Into the wild. Vivre non pas à l'état sauvage, mais au coeur d'une nature luxuriante du Nord de la Californie. La première ville est à plus d'une heure de route déglinguée par un pick-up rouillé. Alors si les filles rêvent de cours de danse pour l'une et d'université pour l'autre, ce ne sont que de vagues hypothèses pour le moment. Quelques coupures d'électricité au début, rien de bien anormal. Rien de bien gênant, elle lit ses encyclopédies à la chandelle, elle danse au tic-tac du métronome. Et puis un jour l'électricité n'est plus revenue. Comme le téléphone. Comme les voisins. Seules.
Sur la seconde partie du roman, je me suis promené enfin dans les bois, à la découverte de cette nature qu'elles avaient ignorée jusqu'à présent. C'est que tant que le garde-manger était plein, les conserves et les bocaux fournis sur les étagères de la cave, partir à la rencontre des plantes ne faisait pas partie des préoccupations principales. Lire et écouter de la musique, l'essence de la vie - en tout cas de la mienne. A quoi ressemble une fleur de houblon ? Into the wild, j'ai appris à faire attention avec les baies rouges, qui ne sont si rougeoyantes que pour attirer les abeilles et les oiseaux. Encore une histoire purement sexuelle, cette couleur rouge. Bon côté sexe, il faudra se satisfaire soi-même, pas une âme qui vive dans le coin, même pas de zombies pour apporter de l'animation. Quelques sangliers et autres méchants ours noirs - ou bruns je sais plus, je ne me souviens jamais de la couleur des toisons que je regarde.
L'art de survivre, d'abord dans un environnement enchanteur - au début - puis de plus en plus hostile, une fois que la solitude pèse sur les esprits. L'eau qui suinte le long des murs, le dernier bocal de maman ouvert, reste guère plus qu'un fond de bouteille liquoreux de papa, laissées à l'abandon, deux filles devenant femmes, une dernière musique, celle du vent, celle de la tempête qui s'écroule sur leur vie, et l'envie plus fort, rester ensemble, ne pas s'abandonner, même dans la forêt. Into the wild. Une Autre Vie. Réapprendre à vivre.
- On est peut-être les deux dernières personnes sur terre, a dit Eva d'une voix qui ne traduisait ni peur ni tristesse.
J'ai hoché la tête un peu rêveusement, et j'ai répondu sur le même ton :
- Oui, peut-être.
Au fait, ce n'est qu'une rumeur, mais il parait qu'un virus ravage les gens. Une semaine, en pleine forme, et hop la semaine d'après, les vers qui commencent à infiltrer les corps en décomposition. Alors autant rester confinée, tant qu'à verser deux verres et deux larmes, de whisky.
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Un roman catastrophe où la civilisation s'effondre, laissant les hommes sans repères dans un monde qu'ils ne connaissent plus. Déconnectés de la nature, ils ne savent plus vivre sans objets, sans moyens de communication, sans argent. Ils sont "nus".
Nell et Eva, deux adolescentes qui vivaient avec leurs parents à l'écart de la ville vont connaître l'isolement le plus total. À travers elles on entend les échos de cette société qui s'écroule, on les voit se débattre pour rester en vie, se défaire petit à petit de leurs habitudes, laisser tomber leurs projets d'avenir qui ne valent plus rien.
On sent l'angoisse et la peur les ronger devant l'inévitabilité et l'urgence de s'adapter à un monde nouveau, d'abandonner leurs anciens repères. Elles sont effrayées, mais le plus grand danger qui les menace ne vient pas de la nature, il vient de l'homme, de sa violence, de sa cupidité, de son égoïsme.
Eva aime la danse mais son monde n'est plus un ballet. Nell aime les livres, mais l'encyclopédie ne livre pas tous les secrets, elle ne dit pas l'intuition, l'instinct de survie. Il faut apprendre, réapprendre les liens avec la nature. Il faut accepter d'entrer dans la forêt, de quitter le confort, la passivité, le rêve d'un monde évanoui. La forêt devient alors le refuge.
Un roman très fort qui montre le danger vers lequel l'homme fonce tout droit lorsqu'il épuise les ressources de la Terre, provoque des catastrophes, n'est plus connecté qu'à un monde virtuel, futile, ne sait plus vivre sans artifices.
Pour moi ce roman est le coup de cœur de l'année. L'auteur a décrit avec justesse ce qui se passe lorsque la vie de Nell et Eva bascule, sans forcer le trait. Cette fiction réaliste nous fait prendre conscience du danger qui nous guette et de la richesse de notre savoir publié.
