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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"Le calme de la nuit te leurre :
le malheur viendra au matin."
(Les Mille et Une Nuits, Conte du marchand et du démon)

Le Livre du Destin serait-il moins favorable aux pessimistes ? Pendant mille et une nuits, Shéhérazade raconte des histoires merveilleuses au sultan Shahryar, et elle finit par gagner son amour et la vie sauve. le 10 avril 1951, Sadeq Hedayat - conteur aussi talentueux que la fille volubile du grand vizir - brûle ses manuscrits et ouvre le robinet du gaz dans son appartement parisien.
Peu de ses voisins remarquent la disparition de ce timide petit Iranien à lunettes, qui vivait seul avec son chat, prenait ses repas dans les cafés solitaires et passait ses nuits à arpenter les bas-fonds du 10ème arrondissement, en laissant dans son sillage des vapeurs de vodka et d'opium.

J'ai croisé Hedayat pour la première fois dans "Boussole" de Mathias Enard. Dans sa confrontation entre l'Orient et l'Occident, le roman n'a pas pu présenter une meilleure figure tragique. Ballotté entre deux cultures, héritier à la fois de la tradition orientale, de la poésie de Rûmî et d'Omar Khayyam, et d'écrivains occidentaux comme Kafka, Woolf, Rilke ou Faulkner, Hedayat est considéré comme le premier écrivain iranien "moderne". Il va abandonner les traditionnelles formes poétiques, et se tourner vers la prose.
Et quelle prose !
Je crois que c'est Nietzsche qui a dit "si tu regardes longtemps un abîme, l'abîme regarde aussi en toi" ; ce fut probablement le cas de Sadeq Hedayat. Ses écrits sont à l'image de lui-même : dans un triste camaïeu de gris, ils sont incroyablement pessimistes, souvent ironiques et teintés d'absurde, et génèrent un sentiment d'impuissance. Il faut dire que l'époque n'était pas exactement propice aux plaisanteries ; le fond de l'abîme grouillait de spectres de la guerre, de la misère, de la solitude et de la peur du lendemain. Certains ont pu supporter ce regard et s'en sortir indemnes, d'autres se sont transformés en monstres. D'autres encore y ont laissé leur raison ou leur peau. Sans doute, c'était ainsi écrit...

On pourrait argumenter qu'il y a bien d'autres récits sombres dans la littérature et on n'en fait pas un cas particulier ; ou même qu'il suffit d'allumer la télé pour être immédiatement convaincu que le malheur est partout dans le monde, et que l'âme humaine est quelque chose de noir et de pourri. le problème avec Hedayat, c'est qu'il est un excellent écrivain : et il ne suffit pas d'éteindre la télé ou fermer le livre pour s'en débarrasser. Ses histoires collent comme la poix.
Admirable conteur, il présente ses personnages et met l'intrigue en place avec la même aisance que la princesse Shéhérazade... on se laisse envoûter par ses mots, sans réaliser que l'écrivain bâtit en même temps un mur contre lequel son héros finira par se fracasser. le dernier paragraphe ou la dernière phrase sont ensuite taillés au couteau particulièrement tranchant, et détrompent rapidement le lecteur naïf qui pense que cette fois, peut-être... non, contrairement aux Mille et Une Nuits, les histoires d'Hedayat ne se finissent pas bien.
Son Iran des années 30 ne diffère guère de récits anciens, et seules quelques rares voitures qui cahotent sur les routes poussiéreuses nous renseignent sur l'époque. Les hommes font le malheur des femmes et les femmes le malheur des hommes. L'amour est remplacé par la passion destructrice, la compréhension par la méprise, et la bonté n'est jamais récompensée.

Difficile de dire lequel des dix récits proposés est le "meilleur" ; ils sont tous ciselés avec le même art. Serait-ce l'éponyme "Trois gouttes de sang", sans doute le plus "kafkaïen", où le héros nous raconte l'origine de sa folie ? L'histoire de Pât, le chien errant ? La confession déchirante de Galine Khânoum sur son désir de se débarrasser de la deuxième épouse de son mari, après l'avoir poussé elle-même dans cette union ? Ou celle, dans le registre plus fantastique, du grand Abou Nasr qui quittera sa tombe à la recherche de sa bien aimée d'autrefois ?
Les morts ressuscitent pour surprendre les vivants, et les vivants sont pris dans un tourbillon tragique, avant de trouver la folie ou la mort. Ni la délaissée Zarrine-Kolâh, qui, son bébé sous le bras, part à la recherche de son mari, parce que ses coups de fouet lui manquent, ni le voyou au grand coeur, Dâsh Âkol, qui sacrifie tout à l'amour, ne sortiront grandis de leurs épreuves. le chemin des héros d'Hedayat est bordé de ronces qui déchirent leurs vêtements et leurs coeurs en lambeaux. Et pourtant, il est impossible ne pas admirer la façon dont l'écrivain dépeint leurs misérables déambulations.
4,5/5 pour ces obscurs diamants noirs, tachés de quelques gouttes de sang.
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Il y a quelques années, j'ai lu deux bouquins de l'auteur iranien Sadegh Hedayat (dont son populaire La chouette aveugle, que, moi, j'avais trouvé correct, sans plus. Mais j'étais encore curieux de la littérature persane et disposé à donner une autre chance à cet auteur. Et heureusement. Son recueil de nouvelles Trois gouttes de sang m'a énormément plu. La première nouvelle donne le ton. le narrateur, un homme reclus, un peu trouble, raconte son histoire. Son vieil ami Siavosh lui rend visite, et cela lui rappelle une autre époque où c'est lui-même qui rendait visite à cet ami d'enfance, alors que ce dernier souffrait d'un déséquilibre nerveux. de folie. Mais cette histoire, étrange d'abord, se révèle superbement bien construite. Elle va de rebondissement en rebondissement. Cette nouvelle et les autres qui constituent ce recueil sont faites sur le même modèle. Brèves, allant à l'essentiel, marquant l'évolution des personnages dans un beau crescendo. Poussés au paroxysme de la folie, rejetés, isolés, abandonnés, ils se révèlent toujours intéressants.

