N'eût été le respect conjointement dû au "grand-mât*" et à tout ancien du commerce à la voile, ce livre aurait pu être ouvert sur l'échange d'inamabilités et de quelques noms d'oiseaux.
Il s'en est fallu de peu !
Allez donc, je n'ai pas la tête près de mon bonnet de mer.
Mais, tout de même !
Qualifier, dès la première page, de "triste bordée", celle du milieu et, de fatras de marine, les commis aux vivres, écrivains, coqs, barbiers et autres petits métiers du bord peu amarinés !
Cap'taine, le service Commissariat vous remercie ...
Heureusement, "Dictons, tirades et chansons des anciens de la voile" est un bon livre.
Il est paru en 1971.
Il est cousu d'histoires vraies laissant place à l'imagination et à la fantaisie.
L'ouvrage, pourtant, n'est pas un recueil de récits et de citations.
C'est un essai, un livre de souvenirs, qui replace chaque extrait dans son contexte.
Le cap'taine Hayet a ouvert le cahier du père Labar'ch !
Mais sous l'oeil suspicieux de ce dernier, n'a réussi à en recopier que quelques courts passages ...
Ce livre est le résultat de près de 25 ans de recherches, de rencontres et de trouvailles miraculeuses dans les nombreuses échoppes des bouquinistes et brocanteurs de Bordeaux qui, jusqu'en 1914, décongestionnaient les greniers, les mansardes, les caves des imposants hôtels de la vieille noblesse d'Aquitaine.
Mais l'ouvrage est aussi la patiente retranscription d'une langue orale aujourd'hui disparue.
Il raconte les temps révolus, de 1897 à 1914, de l'admirable dernier essor du grand commerce à la voile.
Il y a, dans tous ces dictons, dans toutes ces tirades et ces chansons, de la poésie, une poésie, ignorant tout du genre, mais se distinguant par la spontanéité, la force et l'exactitude de l'image ou de la comparaison.
Cet imaginaire de "torcheurs de toile", "de mangeurs d'écoute", ces observations patientes de matelots et de pêcheurs souvent illettrés, recopiés par les gens de l'arrière sachant eux lire et écrire, sont empreintes du romantisme issu de ce monde hors-norme des grands navires à voiles d'autrefois.
Le capitaine Armand Hayet, ici, a fait oeuvre d'écrivain.
N'eût été le respect dû au "grand-mât*", je lui aurai souhaité la bienvenue dans la bordée du milieu !
Mais ce serait être mauvais matelot, lecteur ingrat de le faire sans d'abord avoir remercié son auteur de nous avoir offert ce livre indispensable ...
* le "grand-mât est le "pacha", le commandant du navire.
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Ces hommes, dont la vie se passait dans les ténèbres de la cale, gardiens vigilants de cet inestimable trésor qu'était l'approvisionnement en rechanges de toutes sortes - câbles, haussières, filins, toile à voiles, poulies -, inspiraient une sorte de crainte respectueuse aux autres matelots.
Ne comptant ni chez les tribordais, ni chez les bâbordais, ne faisant pas non plus partie de la triste "bordée du milieu" : commis aux vivres, écrivains, coqs, barbiers et autres fatras de marine, ils ne répondaient à aucun appel, n’obéissaient même pas aux impératifs coups de sifflet du maître de manœuvre ...
- "Tirer sur le Bon Dieu", procédé cher aux capitaines corsaires de la Manche et de la mer Océane mais réprouvé par beaucoup de matelots, et qui consistait à crier le plus fort possible le nom du vent désiré puis à tirer des coups de fusil vers le ciel, tout en traitant le "Bon Dieu" de "Pierrot" !
Il y a quelques vingt ans, au cap Horn, une nuit dans un coup de chien, à bord d'un grand long courrier, on serrait le hunier.
Toute une bordée, la moitié de l'équipage était montée : pas un homme ne redescendit ... Sur le pont, personne n'avait rien vu, rien entendu ...
"Sois prévoyant, c'est le vieux dict :
N'embarque pas sans biscuit,
Ne va pas aux congres sans crochet,
A la fille sans écus, sans poignard au cabaret".
"Qui tue les goélands
Met la mort entre ses dents".