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EAN : 9782912107299
122 pages
Raisons d'agir (02/02/2006)
3.82/5   68 notes
Résumé :
De modernité à gouvernance en passant par transparence, réforme, crise, croissance ou diversité, la Lingua Quintae Respublicae (LQR) travailla chaque jour dans les journaux, les supermarchés, les transports en commun, les " 20 heures " des grandes chaînes, à la domestication des esprits.
Comme par imprégnation lente, la langue du néolibéralisme s'installe : plus elle est parlée, et plus ce qu'elle promeut se produit dans la réalité. Crée et diffusée par les p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Le Troisième Reich avait sa « Lingua Tertii Imperii » (Victor Klemperer), Eric Hazan dote la Ve République française de sa « Lingua Quintae Reipublicae » -LQR. La novlangue de George Orwell est une bonne blague quand on la compare à cette LQR dotée du funeste privilège de son actualité.


Eric Hazan postule l'existence d'une LQR créée par les dominants bourgeois et capitalistes pour assurer leur domination sur le peuple. le but de cette langue serait de rendre les conflits politiques et sociaux inaudibles. Eric Hazan n'analyse pas ce phénomène d'un point de vue scientifique mais il procède par associations d'idées en rapprochant les faits, les auteurs et les phénomènes qui ont retenu son attention au cours de la période dévolue à l'observation de la LQR dans son milieu. Cette langue se définit moins par la création de mots et expressions nouveaux que par le détournement de leur utilisation classique. Les procédés utilisés à cet égard sont :

- L'euphémisme qui permet de déployer des techniques d'évitement et de contournement. Citons en exemple l'utilisation du mot « crise » qui ne devrait désigner qu'une période ponctuelle et de brève durée, et non pas un état de fait long et chronique.
- le déni, ainsi que le montre l'emploi schizophrénique des mots « communication », « échange » ou « diversité » au moment où ils semblent convenir le moins à notre société.
- L'essorage sémantique défini par Eric Hazan comme « une bouillie dont le sens s'évapore peu à peu » par une utilisation répétée et abusive. C'est le cas, par exemple, du mot « réforme ».
- L'antiphrase.
- L'amplification rhétorique qui permet de dramatiser une idée sans prendre le risque par ailleurs d'être pris à la lettre. Citons par exemple les métaphores guerrières comme le concept de « guerre de civilisation », « opération coup de poing » ou « prise en otage ».


L'analyse d'Eric Hazan relève des processus incontestables et parfois éclairants, même s'ils tombent parfois dans le piège du consensus incorrect. Même s'il ne le dit jamais clairement, Eric Hazan souligne l'idée selon laquelle le véritable pouvoir est passé du groupe politique au groupe financier. En témoignerait l'opposition entre société civile et gouvernement qui n'aurait pas d'autre but que de mettre le pouvoir politique dirigeant et électeur dos contre dos pendant que le pouvoir financier se faufile discrètement et inonde le marché de ses inventions.


« En attribuant les vices du système politico-financier au manque de vertu des dirigeants, on fait coup double. D'un côté, ceux qui jouent le rôle de censeurs manifestent leur courage et leur indépendance. […] de l'autre, le tournant éthique permet à la LQR de fournir, pour l'essentiel des maux, des explications tenant à des personnes, les responsables. »


