d'à côté, un autre couple. Des couples avec enfants. D'habitude, je ne regarde pas à travers la vitre, je garde mes yeux sur mon bouquin ou sur la fille d'en face qui discrètement sort une petite bouteille de vin. Commencer à boire dans le train du matin et me dire qu'elle se sent aussi mal dans sa vie que dans la mienne. Boire pour échapper aux regards des autres. Devenir transparent dans cette société-là, c'est à ça que sert le gin tonic le matin.
Pendant la pause déjeuner, je me suis assis sur un banc, quelques feuilles mortes à mes pieds, tapis oranger qui vole dès qu'une bourrasque enflamme cet amoncellement de la nature. Toujours un livre avec moi, une bouteille enveloppée dans un sac Kraft dans ma besace. Les pages tournent et se retournent, une femme a disparu. Pas de quoi en faire la une des journaux. Les voix s'écrivent et s'épanchent. le cadavre d'une femme morte aussi. Peut-être que le petit torchon du coin, épris par les scandales abreuvant la vie des ménagères, la mettra à l'honneur. Histoire de sang ou d'infidélité, les gens veulent savoir, pour avoir un truc à dire au pub ce soir autour d'une pinte, de deux, de trois…
Il est temps de reprendre le train. L'odeur est plus suffocante, le parfum printanier a été remplacé par la sueur d'automne. le train roule avec son train-train habituel, coutumier, routinier. Sans surprise, toujours les mêmes maisons ensoleillées le soir. Je m'assois toujours à la même place. A la prochaine gare,
la fille du train se mettra en face de moi, l'odeur plus marquée de vin sur son visage. Elle est perturbée. Par sa vie, et par cette disparition. Moi, je n'ai rien vu, j'avais mon nez dans un bouquin, ou sur ses jambes, mais elle… Un bouquin - pas si mal que ça dans son genre thriller prévisible - sur l'histoire d'une fille qui boit du gin dans le train. Et une nana qui boit plus que moi est émouvante...
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