Essai lu en diagonale. L'épidémie actuelle est l'occasion pour de nombreuses universités de diffuser gratuitement en PDF des ouvrages déjà anciens, parfois inestimables (comme les collections cunéiformes de Yale), parfois moins intéressants. Ce livre-ci, datant de 1949, se présente comme une version destinée au grand public, des relations entre l'épopée babylonienne de Gilgamesh, et la Bible hébraïque. L'auteur y déploie des connaissances assyriologiques vastes et approfondies, et une grande familiarité avec la Bible juive. Quel rapport entre les deux ? La découverte des douze tablettes du poème de Gilgamesh au nord de l'Irak au XIX°s, fit sensation quand, après un premier déchiffrement, on découvrit une version akkadienne du Déluge. La communication de George Smith à la Société Biblique, au British Museum, le 3 décembre 1872, fit sensation dans le grand public et dans le monde savant. Elle eut des conséquences variées, fastes et néfastes : jusqu'à ce jour, un certain nombre d'illuminés méprisent la Bible juive en y voyant un plagiat, et se font une mythologie new-age à base d'Annunakis et d'extraterrestres mentionnés, croient-ils, dans des textes sumériens ou akkadiens qu'ils prétendent lire (différemment de "la science officielle"). En revanche, il a paru nécessaire à des chercheurs de confronter le récit biblique à son contexte mésopotamien, et de nombreuses vocations assyriologiques sont nées de ces découvertes.
Alors, Heidel, avec toute sa science, prétend comparer les récits bibliques et ceux de l'épopée de Gilgamesh. Je n'ai jamais trouvé de comparaison dans son livre, mais une juxtaposition de références commentées : la mort en Mésopotamie / la mort chez les Israélites, le devenir de l'âme en Mésopotamie / le devenir de l'âme chez les Israélites, etc ... On ne compare pas deux choses en les juxtaposant et en laissant le lecteur faire le travail de mise en relation. Donc l'érudition de l'auteur, qui est vaste et certaine, s'accompagne de paresse intellectuelle.
Enfin, on se heurte, comme souvent en assyriologie, à des évidences : comparer un univers littéraire et mental polythéiste, magique, païen, à un autre univers, monothéiste, opposé à toute magie et faisant la chasse au paganisme, risque de conduire à une impasse. Ainsi, le lecteur de la Bible, attiré par la curiosité pour ces cultures si riches et si vivantes, tombe régulièrement sur les mêmes conclusions : pas de comparaison possible, ou seulement aux marges. Même l'anthologie moderne d'Alan Lenzi, "Reading Akkadian Prayers and Hymns" , qui propose des rapprochements pour chaque texte avec la Bible, tombe dans cette ornière. C'est un peu le sujet qui veut ça, et on voit bien qu'il n'y a nul "plagiat" dans la Bible, qui semble avoir été rédigée en réaction contre la culture mésopotamienne dominante.
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Le mort traversait la rivière Hubur, à la rive de laquelle il rencontrait Qumu-tabbal (= "Emporte ça vite !"), batelier des Enfers, à quatre mains, et au visage semblable à celui d'Anzu, l'oiseau divin de l'orage. Une fois passé sur l'autre rive, il allait jusqu'à la Cité des Enfers, Urugal, "la Grande ville", vaste métropole ceinte de sept remparts percés d'une porte gardée par un démon, au centre de laquelle se dressait le palais de lapis-lazuli de la reine Egalgina, où siégeaient les Anunnaki. Cette grande ville des morts et son territoire étaient gouvernés par une déesse aux noms variés, Ereshkigal, Allatu, Irkalla, ou Belit-irsiti(m). Elle apparaît comme l'épouse de Ninazu ("le seigneur de la guérison"), de Gugalanna, et de Nergal, dieu de la peste et de la pestilence, de la guerre et de la mort. Ereshkigal était entourée de nombreux serviteurs à ses ordres : le sombre dieu de la peste Namtar, son vizir, qui exécutait ses ordres, Belit-seri, son scribe,
qui lui faisait la lecture des noms des nouveaux arrivés, annoncés par le gardien, et dont elle se souvenait (elle est appelée "la bibliothécaire du ciel et de la terre"). Il y avait aussi les sept grands gardiens du palais, et les Annunaki, les sept redoutables juges du monde d'en-bas. Et finalement, les armées des démons qui, comme Namtar, répandaient maladies et mort parmi les hommes, et donc ramenaient sans cesse de nouveaux venus au sombre royaume. Les serviteurs d'Ereshkigal sont représentés comme des êtres hybrides, un peu comme les démons égyptiens.