Autre écueil de l'ouvrage que nous pouvons signaler : Eric Hazan cède parfois lui aussi à l'amplification rhétorique en faisant passer les dominants financiers pour les maîtres de la LQR. Alors que Pierre Bourdieu écrivait dans son livre Sur la télévision : « Je crois que la dénonciation des scandales, des faits et des méfaits de tel ou tel présentateur […] peut contribuer à détourner de l'essentiel, dans la mesure où la corruption des personnes masque cette sorte de corruption structurelle (mais faut-il encore parler de corruption ?) qui s'exerce sur l'ensemble du jeu […] », Eric Hazan préfère dénoncer des groupes ou des institutions, légitimant ainsi la séparation entre dominants et dominés de la LQR. Il aurait été pourtant beaucoup plus riche de se demander en quoi les classes financières et bourgeoises sont elles aussi manipulées par un langage qu'elles modifient en fonction de leurs besoins, et de quelle manière les classes populaires légitiment cette langue en l'intégrant à leur discours quotidien. Il faudra essayer de prendre du recul vis-à-vis des dénonciations de l'auteur pour prendre conscience que nous utilisons tous, tous les jours et à notre insu, cette LQR qui a vidé certains mots de leur signification classique pour les doter d'une signification imagée que notre bon sens diplomatique (notre langue de bois) n'oserait pas prononcer franchement.
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La Lingua Quintae Respublicae (LQR), la langue du néolibéralisme, s'installe par lente imprégnation, diffusée par les économistes et les publicitaires, reprises par les politiques. Elle oeuvre à la domestication des esprits, à la conformité et à la soumission. Éric Hazan passe en revue une partie de son lexique et décortique son fonctionnement, pour tenter d'identifier et de décrypter cette « nouvelle version de la banalité du mal ».
(...)
Si intuitivement nous avions bien sûr déjà noté l'utilisation douteuse et manipulatrice de tel ou tel vocable, le passage au crible de la langue du néolibéralisme par Éric Hazan met en lumière un véritable système sémantique et ses intentions sournoises. Il contribue, en le démasquant, à le combattre, puisque pour persister il doit surtout ne jamais apparaître pour ce qu'il est.

