Histoire du futur, Tome 4 : Les enfants de Mathusalem suivi de Les orphelins du ciel

"Les Enfants de Mathusalem" (1941) :

Robert A. Heinlein, es-tu visionnaire ou fou à lier ? Pourquoi en raconter autant en aussi peu de pages, il y avait largement de quoi nourrir une demi-douzaine de cycles ?!

Nous sommes au XXIIe siècle et Mary Sperling est prise d'assaut par les demandes en mariage du carriériste Bork Vanning, mais elle multiplie les fins de non recevoir en invoquant la différence d'âge... le bellâtre a 40 ans, et il pense que la belle en 30... Sauf qu'en réalité elle a déjà atteint l'âge de 83 ans !!! ^^
L'auteur invente le trope largement utilisé après lui de « La Masquerade », la société cachée qui vit en marge de l'humanité. Irza Howard était un profiteur de guerre ayant fait fortune avec la Guerre de Sécession au XIXe siècle, et obnubilé par l'immortalité il a légué mort avant ce qu'il jugeait son heure toute sa fortune à une fondation dédiée aux recherches sur la longévité... Par eugénisme, ladite fondation a fini par créer une para-humanité disposant d'une espérance de vie tellement élevée que ses membres doivent recourir à la cosmétique et au changement d'identité...
Mais nous sommes aussi dans le trope de la para-humanité opprimée pour sa différence (remember "À la poursuite des Slans" d'Alfred Elton van Vogt ^^), ici incarnée dans la longévité puisque les humains normaux jalousent aux Enfants de Mathusalem leur rapport au temps. L'auteur écrit au tout début du mouvement pour les droits civiques aux États-Unis d'Amérique, et alors qu'il place son récit dans un avenir ou la question ethnique est depuis longtemps résolue il fait resurgir avec toute sa violence la peur et la haine de l'autre... Les humains normaux sont persuadés que les 100000 Enfants de Mathusalem disposent de l'épice de longévité et non du gène de la longévité pour la simple et bonne raison que dans le 1er cas ils pourraient en bénéficier, mais que dans le 2e cas cela leur serait impossible... L'espoir fait vivre comme on dit, mais ici il est source de haine et de violence, de mépris et d'indifférence, et c'est moi où le discours du dénommé Bertrand Harding ressemble comme deux gouttes d'eau aux diatribes de l'homo superior dénommé Magnéto ??? ^^
Malgré toutes leurs précautions les mutants se retrouvent coincés, et rapidement condamnés à la réclusion en camps de concentration... Qu'est-ce qui les attend ? La stérilisation, l'élimination, ou la vivisection ??? Fort heureusement pour eux le leader des États-Unis d'Amérique Slayton Ford (Ford, retenez bien le nom et faite le lien avec celui- du dessous ^^) est un juste parmi les justes qui préfère l'humanisme au carriérisme, et il est prêt à toutes les options pour éviter un génocide ou une guerre civile... Tous les espoirs reposent donc sur de l'action man Lazarus Long, doyen de l'humanité 50% John Wayne version cow-boy (Wayne, retenez bien le nom et faites le lien avec celui-ci du dessus ^^) 50% Sean Connery version James Bond... D'ailleurs tout le monde reproche au héros bicentenaire ses manières de cow-boy, sans savoir qu'il est et a toujours été un cow-boy puisqu'il est né et a grandi à la grande époque du Far West ! ^^

Lazarus Long est un Moïse badass qui conduit son peuple vers les étoiles en piratant avec des ruses dignes de Delos David Harriman le vaisseau intersidéral « Nouvelles Frontières » (ou un Ulysse badass conduisant son équipage vers une nouvelle odyssée à travers les étoiles ^^), mais ici Pharaon est avec eux et non contre eux (d'ailleurs c'est le seul humain parmi les mutants, et il devient leur leader donc le destin est décidément farceur ! ^^)... Je passe sur les explications Hard Science sur les vitesses infra et supra luminiques, amenées par le surdoué Andrew Libby (voir la nouvelle intitulée "L'Inadapté" / "Misfit" ^^) pour vous raconter la suite qui annonce les séries "The Twilight Zone", "The Other Limits", "Star Strek", "Cosmos 1999", et tutti quanti...

