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Critique de horline


1947. le Grand Incendie de 39-45 ne finit pas de consumer le monde d'après-guerre entre un Japon occupé qui tente de panser les blessures d'Hiroshima et une Chine sur le point de tomber entre les mains de Mao. L'Europe n'est nullement épargnée : après la ferveur exaltante de la victoire, le vieux continent en cendres connaît la privation, le rationnement et la vacuité désespérée.


Dans cet univers de désolation, Shirley Hazzard confie une mission d'observation des conséquences de la guerre sur la société traditionnelle chinoise à un soldat britannique, Aldred Leith, décoré de guerre et basé au Japon, dans l'optique d'en faire un livre. Jeune homme raffiné, sinologue cultivé et esthète, il séduit par sa vivacité d'esprit et un regard distancié nullement aussi arrogant que celui porté par australiens et anglais installés en Asie.
Il faut dire que les obsolescences coloniales sont tenaces, la victoire a un goût amer tant les consciences sont tournées vers le passé comme enfouies sous les gravats.

Entre errances vagabondes, chacun se laisse accaparer par la solitude du survivant, le sentiment de perte et de désintégration…jusqu'au jour où une flamme de vie éveille un désir d'avenir. Pour Leith, c'est la rencontre avec Helen, jeune australienne « apportée par les fées »…


Indubitablement, le roman de Shirley Hazzard nous affranchit de notre vision fantasmée de la victoire. Il fait tomber toutes les barrières cognitives du lecteur à travers un regard omniscient qui éclaire de manière convaincante les blessures intérieures, les victimes différées et le sentiment d'humanité lancinante des choses lorsque tout n'est qu'à l'état de ruine. Doté d'une plume vouée à l'écriture abstraite et désincarnée, l'auteur australien analyse avec finesse et pertinence les états d'âme de ses personnages, décortique avec rigueur les oscillations de la conscience au gré des évènements. On se laisse séduire par cette faculté que possède Hazzard d'analyser les âmes sans concession, sans pour autant que le récit soit inscrit dans une objectivité froide et clinique.
Si l'auteur se concentre sur les portraits psychologiques, qui se révèlent remarquables, force est de constater que les évènements qui assombrissent le Japon et guettent la Chine sont malheureusement suggérés à titre accessoire. le lecteur ne doit pas rechercher la fresque historique dans la trame du récit, les faits et les paysages ne servant finalement qu'à refléter les introspections des personnages.

Dés lors, le Grand Incendie pourrait apparaître comme un roman psychologique mais la rupture de ton et l'emprise des sentiments font basculer le récit vers le roman d'amour. La plume de Shirley Hazzard déploie une sensibilité grandissante au fur et à mesure que les sentiments du soldat anglais et de l'adolescente de 17 ans s'épanouissent dans la difficulté et l'éloignement.
Leçon de style lentement abandonnée, le récit glisse progressivement de l'exploration subtile des plaies béantes de l'âme vers un sentimentalisme abrupt. La séparation a la faculté d'éveiller en chacun d'eux un tempérament romantique longtemps occulté et un désir de plus en plus vif. Leith découvre une vulnérabilité nouvelle balayant la raideur et le flegme jusque-là affichés, et ce qui ressemble au doute…celui de ne jamais se retrouver ?
Les émotions peuvent apparaître exacerbées dans ce chaos, laissant finalement l'impression que la construction du roman doit répondre à un processus de résilience permettant à deux rescapés de se reconstruire, l'amour devenant le seul port d'attache pour un homme qui a toujours voyagé pour exorciser son passé.

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