Merci à Babelio et aux éditions « Les nouvelles impressions » pour les entretiens de
Nathalie Heinich «
La sociologie à l'épreuve de l'art » menés par
Julien Ténédos.
Dans ces entretiens,
Nathalie Heinich revient sur son parcours de sociologue, de ses années d'étudiante, notamment avec un de ses professeurs de Thèse -Bourdieu dont elle se détachera peu à peu-, ses premières recherches, ses publications, ses sujets d'intérêts qui évolueront et/ou s'affineront jusqu'à aujourd'hui.
Certes, on ne peut guère lire cet ouvrage sans un minimum de bases sociologiques : à savoir connaître les plus célèbres chercheurs et sociologues, de Weber à Bourdieu, de
Goffman, Thevenot a Boltanski en passant par
Durkheim ou Pollak, pour ne citer qu'eux (et dans le désordre)… et bien sûr, leurs principes ou paradigmes comme l'identité, habitus, domination, ideal-type, etc.
La sociologue se montre souvent, dans ces entretiens, assez pédagogue en expliquant les principaux termes et différents champs de pensées et d'études. Mais comme elle le dit : « l'effort doit être réciproque : si les lecteurs ne sont pas capables de chercher dans le dictionnaire lorsqu'ils rencontrent un mot qu'ils ne connaissent pas, c'est leur problème, pas le mien ! ». le principe est posé, j'ai un dictionnaire à portée de main au besoin…
Il m'a été assez agréable d'avancer avec elle dans les différentes thèses en partant de ses premières réflexions, en la suivant dans ses découvertes, ses lectures, son apprentissage et dans les différents domaines qui l'ont intéressée ou qui l'ont tout simplement permise de vivre de son métier.
Si certains lecteurs pouvaient ne pas en avoir conscience,
Nathalie Heinich montre à quel point ce n'est pas toujours des plus faciles de trouver des études financées, surtout quand se jouent les jeux de pouvoir, de sélection, de rivalité dans ces milieux intellectuels, ces milieux de la recherche, surtout lorsqu'on se démarque des plus médiatisés et influents.
Suivre son apprentissage en tant que sociologue permet au lecteur, peu à peu, de rentrer plus en profondeur dans les théories sociologiques. (Même si, de temps à autre, j'ai dû revenir sur certains concepts, les relire plusieurs fois avant de les intégrer).
En dépit du titre de l'ouvrage, les entretiens ne sont pas exclusivement centrés sur
la Sociologie de l'Art, notamment sur l'identité de l'artiste ; certains chapitres sont consacrés à des terrains de recherches bien différents qu'elle a réalisés, comme l'identité de l'écrivain ou encore l'identité féminine.
Au fil des pages, elle affirme et rappelle un de ses principes : un sociologue ne peut émettre de jugement de valeurs. Et cela vaut aussi bien pour le domaine de l'Art que pour les autres thèmes sociologiques, les divers groupes sociaux étudiés, etc. (quelques soient aussi les enjeux sociétaux, la fierté par certains à être des références ou encore malgré ses propres valeurs qu'on souhaiterait défendre). « Il faut considérer les oeuvres non comme les objets de la recherche mais comme des matériaux documentaires » […] en les appréhendant selon une perspective pragmatique, c'est-à-dire en observant ce qu'elles font, plutôt que de décrire ce qu'elles sont ou de dire ce qu'elles valent. »
Et au fil de ses recherches, de ses découvertes et hypothèses, elle a aussi compris son goût pour la méthode « empirico-inductive » (soit par un travail de terrain bien sûr et d'observations des acteurs) ; mais aussi de qui elle se sentait la plus proche (de Weber notamment).
Nathalie Heinich ne craint pas d'énoncer ses théories, de marquer ses différences avec ses confrères, quitte à en égratigner certains, et même si cela va à l'encontre de grands chercheurs de grande renommée (tel que Bourdieu) ; ce qui lui vaut, ajoutés à ses recherches en Sociologie de l'art (peut-être sous-considérée dans le milieu) de se sentir comme une sociologue en marge, et de se voir parfois refusée de publication de ses recherches.
J'avoue que ces entretiens m'ont laissée un peu sur ma faim. Et j'aurais aussi apprécié d'avoir une liste de ses principaux ouvrages sociologiques (notamment) de référence.
Finalement, ces entretiens servent, selon notre connaissance : soit pour le novice, de bonne entrée en la matière, soit, pour le moins novice, de rappel et synthèse de certaines connaissances sociologiques. Et, peut-être, pour ma part, n'est-ce qu'un préambule pour aller à la découverte d'autres textes sur
la sociologie de l'art ?
Ils m'ont d'ailleurs aussi donnée l'envie de lire le livre écrit avec la psychanalyste
Caroline Eliacheff (fille de
Françoise Giroud) « Mères-filles – une relation à trois » (où la fiction, les oeuvres littéraires ont servi de matériau de recherche). Et cela me rappelle de lire plus régulièrement des essais dans divers domaines (ou tout du moins mes domaines de prédilection).
Alors, comme en a pu en avoir l'expérience la sociologue
Heinich lors de ses travaux durant lesquels elle a pu côtoyer (et se servir de) d'autres disciplines (tel que la psychanalyse, l'anthropologie, l'histoire…), une oeuvre nous ouvre souvent les portes vers d'autres centres d'intérêts, d'autres interrogations ou curiosités, d'autres auteurs. Ils nous poussent à aller jeter un oeil vers d'autres sujets, d'autres genres littéraires, d'autres plaisirs futurs.
Ils nous incitent malicieusement à ouvrir notre regard sur le monde, la société, les autres, mettre à mal nos préjugés ou jugements de valeurs, à affiner nos connaissances et compréhensions du monde, de l'humain et de nous-mêmes, à goûter à d'autres parfums, à enrichir et multiplier les plaisirs…