Sur une 1ère planète, nos apatrides du cosmos débarquent sur un monde peuplé d'anthropoïdes faisant figures de bons sauvages sauf que niveau capacités intellectuelles le dernier d'entre eux pourrait surclasser le génie Andrew Libby... Les indigènes les accueillent chaleureusement, mais les considèrent comme des enfants et qu'arrivée à la majorité ceux-ci devront choisir l'un des Grand Ancien qui trône sur leur société du haut de sa pyramide antédiluvienne... Les indigènes sont donc des animaux comparés aux vrais maîtres de la planète et ces derniers jugent les nouveaux arrivants indressables dont ils envoient les expatriés paître ailleurs dans le cosmos !
Sur une 2ème planète, nos apatrides du cosmos débarquent sur un monde peuplé d'ewoks psioniques spécialistes en génétique qui les accueillent à bras ouvert malgré les différences culturelles... Dans un nouveau jardin d'Eden, ils découvrent que les indigènes ont accédé à l'immortalité à travers un symbiose télépathique (la mémoire et la conscience des nouveaux « individus » se fondant dans les souvenirs et les consciences des anciens « individus »), et qu'au-delà du bien et du mal ils influencent la forme des nouveaux-nés de l'humanité (car la nouvellement née Eléanore Johnston ressemble plus à un être mythologique qu'à un être humain)
Chat échaudé craint l'eau froide, et nos apatrides du cosmos, du moins ce qu'il en reste, utilisent les nouvelles technologies empreintes aux civilisations qu'ils ont rencontrées pour revenir sur Terre quoi qu'il puisse leur en coûter...
Et une fois passé le choc de la relativité et la découverte des années passées, ils découvrent que l'humanité a découvert l'épice de longévité qui à tort leur avait été attribué et que désormais ils ne sont plus mutants mais citoyens comme les autres d'une nouvelle humanité...

C'est touffu et c'est hétérogène car cela part dans tous les sens mais l'histoire du futur de l'auteur s'arrête là où commence celle des autres et j'ai voyagé par-delà le temps et l'espace non seulement avec Robert A. Heinlein, mais aussi Cordwainer Smith, Richard Matheson, Roger Zelazny, et Lois McMaster Bujold (sans parler de la série télévisée "Stargate Universe" qui semble lui emprunter tout ou presque..)
Niveau caractérisation Lazarus Long personnage récurrent dans l'univers étendu de l'auteur est absolument génial, et c'est ainsi que je vous le résume : il était une fois un lonesome cowboy qui consulta le voyant Pinero pour savoir combien de temps durerait sa vie (voir la nouvelle "Ligne de vie" ^^), mais le savant ne put lui donner un réponse car il était un héros et les héros sont immortels pour ne pas dire éternels !!! Par contre dommage pour Mary Sperling qui passe de James Bond girl strong indepandant woman à paumée dépressive et suicidaire...


"Les Orphelins du ciel" (1941) :

OMG que c'est beau mais que c'est triste ! Je n'aurais jamais du lire cette superbe nouvelle car l'auteur nous offre tellement d'espoir avant de nous le retirer complètement et totalement... (enfin presque, car j'ai cru comprendre que dans l'univers étendu de l'auteur un autre récit permet d'interpréter différemment le destin des Trois Mousquetaires du Vanguard qui pendant un temps ont cru sauver l'humanité des forces obscures de la crevardise)

