Avec le sujet choisi par
Philippe Hayat pour son premier roman,
Momo des Halles, il y avait matière à faire dans le lourd en émotions. le résultat est au rendez-vous. Quelles que soient les situations ou les circonstances dans lesquelles il place ses personnages, on ne pourra jamais dire qu'il force le trait. Tout ce qui tente de décrire la tragédie vécue par les victimes des déportations reste de toute façon en dessous de l'accablante réalité. Les rescapés eux-mêmes n'ont pas trouvé les mots pour témoigner de ce cataclysme de la raison.
On n'en a que plus de sidération et de colère envers les thèses négationnistes.
La déportation des Juifs, et autres communautés bannies du 3ème Reich, est un sujet dont la douleur est accrue lorsqu'on est contraint d'y reconnaître le rôle des autorités françaises de l'époque.
Philippe Hayat ne manque pas de le souligner dans son roman. Aussi est-ce un de ces lieux de sinistre mémoire qu'il choisit pour décor des chapitres les plus forts de cet ouvrage : le camp de Drancy. Il constituait la plateforme de départ de la plupart des déportés issues des rafles conduites sous la responsabilité des autorités de l'Etat français.
L'enfance, c'est le temps de l'innocence, des questions. La souffrance est d'autant plus intolérable quand elle taraude l'innocence. Elle ne trouve pas de justification dans la logique élémentaire d'un être en devenir. Un être dont la construction s'ordonne autour de la sécurité des images, des odeurs, des bruits renvoyés par la famille.
Quand le seul fait d'être né là ou ailleurs est la raison d'un bannissement, que son monde connu s'évanouit, sans raison logique, l'enfant bascule alors dans l'univers hostile des autres, les inconnus. Un univers dans lequel la cupidité et la convoitise règnent sur les esprits. Avec ce qu'elles peuvent susciter de ressentiments travestis dans des idéologies.
C'est ce qui arrive à Momo et sa petite soeur. Leurs parents leur sont arrachés pour une raison que leur entendement ne conçoit pas. du jour au lendemain Momo devient adulte. Il apprend à mentir, aux autres et à lui-même. C'est la fracture. A l'insouciance se substitue la violence. L'instinct de survie commande. La transition de l'âge tendre vers l'obligation de prendre des initiatives est alors bien trop brutale pour assurer une maturation sans meurtrissure. Mais il fait face.
Momo a pris la mesure de la responsabilité qui lui est tombée sur les épaules vis-à-vis de sa jeune soeur. Ils doivent survivre. Il lui revient le devoir d'entretenir l'espoir. A 15 ans il devient le débrouillard des Halles. Son sens de l'entreprise se dévoile. Il s'est donné pour but de ramener ses parents à sa petite soeur. Il lui faut pour cela gagner de l'argent. Même si c'est pour entretenir une illusion.
La méfiance qui s'est ancrée en lui le rend suspicieux. Il découvre pourtant que d'autres personnes peuvent être source d'amour. En tout cas procurer un substitut à l'amour parental dérobé. Bulle, la prostituée qui partage leur refuge, sera cette bouée de sauvetage. Elle ira d'ailleurs bien au-delà dans son engagement.
C'est le premier roman de
Philippe Hayat, déjà auteur de plusieurs ouvrages sur la culture d'entreprendre. Il est fondateur de l'association 100 000 entrepreneurs. C'est donc un homme d'entreprise, d'initiative. Son héros lui ressemble. Mais c'est paradoxalement à mon sens le point faible de son roman. Dans un contexte de pénurie, de couvre-feu, cette transposition d'un succès d'entreprise, genre jeune prodige montant une start-up, a quelque chose d'un peu décalé. Son jeune héros, se sentant pousser des ailes, se lance à corps perdu dans les affaires. Partant de rien, il organise un repas pour 50 personnes dans les salles du restaurant Chez Maxim's. A coeur vaillant rien d'impossible. Ce succès fulgurant de l'audacieux met un peu en délicatesse la crédibilité du roman. de la même manière que les confidences de Bulle à son petit protégé, en forme de psychanalyse de sa clientèle. Il y a une forme d'anachronisme des comportements, en déphasage avec la pudeur de l'éducation de nos parents qui ont connu cette époque.
Ce roman m'a permis de me plonger dans cet épisode peu glorieux de l'histoire de notre pays. Les personnages portent bien l'habit de leur rôle. L'auteur a su faire oeuvre de perfectionniste dans la vérité historique. C'est construit. C'est une mécanique bien huilée. Peut être un peu trop. La sensibilité est là, mais calculée, contingentée par l'intention d'atteindre un but. Mais au final c'est quand même plutôt réussi.