Article complet sur le blog.
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Eric Hazan, éditeur engagé de l'Insurrection qui vient (qui lui aura valu d'être entendu par la direction de l'antiterrorisme de la police judiciaire, mais c'est là un autre sujet), auteur de la délectable "Invention de Paris, il n'y a pas de pas perdus", nous livre ici une critique de la langue de la cinquième république, et tente de montrer comment les médias, les lexiques et vocables des publicitaires, des économistes, des politiques sont un puissant outil de contrôle des masses non pensantes. La référence à "LTI la langue du troisième Reich" - l'oeuvre de Klemperer qui disséquait le travail de manipulation de la langue nazie - est avouée d'entrée. Mais Hazan n'a pas ici le talent du linguiste allemand, peut être que la subversion nazie était plus puissante et que le travail d'analyse en est moins intéressant. Toujours est-il qu'on sombre parfois un peu dans la facilité du discours idéologique contraire.
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Éric Hazan, directeur des éditions La Fabrique, entreprend d'analyser les mouvements actuels de notre langage courant. D'euphémisme en périphrase, l'auteur nous dévoile une entreprise collective de lissage de la langue à laquelle nous participons parfois bien volontiers. L'escamotage de termes trop bruts, chargés symboliquement ou idéologiquement, leur remplacement progressif par une jargonnante et insidieuse langue de bois rappellent à notre bon souvenir la novlangue de George Orwell et nous alertent, une fois n'est pas coutume, à propos des effets du langage sur la liberté.
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Dans ce livre écrit en 2006, Eric Hazan décrypte avec acuité la langue du néolibéralisme. Les mots de ses partisans sont toujours autant employés à l'heure actuelle : "'crise", "réforme", "croissance", "modernité"... Hazan démontre que ce poison que peut être la langue dixit Klemperer permet en l'occurrence de maintenir l'ordre social et empêcher toute opposition. On peut en conclure qu'il faudrait remercier les "élites" de ce formatage des esprits... ou non, ne faudrait-il pas plutôt les nommer les oligarques?
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
De [Walter] Benjamin, on cite souvent le « moderne » comme temps de l’enfer, que l’on transforme en « la modernité c’est l’enfer » alors que la suite du paragraphe révèle une intention toute différente : « Le visage du monde ne se modifie jamais dans ce qu’il y a de plus nouveau, cette extrême nouveauté demeure en tous points identique à elle-même. C’est cela qui fait l’éternité de l’enfer » -ce qui est une critique non pas de la modernité mais de la notion de rupture historique. On la retrouve un peu plus loin : « Avoir conscience de façon désespérément lucide de se trouver dans une crise décisive est un phénomène chronique dans l’histoire de l’humanité. Chaque époque se sent inéluctablement vouée à être un âge nouveau. Mais le « moderne » est aussi varié que les différents aspects d’un même kaléidoscope ».
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Dans le langage psychanalytique, la dénégation est l'expression, sur le mode du refus, d'un désir refoulé. J'ignore si les psychanalystes ont un mot pour désigner ce qui en serait comme une sorte de variante inversée. La LQR fait grand usage de ce tour : prétendre avoir ce qu'on n'a pas, se féliciter le plus pour ce qu'on sait posséder le moins.
Ainsi, lorsque la précarité est venue s'ajouter au contrôle disciplinaire pour effacer ce qui restait d'humain dans les entreprises, lorsque la consommation des drogues et psychotropes par les salariés a commencé à exploser, les anciens directeurs du personnel se sont vus transformés en directeurs des ressources humaines, les DRH. (La parenté est curieuse entre les théories néolibérales du « capital humain » et la brochure de Staline longtemps diffusée par les Editions Sociales, L'Homme, capital le plus précieux.)
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Le grand mouvement euphémistique qui a fait disparaître au cours des trente dernières années les surveillants généraux des lycées, les grèves, les infirmes, les chômeurs –remplacés par des conseillers principaux d’éducation, des mouvements sociaux, des handicapés, des demandeurs d’emploi- a enfin permis la réalisation du vieux rêve de Louis-Napoléon Bonaparte, l’extinction du paupérisme. Désormais, il n’y a plus de pauvres mais des gens de condition modeste, plus d’exploités mais des exclus, plus de classes mais des couches sociales. C’est ainsi que la LQR substitue aux mots de l’émancipation et de la subversion ceux de la conformité et de la soumission.
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Il entre souvent une part de comique involontaire dans ces efforts de promotion à tout prix. À une époque où l’on compte un nombre inhabituel d’escrocs et de menteurs au plus haut niveau des grandes sociétés, des partis et de l’État, où l’on ne sait plus si le mot affaires a trait aux activités économiques ou aux scandales financiers, les oligarques et leur personnel de haut rang sont présentés dans les médias comme nos élites. 
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La LQR rétablit un divorce qui sert les intérêts dominants. Elle désigne par « société civile » tout ce qui n’appartient pas au monde politique, à l’univers étatique, et même s’oppose (positivement) à eux.
[…] Derrière ces intentions se dessinent par transparence les arguments en faveur du « moins d’Etat » libéral et se reconnaît « le paradoxe qui fait valoir sous le nom de démocratie la pratique consensuelle d’effacement des formes de l’agir démocratique ».
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Videos de Éric Hazan (17) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Éric Hazan
Rencontre au Cirque électrice le 17 novembre 2022 Captation par Anthony Francin Paul Rocher est l'auteur de "Que fait la police ? et comment s'en passer" (https://lafabrique.fr/que-fait-la-police/) et de "Gazer, mutiler, soumettre Politique de l'arme non létale" (https://lafabrique.fr/gazer-mutiler-soumettre/) Frédéric Lordon est notamment l'auteur de "Figures du communisme" (https://lafabrique.fr/figures-du-communisme/) et de "Vivre sans? Institutions, police, travail, argent..." (https://lafabrique.fr/vivre-sans/) À lire également : "Police" avec les contributions de Amal Bentounsi, Antonin Bernanos, Julien Coupat, David Dufresne, Eric Hazan et Frédéric Lordon (https://lafabrique.fr/police/) Un grand merci à la librairie Planète Io (Rennes)
+ Lire la suite
>Culture et normes de comportement>Pratiques culturelles>Sociolinguistique, ethnolinguistique (25)
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