La Vanguard est un vaisseau générationnel parti explorer et coloniser Proxima du Centaure, mais suite à une mutinerie l'humanité a perdu sa trace... Des générations et des générations plus tard, l'auteur nous raconte le destin des descendants de l'équipage divisés en « croyants » et en « mutants ». Livrés à eux-mêmes après la mort des officiers, les survivants se sont réorganisés autour d'une religion qui a fait du capitaine Dieu lui-même, du chef des mutins Lucifer lui-même et de ceux qui l'ont suivi des anges rebelles devenu des démons, et dans leur nouvelle cosmogonie il n'existe d'autre univers que l'intérieur du vaisseau dérivant dans le néant : la science est devenue une religion, et ceux à qui il reste un semblant de connaissances sont devenus des prêtres répétant inlassablement des mêmes rituels pour que le vaisseau continue de fonctionner (remember "À l'Aube des ténèbres" de Fritz Leiber, mais aussi Warhammer 40000 ! ^^). Aux vrais croyants les niveaux intérieurs protégés des radiations cosmiques, où les bouches inutiles et les esprits rebelles sont envoyés au convertisseur, aux mutants les niveaux extérieurs soumis aux radiations cosmiques, où le cannibalisme endogène et le cannibalisme exogène sont de mise pour survivre...
Hugh Hoyland aurait pu sinon aurait dû être condamné à la naissance pour mutation, mais on lui a laissé sa chance. Doté d'une insatiable curiosité scientifique, il n'est pas à l'aise dans cette société où il faut croire et obéir sous peine de périr d'un bon accident fortuit ou d'une mauvaise rencontre avec les « mutes », mais il est repéré par le clergé et devient un apprenti sorcier. Visiblement il pose les mauvaises questions, vu qu'il est victime des mutes anthropophages à sa première sortie sur le terrain... Le destin a voulu qu'il tombe entre les mains de Joe-Jim Gregory, un mutant érudit à deux têtes aussi curieux que lui, fanboy absolu d'Alexandre Dumas depuis qu'il a trouvé une sauvegarde imprimée d'une très vieille histoire intitulée "Les Trois Mousquetaires"... Fort et intelligent le géant bicéphale est à la tête d'un gang de mutes, mais constamment en négociations avec lui-même il renonce facilement à ses ambitions, et symptôme schizophrénique il confond la réalité et la fiction (oui, Athos, Porthos, Aramis et d'Artagnan sont de grandes figures historiques d'une pays perdu appelé « France » ! ^^). Joe-Jim s'aperçoit qu'Hugh n'est pas comme les autres humains un teubé décérébré ne jurant que par Dieu, et il lui montre donc la vérité : au-delà du vaisseau il y a l'univers ! Pour Hugh c'est comme une révélation sur le Chemin de Damas, malheureusement nul n'est prophète en son pays et en revenant expliquer la réalité de leur situation à ses coreligionnaires il est immédiatement accusé d'hérésie et condamné au convertisseur (non parce qu'il est dans l'erreur, mais parce que les informations qu'il détient pourrait déranger les positions établies des homines crevarices)... Avant son exécution il a droit à une dernière visite et il demande à son ami d'enfance Alan Mahoney d'appeler Joe-Jim à la rescousse : le premier n'hésite pas à braver toutes les peurs pour sauver son ancien ami, et le deuxième n'hésite pas à braver tous les dangers pour sauver son nouvel ami... Au cours de l'opération commando destinée à l'exfiltrer, le prêtre-scientifique en chef Bill Ertz est pris en otage et Hugh lui montre à lui aussi les étoiles qui parsèment le cosmos... Lui qui avait toujours douté voit lui aussi enfin la vérité : c'est décidé, ils convaincront un par un tous les mutes et tous les humains que leur destin ce n'est pas de dériver dans l'infini mais bel et bien d'accomplir leur mission d'origine en accostant sur une nouvelle planète... Joe-Jim est Athos, Alan est Porthos, Bill est Aramis, Hugh est d'Artagnan et Bobo l'armoire à glace microcéphale est Planchet : UN POUR TOUS, ET TOUS POUR UN !!!

Seuls et divisés mutants et humains ne pouvaient remettre en marche le Vanguard, mais ensemble tout devient possible : tandis que Hugh et Bill redécouvrent les sciences de leurs ancêtres (et la vérité sur la mutinerie les ayant condamnés à la régression christianiste), Joe-Jim unifie les mutants grâce à l'aide du capitaine en second Phineas Narby rallié à la cause des mousquetaires en croisade contre les forces obscures de la crevardise, et ce dernier unifie les humains grâce à leur aide... Sauf qu'il n'est pas un être humain, c'est une saloperie de politicien carriériste, une crevure hors-catégorie, une immonde pourriture, une raclure parmi les raclures, qui préfère être le premier en enfer plutôt que le second au paradis... En effet, pourquoi offrir aux hommes et aux femmes l'Espoir, la Liberté, l'Égalité et la Fraternité quand on peut régner sans partage avec un droit et vie et de mort absolu sur chacun d'entre eux ? (remember "L'Attaque des titans") Connard, je te hais de toutes mes forces et j'espère que tous les autres connards et toutes les autres connardes de ton espèce crèveront tous et toutes très salement dans d'infinies souffrances...
Le crevard détruit tous leurs efforts et les condamne à mort, mais la garde prétorienne de Joe-Jim se sacrifie pour les mousquetaires puissent s'enfuir. La team Dumas cavale à travers le Vanguard pour rejoindre une capsule de survie, et Bobo se la joue Horatius Coclès avant que Jim en deuil de Joe son frère jumeau ne décide de bloquer la route à leurs poursuivants en réalisant l'ultime sacrifice dans un dernier « UN POUR TOUS ET TOUS POUR UN !!! »
Par un accident cosmique dont le destin à le secret, Hugh, Alan, Bill et leurs épouses parviennent à atterrir sur la lune habitable et vivable d'une géante gazeuse gravitant autour ce qu'ils pensent être Ultima du Centaure... (oui bon, les femmes ne sont pas à la fête dans ce récit, contrairement à d'autres, mais qu'attendre de la mise en scène d'une société christianiste 100% patriarcale donc 100% machiste, sexiste et misogyne ?) Gravement victimes d'agoraphobie ils découvrent ce dont on les a toujours privés : un nouveau monde et un avenir à construire, si tant est qu'ils survivent à leur naufrage spatial (remember "Dark Eden" de Chris Beckett).

