Wouaw. Vous dire que j'ai pris un uppercut en lisant ce livre n'est pas très original, mais mon scepticisme pour ce sport en a pourtant pris un coup - de plus. Un de plus, parce qu'il y a quelques années, j'avais déjà fait connaissance avec
le Boxeur de
Jim Tully (lien vers le livre en fin de critique pour c
eux que ça intéresse), avec une intention : comprendre pourquoi et comment on peut aimer regarder, ou pratiquer, un sport qui consiste à se faire mal. J'étais sortie émue de cette première rencontre attachante ; un peu sonnée aussi, KO, désorientée : j'avais aimé découvrir la motivation du héros, tout en n'étant pas sûre de pouvoir l'appliquer à tous les amateurs et professionnels. J'avais aimé pénétrer l'intimité de l'équipe qui se constituait et l'ambiance qui se dégageait du récit, mais n'admettais toujours pas qu'on puisse se taper dessus par plaisir. Surtout, l'abondance de dialogues, la plume linéaire et sans fioriture de l'auteur n'avaient pas réussi à m'amadouer totalement, malgré les descriptions belles et intenses des chorégraphies de combat sur le ring.
Sur les conseils de Bookycooky, j'ai donc récidivé avec
Ce que cela coûte, de WC HEINZ. L'histoire est sensiblement la même : on va suivre un boxeur durant sa préparation jusqu'au championnat, où toute sa carrière se joue. Mais ici, le narrateur est un journaliste qui le suit pendant seulement un mois jusqu'au grand soir, pour écrire son papier. C'est donc par le biais de ses questions ou des dialogues que nous en apprendrons plus sur le passé du boxeur, dont l'équipe est déjà constituée et sur le pied de guerre. Et une guerre, c'en est une, entre c
eux qui soutiennent Eddie et c
eux qui sont pour « l'autre ». Comme dans
le Boxeur, on finira par s'attacher à cette ribambelle de personnages, du boxeur à c
eux qui gravitent autour, sparring partners compris. Car même si l'on arrive parmi des gens qui se connaissent déjà, on va vivre un mois avec
eux tous, à l'hôtel où ils s'entrainent, se détendent, boivent des coups, se soutiennent dans les épreuves, et plaisantent ensemble. J'aime les détails des rituels apaisant d'avant match, les silences, cette économie de mots sous la pression que l'on sent irrémédiablement monter au fil de l'histoire. J'aime lorsque l'entraineur décrit comme il a façonné les muscles et les réflexes de son Dieu grec dans le marbre d'un entrainement précis et méticul
eux, sans répit. Tous font d'énormes sacrifices pour ce sport, que je trouve finalement assez ingrat envers
eux. Ce point est vraiment mis en exergue autant par Tully que par Heinz. On ressentira autant le bon esprit sportif, que le moins bon. Il y aura des victoires, mais aussi beaucoup de coups durs. Déchirants.
Je sors de cette lecture et j'ai presque envie de relire
le Boxeur de
Jim Tully pour voir si mon appréciation a changé. de mémoire, je pense que la grande différence entre les d
eux récits est la plume et la construction. Celle d'HEINZ est confortable, envoûtante. Elle contient pourtant pas mal de dialogues, elle aussi. J'ai même trouvé que les passages de boxe étaient moins bien décrits que c
eux de
Jim Tully - qui, dans ma mémoire, étaient de véritables ballets. Mais l'ensemble est convivial et vivant, avec les allés et retour dans le temps dus aux questions du journaliste sur le passé d'Eddie, ou encore le récit des souvenirs dans les conversations des personnages. Tout cela casse agréablement le rythme que j'ai trouvé moins linéaire, avec une plume plus enrobée peut-être ; ça meuble aussi efficacement le temps routinier de ce mois de préparation, durant lequel j'aurais pourtant apprécié de ressentir un peu plus l'effort du challenger, ce que le point de vue du journaliste permettait peu. Bref, j'ai aimé l'ambiance. A cette ambiance participe l'objet livre : une édition numérotée de chez
Monsieur Toussaint Louverture dont la douceur du papier, la souplesse de la couverture et tout jusque dans l'arrondi de chaque angle de page, procure la sensation d'être bien accueilli. J'ai particulièrement apprécié les réflexions issues du retour d'expérience de l'entraineur. Mais plus encore, les pensées personnelles du journaliste ont retenu mon attention, sur la question qui me taraude depuis le début : Pourquoi aime-t-on ce sport violent ? Si les tentatives de réponses spontanées du boxeur laissent de prime abord sceptique, les pistes de réponses du journaliste lui-même (notamment dans l'extrait ci-dessous), même si elles ne sont que des pistes, viennent les éclairer : Je vais les poursuivre avec l'essai que
Joyce Carol Oates a écrit sur le sujet. Je ne sais pas du tout si j'y trouverai mes réponses, mais je suis curieuse de la découvrir dans autre chose que ses romans !
« - C'était un
corps-à-
corps terrible, ils essayaient littéralement de se démolir, pendant qu'une marée humaine, assise dans les ténèbres hurlait pour en avoir plus. C'était comme d
eux monstres préhistoriques, enfoncés jusqu'aux genoux dans la vase primitive, prêts à combattre à mort, pendant qu'autour d'
eux la jungle résonnait du bruit et de l'horreur de leur affrontement.
- C'était si beau que ça ?
- Oui, c'était la vérité même. Quand on veut battre un type, on cherche à l'abattre, au sens propre. On n'essaie pas de toucher un coureur, de pousser un lanceur à la faute ou de donner de l'effet à une balle. Ca, ce sont des raffinements apportés par la civilisation.
- Ce sont d
eux choses différentes. Un boxeur boxe, et un joueur de base-ball joue au base-ball.
- Non. Les joueurs de base-ball se battent aussi. Qu'est-ce qu'ils font quand rien ne va plus ? Quand être rapide ou maîtriser une balle ne suffit plus ? Vous en avez vu faire, quand ça devient trop tendu, ils enlèvent leurs gants, jettent leurs battes et s'affrontent à mains nues. (…) Car c'est la vérité, mais dans leur sport, c'est interdit, pas dans le vôtre. J'aime le base-ball. J'aime les raffinements de la civilisation, mais je crois que, de tous les sports, si c'est de ça qu'on parle, la boxe est celui qui est ancré le plus profondément dans l'homme, celui qui s'approche le plus près de la vérité. »
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