Eh bien, je crois que nous tenons ici un témoignage absolument essentiel, et cela pour plusieurs raisons.
D'abord, parce qu'il met en exergue la complexité de la situation en Syrie (j'avais loué un autre livre, "Jours tranquilles à Damas", du journaliste belge François Janne d'Othée, pour les mêmes raisons), qui nous a toujours été décrite à travers le prisme déformant de journalistes pas toujours très indépendants et/ou bien renseignés (à moins de faire l'effort de chercher d'autres sources que celles qui ont pignon sur télévision). Personnellement, j'ai beau avoir une culture sur le sujet supérieure à la moyenne grâce à mes contacts dans la communauté syrienne réfugiée, j'ai appris plusieurs choses que j'ignorais, comme la différence entre les peshmergas et le YPG (2 forces kurdes bien différentes et ennemies politiques), ou comme l'attitude peu louable d'Amnesty International dans ce conflit (ce qui m'a beaucoup déçu : j'avoue que je pensais cette ONG plus sérieuse dans ses affirmations).
Quant à l'odieuse complicité (pour ne pas dire alliance) entre Daech et la Turquie du despote Erdogan, j'en avais conscience et je n'ai hélas pas été surpris par son ampleur... Alors que la plupart des occidentaux intéressés par le sujet ne l'ont découverte qu'en 2018, lors de leur offensive contre Afrîn.
Le lecteur peu au fait des guerres du Moyen-Orient apprendra aussi beaucoup sur l'hypocrisie des alliés occidentaux, paralysés par leurs alliances géopolitiques, leurs intérêts stratégiques et leurs contrats d'armement, et sur la manière dont ils se sont servis des Kurdes pour ensuite les lâcher à la merci d'Erdogan (les Américains en tête). Et bien sûr, sur l'hypocrisie des bandits et pillards de Daech qui volent, violent et se droguent, autant de crimes pour lesquels ils appliquent la peine de mort aux civils qu'ils asservissent.
Ensuite, ce témoignage est essentiel car il est honnête et non tronqué. Hébert a beau dire d'emblée qu'il est un militant révolutionnaire, qu'il n'est pas neutre et qu'il l'assume, il n'hésite pourtant pas à égratigner le YPG qu'il a loyalement servi pendant 18 mois : la chaîne de commandement parfois incompétente, le peu de cas fait des blessés, etc. À la lumière de ceci, lorsqu'il fait l'éloge du YPG (pour le tekmil par exemple, ce conseil de guerre où tout le monde a le droit à la parole, ou pour le respect des civils et des prisonniers de guerre jihadistes), on le prend très au sérieux et cela apparaît comme tout sauf de la propagande dénuée de sens critique.
Également, ce témoignage est primordial parce qu'il est francophone, et que c'est celui d'un ancien étudiant en master d'histoire, donc un lettré. Or, on comprend que la majorité des volontaires internationaux sont soit anglo-saxons, soit des anciens de la légion étrangère, peu de gens auraient donc pu rédiger un témoignage francophone de cette qualité (remarquable) sur ces tragiques évènements, et nos historiens pourront l'en remercier chaudement.
Je ne m'étendrai pas sur la démarche de l'auteur lui-même, ce serait faire bien peu d'honneur à l'humilité qu'il revendique (et qui n'est pas galvaudée), mais je dirai juste qu'il a tout mon respect, si ce n'est mon admiration, et que le parallèle qu'il dresse avec les Brigades Internationales de la guerre d'Espagne me semble tout à fait adapté.
Finalement, le seul reproche que j'ai à lui faire, c'est le choix de ce pseudonyme, par allusion au révolutionnaire Jacques-René Hébert. Une étude plus approfondie de sa biographie aurait montré à l'auteur que celui-ci était un hypocrite, un couard et un grossier personnage.
Non, vraiment, André Hébert méritait un meilleur pseudonyme que celui-ci. Robespierre, par exemple.
Merci aux éditions Les belles Lettres et à Babelio pour cet ouvrage découvert dans le cadre de l'opération Masse Critique.
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Témoignage désarmant plutôt rare d'un combattant français de 25 ans contre Daesh.
Il a rejoint les forces kurdes pour combattre la barbarie de Daesh. Sa présence sur place n'a duré que quelques mois mais vu l'intensité des combats et les conditions déplorables de vie, le lecteur peut bien s'imaginer qu'une seconde pouvait donner l'impression de durer une heure et pourtant cette seconde suffit à tuer un homme.