Dans "Si ça continue...", le candide John Lyle Gary Stu de l'auteur trouvait les bonnes personnes pour se déradicaliser de l'obscurantisme christianiste et ensemble ils terrassaient la Bête Immonde, Dans "Les Orphelins du ciel" le candide Hugh Hoyland Gary Stu de l'auteur trouve les bonnes personnes pour se déradicaliser du fondamentalisme christianiste et ensemble ils se font terrasser par la Bête Immonde... Que s'est-il passé entre les deux pour que l'auteur passe de l'Espoir au Désespoir ? de la même manière il se gaussait avec légèreté de la rébellion anti-système dans "Les Routes doivent rouler", alors qu'ici il traite le sujet le plus sérieusement du monde en se gardant bien de dire qui avait raison... du très bon Robert A. Heinlein, voire de la très grande Science-Fiction quand on sait que tout cela a été écrit au tout début des années 1940 et qu'aujourd'hui encore moult auteurs ne lui arrivent pas la cheville !!! Une fois de plus, je ne comprends toujours pas comment les bobos hipsters franco-français ont pu étiqueter l'auteur de gros fachos... La jalousie peut-être de voir un auteur autant démocratiser des réflexions naguère réservées à l'élite ? A moins que les gros fachos cela soit eux finalement ???


Challenge défis de l'imaginaire (SFFF) 2018

Les Enfants de Mathusalem, c'est le livre que je voulais lire de Heinlein, mais il est resté sur ma PAL toute l'année, puisque j'ai pris le temps de lire son Histoire du Futur, commencée au XXe siècle (l'Histoire, pas ma lecture hein, je suis lent mais quand même).
Ce quatrième et dernier tome est composé de deux romans. le premier est justement Les Enfants de Mathusalem, où l'on découvre des familles dont les membres ont une longévité exceptionnelle j'ai trouvé dommage que ces familles apparaissent juste dans ce tome et pas dans les précédents . Ces familles ont de quoi fasciner, bien qu'il y ait un inconvénient, à la longue la consanguinité . Nous sommes toujours au XXIIe siècle, donc temporellement proches de Révolte en 2100, comme en témoigne la réapparition de Libby. Cependant il subsiste un lien avec le XXe grâce à des personnages comme Lazarus Long, le protagoniste. Ca se lit facilement grâce à des dialogues très présents, et j'ai trouvé aussi que les développements techniques étaient mieux intégrés au récit, tout en restant bien présents comme l'affectionne l'auteur. J'aurais aimé en savoir plus sur Lazarus, car Heinlein a écrit d'autres textes où apparaît le personnage, mais presque aucun n'a été traduit en français. Dommage !

On passe aux Orphelins du ciel, à l'origine deux longues nouvelles écrites en 1941, où Heinlein est l'un des premiers à explorer les possibilités d'une histoire se déroulant dans un vaisseau générationnel. Autrement dit un vaisseau spatial dont la durée de voyage dans l'espace recouvre plusieurs générations. On fait un bond de plusieurs siècles, durée suffisamment longue pour que des gros changements soient survenus à l'intérieur du vaisseau...
Je ne m'attendais pas à ce ton Young Adult bien présent dans la première moitié, intitulée Univers. Impossible de ne pas faire le lien avec ce que reprochait Alexei Panshin à l'auteur dans Heinlein in Dimension et qui lui a fait écrire "Rite de passage".
Mais je n'ai pas boudé mon plaisir et pu mesurer à quel point Les Orphelins du ciel a pu influencer les successeurs qui se sont livrés à cet exercice.
Content d'avoir enrichi ma culture SF de cette incontournable Histoire du Futur !

De la SF qui a bien mal vieilli ou de bas étage ? Je m'attendais à plus de développements concernant les conséquences de la longévité de ce groupe d'humains : sociales, psychologiques, etc. Comme Barjavel l'a si bien fait dans "le grand secret". Je n'y ai trouvé que des aventures et dialogues un peu médiocres, qui sont entrecoupés de quelques paragraphes qu'un mauvais professeur d'anticipation pourrait refourguer à des élèves peu intéressés par la cohérence des choses. Une sorte de space opéra mais qui a l'air de se vouloir sérieux quand même...

Un excellent ouvrage dans lequel nous suivons des personnes vivant longtemps, chassés de la Terre par des gens "normaux", à la recherche d'une nouvelle planète. Mais tout ne ce passe pas comme prévu !