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Critique de Gehenne


L'âme des piétons de Paris sourd de cet hymne à la capitale, enrichi par une vraie tendresse à l'égard de ses habitants les plus modestes. Parmi les multiples livres consacrés à cette cité à nulle autre pareille, celui-ci s'avère inspiré, original et combatif, bien étayé par un travail de recherche minutieux et éclairant et par une profonde culture littéraire. Eric Hazan a conduit son récit avec maestria le long de trois chemins successifs.
Le premier déroule l'histoire de l'évolution (l'invention, joli titre) d'une cité qui s'est construite par cercles concentriques et par... barrières successives (six en huit siècles, celle de Philippe Auguste inaugurant ce système destiné à protéger la ville contre les envahisseurs potentiels) et de part et d'autre de son fleuve-roi, la Seine. L'excellente idée d'Hazan est d'avoir appelé à la rescousse le gratin des Lettres (particulièrement du XIXe siècle, avec Balzac et Hugo en figures de proue) pour décrire la croissance protéiforme de Paris, croissance maintenue à l'intérieur de ces barrières pour conquérir de nouveaux espaces pris sur la campagne environnante et intégrer des villages entiers (Auteuil, La Chapelle, Les Batignolles, Montmartre...) La conquête reste limitée pour une ville de cette taille et se conclura avec sa prise au lasso par l'ultime barrière, le périphérique offert en 1960 au dieu automobile.
Le chemin suivant emprunté par Hazan est plus politique, plus polémique aussi puisqu'il relate le Paris des barricades, lesquelles furent érigées à de nombreuses reprises au cours du XIXe siècle. C'est le Paris rouge, le Paris des petites gens, celui du peuple maltraité par la double lame de l'aristocratie et de la bourgeoisie. Ses représentants eux-mêmes l'ont abandonné à plusieurs reprises. Car à côté des mouvements de 1789, les barricades de 1827, de juillet 1830, de juin 1832, de février 1848, clairement hostiles au pouvoir royal, voici juin 1848 et mai 1871 où cette fois, ce sont bien des républicains au pouvoir qui sont mis en cause par la population parisienne et réagissent avec une extrême violence, et Hazan s'interroge : "Quinet, Arago, comment ces vieux républicains en vinrent-ils à canonner le peuple?". Et comment, sous le regard goguenard et complice des Prussiens, les républicains qui ont succédé à Napoléon III ont-ils pu réprimer si atrocement la Commune ? Des questions qui restent ouvertes et sujettes à nombre d'analyses souvent contradictoires.
Pour alléger son propos, Hazan revient à Balzac (on revient toujours à Balzac !) dans un dernier chemin déambulatoire consacré aux "flâneurs" : "Oh, errer dans Paris ! adorable et délicieuse existence ! Flâner est une science, c'est la gastronomie de l'oeil. Se promener, c'est végéter. Flâner c'est vivre." Comment résister à la philosophie de l'auteur de la "Comédie humaine" dont on croit à tort qu'il restait confiné en robe de chambre dans son bureau alors qu'il aimait à parcourir les rues de Paris, nourrissant ainsi ses romans, et cherchant par ailleurs la meilleure demeure pour accueillir Mme Hanska !
Baudelaire, Apollinaire, Walter Benjamin, Aragon mais aussi Monet, Manet, Atget et Doisneau, tous ont donné de Paris cette magie que verbe pour les uns, images pour les autres ont illustrée avec talent et tendresse. Oui, André Breton a raison : "Il n'y a pas de pas perdus".
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