L'auteur explique en toute simplicité les conditions dans lesquelles se déroulaient les combats, l'aide apportée par les forces de la coalition et son abandon des Kurdes aux bombes turques, la coopération de la Turquie avec Daesh et toutes les horreurs que les humains ont eu à subir de la part d'hommes qui se disaient agir selon la voix de Dieu alors qu'ils avaient tout du démon, sans compter que tout ce qu'ils interdisaient à la population, ils se l'autorisaient sans complexe.
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Le livre s’inscrit déjà dans la lignée des grands témoignages sur la guerre. Outre ses qualités littéraires incontestables, l’auteur sait mettre en perspective.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Le livre s’inscrit déjà dans la lignée des grands témoignages sur la guerre. Outre ses qualités littéraires incontestables, l’auteur sait mettre en perspective ; ses études d’histoire n’y sont pas pour rien.
Lire la critique sur le site : NonFiction
L’internationalisme c’est avant tout la capacité de partager la lutte des exclus à travers le monde, de se révolter contre l’injustice qui les frappe comme si elle nous frappait nous mêmes, d’avoir conscience qu’en dépit des barrières séparant les hommes, nous partageons tous une même condition et un même combat contre l’aliénation. L’engagement révolutionnaire internationaliste repose sur l’étude des failles du système global et des dynamiques qui émergent pour le renverser. Il s’agit avant tout d’une démarche rationnelle et pas d’un élan émotionnel et romantique.
Concernant la Syrie, Bachar Al-Assad faisait l'unanimité contre lui, mais les médias se gardèrent bien de détailler la nature de l'opposition à son régime. Les diverses factions en faisant partie, islamistes et démocrates, arabes et kurdes, étaient considérées comme une seule entité, en dépit de leurs différences majeures. Cette neutralité malveillante, consistant à refuser d'établir une claire distinction entre les différents acteurs de l'opposition, a contribué à rendre la situation de la Syrie inintelligible pour les opinions publiques. Ce conflit interminable semblait dépasser les capacités d'analyse des experts médiatiques habituées à des guerres-éclairs, réglées selon des scénarios hollywoodiens. Une vision simpliste et superficielle a donc longtemps prévalu quant à sa nature, parce que les journalistes ont majoritairement renoncé à leur devoir de pédagogie. Quand il fut avéré que la majorité de l'opposition arabe syrienne se réclamait de l'islam politique, et que ces groupes commettaient des crimes de guerre, la confusion ambiante atteint son paroxysme. Dans cet imbroglio, les médias internationaux, qui avaient couru après d'inexistantes révolutions au Maghreb et au Moyen-Orient, passèrent sous silence les soulèvements des Kurdes de Syrie, la seule véritable révolution issue de l'ère des "printemps arabes".
Quant aux Kurdes, ils furent d'abord réticents à prendre Raqqa. Après la difficile bataille de Manbij, les généraux du YPG refusèrent de sacrifier davantage de cadres du Parti dans la lutte contre Daech. Ces combattants devaient se concentrer sur leur vocation première: défendre le Kurdistan contre le régime syrien et les Turcs au lieu de prendre, au prix de lourdes pertes, des zones arabes dans lesquelles la population pourrait leur être hostile et les percevoir comme des envahisseurs. Raqqa était le dernier fief de l'Etat islamique. Occupé depuis des années par le groupe djihadiste, pourvu de très nombreux défenseurs aguerris, la bataille pour sa capture s'annonçait comme l'une des plus meurtrières du conflit. Toutefois, la menace turque se faisant de plus en plus présente, les Kurdes comprirent que s'impliquer dans la prise de cette ville était pour eux un gage de survie à court terme, car cela permettrait de retarder les plans d'invasion de leur ennemi héréditaire. (...) Sur la pression de la coalition, et en échange d'un soutien militaire, financier et politique durable, les commandants des Forces démocratiques syriennes finirent par accepter début novembre 2016 de s'emparer de la ville.