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La nuit dernière, j'ai refermé la porte d'une forêt, j'ai laissé derrière moi l'écho des oiseaux, l'odeur des feuilles d'arbousiers, le frémissement des étoiles au-dessus de moi, et puis aussi deux femmes restées là-bas, deux jeunes soeurs unies pour le meilleur et pour le pire, Eva et Nell.
Il n'y a rien de plus déchirant que de s'éloigner d'un endroit qu'on a tant aimé, et les personnes aussi qui furent présentes à ce moment et à cet endroit. Mais il faut partir, tourner la page, revenir à d'autres vies. Ainsi j'ai refermé ce livre avec beaucoup de déchirement et en même temps le bonheur précieux d'avoir vécu un moment unique et d'emporter cela avec moi, comme un bagage dans mes errances futures.
Dans la forêt, merveilleux roman écrit par une auteure américaine que j'ai découvert par la même occasion, Jean Hegland, est un livre qui ne ressemble à rien de ce que j'ai lu jusqu'à présent. Il est publié aux Éditions Gallmeister, ce qui est déjà pour moi une très belle référence car j'adore leurs publications. Je ne sais pas si cela en fait un chef d’œuvre, cela en tous cas en fait un véritable coup de cœur qui continue de résonner en moi comme une vague entre les branches.
Je veux vous dire ici tout le bien que j'ai ressenti à cette lecture, le bien qui continue de vibrer au moment où je vous écris. Je sens mes doigts trembler, trépigner sur le clavier de mon ordinateur. Je voudrais revenir à cette forêt, pourtant je sais qu'elle est déjà loin et par expérience je sais aussi qu'il n'est jamais bon de revenir sur ses pas. Je retiens de cette forêt deux impressions, quelque chose qui sait accueillir et quelque chose dont il faut s'inquiéter à chaque instant, à chaque pas où on avance au plus profond d'elle. Mais n'est-ce pas cela qui ressemble à la vie, à nos vies, à ce qu'elles nous réservent d'exaltant et d'hostile à la fois?
Dans la forêt, c'est un univers qui vient après un drame écologique, peut-être planétaire. Nous ne savons rien de la cause de cela et ce n'est pas essentiel. Je dirai même que c'est bien de ne rien savoir. Mais cela va toucher totalement le quotidien des personnages du livre et tout d'abord cette famille, qui, du reste, avait déjà décidé de se retirer du bruit de la ville, dans une maison en pleine forêt.
Dans ce roman, nous découvrons deux êtres, deux sœurs dans une relation complexe, fusionnelle, charnelle, parfois où elles ne peuvent plus s'entendre, où elles vont et viennent, s'éloignent, reviennent. Tous les codes habituels de leur relation sont ici transgressés. Elles vont devoir cohabiter au-delà du cadre commun d'une fratrie, au-delà de ce cadre où elles pensaient jusqu'ici se connaître.
Dans la forêt, je me suis perdu dans ses pages, dans ses feuillages, dans ses ramures. J'ai lu ce livre comme un temps suspendu aux branches de cette forêt.
Les forêts sont peuplées d'ennemis. Il faut les apprivoiser. Au fur et à mesure qu'on avance dans cette forêt, les ennemis qu'on croyait connaître, deviennent parfois des territoires à convaincre par nos gestes, nos pas.
Les forêts sont peuplées de sortilèges. Parfois dans le frémissement des pages que je lisais, j'ai cru rencontrer autre chose qu'un livre, il y avait bien sûr le récit de Nell, la narratrice, mais j'entendais aussi le bruit de la forêt autour d'elle et ce qu'elle imaginait, ce qu'elle convoquait dans ce récit et qui prenait réalité dans le journal qu'elle écrivait.
Dans la forêt, il faut avancer les bras tendus comme les ailes d'un oiseau et combattre en même temps les peurs enfouies là-bas au plus profond de nos clairières, réveiller l'impatience des chairs. C'est un livre qui réveille les corps qui sommeillent, allume des rires gorgés de ciels.
Elles ne sont plus que deux là-bas, elles s'aiment. C'est une forêt qui, tantôt les protège, bat comme un cœur aimant, tantôt les effraie, l'endroit d'où peut surgir à chaque instant des ombres malveillantes.
L'écriture de ce livre est ronde, sensuelle, à la fois légère et luxuriante.