Certaines nouvelles sont d'un registre plus anecdotique, comme celle de ce chien qui erre dans la ville. Ou bien celle de cette femme qui part à la recherche du père de sa fille. Ou encore la soeur aînée laide, qui vit dans l'ombre de sa cadette si jolie, la « Favorite ». Ces histoires paraissaient plus simples, proches de la vie ordinaire, mais elles étaient d'autant plus poignantes.

D'autres nouvelles penchaient vers le fantastique. Par exemple, Les nuits de Varâmine. On y retrouve le jeune Fereydoun, à la santé fragile, qui hérite du domaine familial. Malheureusement, sa belle épouse se meurt. « Sensible et affectueux comme il était, Fereydoun ne se remit pas de ce coup. » (p. 43). Quand des événements étranges se produisent, on peut se demander si le jeune homme ne les imagine pas. « Il respirait à peine, des ombres fantastiques dansaient devant ses yeux. » (p. 46). La progression lente et inévitable de ses troubles nerveux, l'impression d'un drame imminent, tout contribue à créer une atmosphère réussie. J'en ai presque ressenti des frissons. Puis, un soir, il croit entendre de la musique dans le pavillon fermé…. Je ne dévoile pas la fin, elle est inattendue. Toutefois, elle fonctionne à merveille. Un autre exemple de nouvelle plonge dans le fantastique est le trône d'Abou Nasr, dans laquelle des archéologues américains font des fouilles près de Chiraz, découvrent un tombeau avec des squelettes vieux de quelques millénaires, l'occasion de raconter leur histoire et de les laisser reprendre vie.

Bon, vous comprenez un peu, je ne vais pas raconter chacune des nouvelles. Il suffit de rappeler que je les ai toutes appréciées, sans exception. Elles se recoupent par certains thèmes (la folie, l'étrange, la détermination et la souffrance, les entreprises vouées à l'échec, etc.) mais elles sont suffisamment originales, divergent assez pour que le lecteur ne sente pas la redite. Bref, une sorte de mosaïque qui renvoie une certaine image de l'Iran de la première moitié du XXe siècle. Je ne peux que recommander la lecture de ce recueil fort intéressant.
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Recueil de nouvelles qui nous emmène dans l'Iran de l'entre deux guerres.

Au fil de ces nouvelles, Sadeq Hedayat nous plonge dans cet Iran des pauvres gens dont la vie est régie par les traditions et la religion.
Chacune de ces nouvelles nous livre un coté noir et obscur des humains et nous délivre une morale.
On y voit à quel point la femme n'a aucune place dans la société, à quel point par contre la religion pèse de tout son poids sur la vie des gens.

J'en retiendrai une phrase de la dernière de ces nouvelles et qui résume ce livre :
« Quel dommage que l'expérience vienne toujours trop tard pour qu'on ait le temps de s'en servir! »
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Un petit recueil de dix nouvelles, toutes plus bouleversantes les unes que les autres. L'humain, sous toutes ses facettes, mais plus particulièrement sous ses mauvaises.

On y traite la folie, la confusion, le rejet, la répudiation, l'espoir détruit. En fait il y a vraiment beaucoup de choses dans ce livre, trop pour en parler distinctement sans prendre le risque d'en omettre. En lisant la biographie de l'auteur on sent d'où lui vient l'inspiration, les fantômes gris qui ont insufflé leurs idées dans son esprit. Un homme torturé, à la vie difficile, qui eu un destin tragique. On retrouve j'imagine un peu de lui dans les personnages, dans chaque aventure que l'on lit.

Ce livre est sublime, je comprends pourquoi il a été choisi par les libraires pour être le cinquantième volume de la collection poche des éditions Zulma. C'est poignant, enivrant de réalité. Ça interpelle, bouscule par rapport aux thèmes abordés. Dans le même registre que MAUPASSANT, une morale est à retenir après chaque nouvelle. L'humain est mauvais sous certaines conditions, plongez dans ces abîmes de papier afin d'en rester éloigné dans la réalité.
Lien : https://cenquellesalle.wordp..
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