Cette neutralité malveillante [des journalistes] consistant à refuser d'établir une claire distinction entre les différents acteurs de l'opposition, a contribué à rendre la situation de la Syrie inintelligible pour les opinions publiques. (...) Une vision simpliste et superficielle a longtemps prévalu parce que les journalistes ont majoritairement renoncé à leur devoir de pédagogie. Quand il fut avéré que la majorité de l'opposition arabe syrienne se réclamait de l'islam politique, et que ces groupes commettaient des crimes de guerre, la confusion atteint son paroxysme. Dans cet imbroglio, les médias internationaux, qui avaient couru après d'inexistantes révolutions au Maghreb et au Moyen-Orient, passèrent sous silence le soulèvement des Kurdes de Syrie, la seule véritable révolution issue de l'ère des "printemps arabes". En Syrie, il n'y a pourtant pas que Daech, Assad et autres massacreurs. Il y a aussi et surtout un peuple et un parti engagés dans une lutte qui est un modèle de progrès pour l'humanité. Quand le pire et le meilleur s'affrontent, les journalistes sont souvent obnubilés par le pire, ce qui les empêche d'aider le meilleur à triompher.
J'appris par la suite que le Conseil représentant la population de Raqqa avait joué un grand rôle dans les négociations qui avaient abouti à la fuite des djihadistes, afin de sauver les habitants pris au piège dans les zones de combat. Il est vrai que de trop nombreux civils furent tués pendant cette bataille. Un volontaire britannique m'a raconté qu'à l'hôpital municipal, transformé en camp retranché, les combattants de Daech brandissaient des nourrissons par les fenêtres pour empêcher les nôtres de leur tirer dessus. dans ces conditions, face à un ennemi dont la barbarie n'a d'égale que la lâcheté, cet accord était sans doute nécessaire et il a permis de sauver de nombreuses vies. Quelques centaines de moudjahidines se retirèrent donc de Raqqa en bus. Ils partirent avec armes et bagages, et leurs familles servant d'otages pour éviter d'être bombardés en chemin. Ils arrivèrent sains et saufs dans la province de Deir-Es-Zor, où les FDS les poursuivirent quelques semaines plus tard. Cet accord ne faisait que reporter le juste châtiment qui attendait ces fuyards : la capture ou la mort.
Pour consulter les titres parus dans cette collection : https://www.lesbelleslettres.com/collections/20-memoires-de-guerre
La collection Mémoires de guerre a pour but de publier des textes inédits ou oubliés d'écrivains, de journalistes, de soldats sur les conflits qu'ils ont vécus. Celle-ci a débuté à l'automne 2012 avec la publication de deux auteurs majeurs : Curzio Malaparte avec La Volga naît en Europe récit de son expérience de correspondant de guerre sur le front russe durant le second conflit mondial et Winston Churchill, avec, son tout premier ouvrage, inédit en France, La Guerre de Malakand dans lequel le futur prix Nobel de littérature raconte, en 1897, sa guerre en Afghanistan. .
Si la collection a publié à parts égales ces dernières années les grands classiques du genre, parmi lesquels les écrits de John Steinbeck, Martha Gellhorn, Eugène Sledge, Evelyn Waugh, elle a aussi accueilli des auteurs contemporains. Des militaires français comme le commandant Brice Erbland, pilote d'hélicoptère en Afghanistan et en Libye, Guillaume Ancel et ses témoignages sans concessions sur la guerre en ex-Yougoslavie et au Rwanda, André Hébert, jeune militant communiste parti se battre aux côtés des Kurdes contre Daech, la journaliste Pauline Maucort et ses portraits de soldats victimes de stress post-traumatique ou encore les officiers de la Légion étrangère qui ont témoigné dans un ouvrage collectif. La collection vient également d'obtenir le prix Erwan Bergot 2020 pour le texte du dernier Compagnon de la Libération, Hubert Germain.
Mémoires de guerre est dirigée par François Malye, petit-fils d'un des fondateurs des éditions Les Belles Lettres et grand reporter au magazine le Point. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages historiques : Histoire secrète de la Ve République (en collaboration, La Découverte, 2006) ; Napoléon et la folie espagnole (Tallandier, 2007) ; François Mitterrand et la guerre d'Algérie (avec Benjamin Stora, Calmann-Levy, 2010) ; La France vue par les archives britanniques (avec Kathryn Hadley, Calmann-Lévy, 2012 . De Gaulle vu par les Anglais, Calmann-Lévy, 2020, reédition) Camp Beauregard, Les Belles Lettres, 2018.
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