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Critique de Apoapo


Jusqu'à présent, j'ai connu Sadegh Hedayat comme un nouvelliste (et marginalement un romancier) caractérisé par la noirceur et le désespoir de ses créations très originales. Je découvre ici un espiègle dramaturge doublé de critique politique amer, habile dans le maniement de la satire. Si ce récit n'est pas proprement une pièce de théâtre, les dialogues et monologues y sont remarquablement plus abondants que les descriptions que le narrateur consacre au héros éponyme, lesquelles, de plus, peuvent être lues en grande partie comme des indications de mise en scène ou parfois des mises en contexte historiques et sociologiques. Mais surtout, nombreux sont les clins d'oeil que le grand auteur persan adresse au lecteur de Molière, pour créer un personnage qui unit Harpagon à Tartuffe, dans le cadre iranien de la passation de pouvoir entre le chah Rezâ Khân Pahlavi (déposé par les Alliés) et son fils Mohammad Rezâ, au début des années 40. Dans une économie de guerre et une politique de fortes ingérences britanniques et soviétiques, ce personnage affreux et abominable incarne tous les vices, toutes les duplicités, toute l'immoralité d'une société corrompue jusqu'à la moelle, et, comme on le comprend vers la fin de l'ouvrage, il encourage déjà les prémisses de ce qui sera la Révolution islamique. La satire anti-religieuse acerbe explique que cet ouvrage circule sous le manteau en Iran (tout comme l'ensemble de l'oeuvre de cet auteur que portant toute personne cultivée connaît). Par ailleurs, on apprend que l'oligarchie politico-économico-militaire, de même qu'elle a envisagé le passage du despotisme au constitutionnalisme et à la dénommée démocratie comme une simple mascarade, n'avait en 1941 aucunement renoncé à ses sympathies pour Hitler avec néanmoins une regard au loin vers les États-Unis. Comme dans les héros de Molière, le dosage est parfait entre l'indignation et le ridicule que Hâdji Aghâ inspire, de façon intemporelle. Quant aux personnages secondaires, avec une touche désuète, leurs noms sont pour la plupart traduits dans la caricature de leur fonction, tels Bannière-de-la-Foi, Stabilité-du-Ministère, le colonel de Hautessor ou M. Poigne-Fortunée. Enfin, par ultime touche de classicisme français, l'excipit du livre est en latin :
« FINIS LIBRI HADJI AGHA / DOMINO MUNIFICENTI ADJUVANTE / IN URBE TEHRANO CONFECTI / QUAM SERVATO DEUS AB ACCIDENTIBUS / IN TEMPORE ATOMICAE BOMBAE ».
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