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Critique de Ferangui


On aurait tort d'ouvrir La maison aux sept pignons avec l'intention d'y trouver une histoire génialement précurseure, un récit au rythme soutenu, des scènes terrifiantes, voire même simplement un drame à rebondissement.
Non, chez Nathaniel Hawthorne, la lecture est plutôt paisible, courtoise et élégante, et si ces grands attendus - qu'un lecteur moderne peut légitimement vouloir retrouver dans un roman - pèchent par leur absence, il sont volontairement à mettre de côté ici, au risque de passer à côté d'une lecture plaisante.
Moi-même alors que j'étais venu chercher le Grand Frisson sur les bons conseils de l'ami H.P.Lovecraft (qui dans son article "Épouvante et surnaturel en littérature", inscrit le roman dans sa longue liste des indispensables du fantastique), moi qui d'ordinaire ne jure que par l'épouvante et le fantastique, j'ai fait ce pas de côté. Et j'avoue avoir beaucoup apprécié ma sortie de route...

Mais de quoi parle ce roman au juste ?
La maison aux sept pignons est une vaste demeure fièrement érigé par le fier et puritain colonel Pyncheon au XVIIe siècle, à l'époque où la nation américaine n'en est qu'à ses balbutiements. le terrain de la maison a été spolié à un autre pionnier, le vieux Maule, accusé d'être un sorcier, et qui a le malheur de se trouver moins riche, moins puissant, moins ambitieux que le colonel. Deux cent ans plus tard, la maison conserve dans ses fondations, ses murs et ses lambris les profonds stigmates du péché originel, et les héritiers Pyncheon expliquent leur inexorable dégradation physique, mentale, morale et financière comme la conséquence directe de la malédiction proférée contre eux par Maule le jour de sa condamnation à mort. Ils ne sont plus qu'une poignée, et c'est sur elle que le roman s'attarde.

Dans ce résumé, ressort en creux la philosophie de l'auteur :
- sa culpabilité de vivre sur le territoire volé par sa propre famille ; parabole de l'Histoire même des Etats-Unis,
- sa morale qui condamne le meurtre, surtout quand il est commis pour des raisons égoistes, injustes et immorales. Résonnance toute biographique pour Hawthorne qui choisira de changer de nom pour ne plus porter celui d'un ancêtre qui pris part activement aux grands procès de Salem,
- sa vision du péché qui se transmet pour "crime d'hérédité". le Mal condamne cette famille à jamais, comme Dieu condamna le genre humain au malheur, après la désobéissance d'Adam et Eve.
Le tableau est fixé : le roman est une oeuvre morale (presque un conte ?) baignant dans la philosophie chrétienne toute rédemptrice de Hawthorne.

Cependant, il y aurait encore beaucoup à dire sur cette oeuvre.
Sur le style déjà, courtois, charmant, tout en circonvolutions, s'y accumulent les peintures de personnages et de caractères avec une intelligence ciselée et parfois complexe. C'est simple, chaque nouvelle scène démarre par une description longue d'un décor, et le récit d'un nouveau personnage s'amorce inéluctablement par une analyse érudite de ses traits physiques et spirituels (qui se déterminent l'un l'autre) à grand renfort de métaphores (Hawthorne en est le maitre incontesté !). le tout donne à penser que l'auteur est un fin analyste qui maitrise l'ensemble des caractères du genre humain que son époque a pu engendrer,mais que tout ceci se fait au détriment de l'avancée de l'intrigue. Les actions se font rares, si rares que l'on a parfois l'impression d'observer des natures mortes : c'est figé, agréable et rassurant certes, mais terriblement statique.

Mais quand il se décide enfin à faire avancer l'intrigue (au dernier tiers du roman), Hawthorne ajoute alors le suspens à sa palette d'outils. Ceci a pour effet de venir ajouter une pesanteur en plus à ce style d'écriture qui lui est si propre. Résultat : l'élément de tension est révélé, mais on ne le comprend qu'à moitié. Il nous a été décrit qu'à demi-mot, avec force humour et ironie, voilé sous les lourds habits du sous-entendu et de la métaphore.
Mais il est déjà trop tard pour le lecteur : la douceur des idées, la piquante ironie, les longues tirades allégoriques l'ont préparé depuis deux cents pages à ce rythme, étrange certes, mais terriblement impactant ! On est tendu par cette douceur !

C'est alors que l'on comprend que c'est dans ce principe narratif et stylistique si marqué, si pesant, si lent, que se situe le fantastique de Hawthorne : un "fantastique de pudeur" qui fait la part belle à la contextualisation de l'action pour préparer le lecteur, au détriment de l'action elle-même.
Bien sûr, on pourrait interroger cette pudeur. Peut-être sert-elle au lecteur à mieux comprendre ce que ressentent ses personnages, si désemparés par ce qu'ils vivent ? Peut-être est-elle là pour faire de l'action une chose si mystérieuse, que l'on est obligé de voir dans ses causes la main de la "Providence" (Dieu lui-même ?), Providence que l'Homme ne pourra jamais appréhender pleinement ?

Toujours est-il que le résultat est là : on a l'impression d'évoluer dans un songe où la réalité s'estompe. Chez Hawthorne, pas de peur, pas d'épouvante ni d'effroi (on est aux antipodes des récits de son contemporain E.A.Poe), juste un léger frisson teinté de mélancolie (qui m'a rappelé la série "The haunting of Bly Manor" de Mike Flanagan).
Si en dépit de toutes nos attentes la malédiction des Pyncheon semble même trouver une explication logique à la fin du récit, tuant de ce fait le fantastique et les derniers mystères de l'oeuvre, gageons que l'intrusion du rationnel est forcément ironique : nul ne peut plus ignorer que la colère divine et la morale inébranlable du Destin (forces fantastiques par excellence chez Hawthorne), ne sont jamais bien loin dans cette maison maudite où résonne encore les notes solitaires du clavecin de la défunte Alice...

J'ai beaucoup apprécié La Maison aux sept pignons. Ce n'est pas une lecture habituelle pour moi, elle n'est pas non plus évidente et son style et son fond moraliste (très proche en ce sens des romans gothiques du XVIIIe siècle) y sont pour beaucoup (Poe qualifiait Hawthorne du "plus invétéré maniériste de son époque", Lovecraft qualifiant son style quant à lui "d'aridité allégorique").

Toujours est-il que sa douceur et sa conclusion (entendue et digne des plus beaux "Happy End" d'Hollywood) m'ont fait du bien. Bref, c'est un beau roman à avoir à son chevet, les après-midis d'automne quand la mélancolie s'empare de nous...
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