Peu à peu, la narratrice apprend comme nous le secret des feuilles, ce que la forêt peut lui révéler, reconnaitre un sumac vénéneux, distinguer un sapin d'un séquoia, savoir nommer une fleur, un buisson, une mauvaise herbe, apprendre d'eux comment ils peuvent nourrir, guérir, ou nous empoisonner.
Ce livre est comme un guide de survie en milieu hostile, c'est-à-dire un monde où tous les repères habituels s'effacent, le carburant pour se déplacer, l'électricité, Internet... Tout s'efface. Les seuls repères demeurent une bibliothèque, une bibliothèque avec de vrais livres. Certains livres deviennent indispensables aux yeux de Nell : une encyclopédie, un ouvrage sur les plantes indigènes en Californie du Nord... Pendant tout ce temps-là, Eva danse, continue de danser. C'est important pour elle, pour sa sœur aussi. Plus tard lorsqu'il n'y a plus d'électricité, Eva continue de danser et ses gestes deviennent magiques car elle invente la musique autour d'elle, de ses bras, de ses gestes...
Il y a les saisons, il faut désormais apprendre à vivre avec elles, comme si ce livre nous amenait à l'essentiel, ce que nous avons peut-être perdu. Il y a un temps où le soleil est là, entre les branches, et puis il y a le temps d'hibernation.
Peu à peu, la maison où sont recluses les deux sœurs devient un naufrage, comme un bateau en perdition dans une mer inconnue.
Mais peu à peu aussi, elles prennent conscience que cette forêt est devenue la vie, leur vie, peut-être aussi une fraction de notre vie, le temps de cette lecture et le temps d'après.
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En 1997 sort ce roman, terriblement en avance sur son temps, qui trouve aujourd'hui tellement d'échos dans l'actualité, qu'il en est fortement dérangeant, urticant...
Avant même la naissance de Nell et Eva, leur père a acheté une propriété avec trente-deux hectares de forêt, "dont l'isolement etait garanti, selon lui, par le fait qu'elle bordait une étendue boisée appartenant à l'Etat de Californie". Là, il construisit une cabane en rondin, et ils vécurent un peu en otarcie, s'autorisant quelques sorties dans la ville la plus proche . le père y était enseignant, la mère vendait ses tapisseries dans une galerie, et les filles étaient instruites à la maison. Jusqu'à ce que...
Jusqu'à ce que la mère meure d'un cancer, jusqu'à ce que le père décéde d'un accident de tronçonneuse, les laissant seules et fort dépourvues dans cet environnement sauvage, d'autant plus que le monde tel qu'elle l'avait vécu jusqu'ici n'était plus qu'un lointain souvenir. Plus d' électricité, presque plus d'essence , des magasins presque vides et personne pour y remédier. La faute à des catastrophes naturelles, à une lointaine guerre, on ne sait pas trop et on n'en saura pas plus, car les informations n'arrivent plus.
Une ambiance" fin du monde" mystérieuse, deux adolescentes qui doivent se débrouiller avec les maigres ressources qui leur restent, avec les quelques bricoles apprises de leurs parents qui ne s'attendaient sûrement pas à tout ça, à partir si tôt, et qui doivent également dire adieu à leurs rêves ...
Tant d'espace et pourtant une impression de huis-clos...
Sûrement d'autres survivants mais uniquement ces deux gamines, ou presque...
La fin est comme elle devait être.
Des adolescents normaux auraient choisi une autre version pour s'en sortir, oui mais Nell et sa soeur, n'ont pas été élevées comme vous et moi, et la fin est vraiment logique.
Et si j'ai des réserves , c'est sur une scéne entre soeurs, que je n'ai pas trouvé digne du bouquin ( vous la reconnaitrez quand vous la lirez...).
Et un détail ( peut-être une erreur de traduction) m'a turlupiné pendant toute ma lecture... Il est dit à un moment que San Francisco est à trois heures de leur maison et qu'elles vont deux fois par an voir des spectacles de danse avec leurs parents. Juste avant, on apprend que Eva va avec sa troupe suivre un cours de danse deux fois par semaine, à San Francisco . Six heures aller-retour, Ça fait loin pour un cour de danse ...
Mais à part ça, la gradation des événements, ce qu'elles perdent, ce qu'elles trouvent, la lenteur, le mystère qui entoure cette sorte de fin du monde , les progrés, la nature : tout est formidablement transcrit, palpable.
La forêt est le troisième personnage du roman..
A lire.
Et puis, à voir ensuite le film canadien de Patricia Rozema " Into the forest ", de 2015 avec Ellen Page et Evan Rachel Wood.
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