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EAN : 9791090724457
384 pages
Monsieur Toussaint Louverture (07/02/2019)
4.46/5   55 notes
Résumé :
Tout de mesure et de détermination, lentement, Eddie Brown se prépare. Après neuf ans sur le ring, son heure a sonné : il va combattre pour le titre. luttes et sacrifices vont bientôt trouver leur sens lors d’un unique match où le fils d’un maçon ­pourrait devenir un immense champion. Mais, en attendant, Eddie Brown se prépare. Et telle une caméra, Frank Hughes, journaliste esthète, suit l’athlète les derniers jours avant le combat. Entraînements, repas, conversatio... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Laissez-moi vous parler avant toute chose du livre, de l'objet j'entends. le contenant avant le contenu. Il mérite en effet que nous nous y arrêtions. Ce livre est beau, presque sensuel avec ses bords arrondis, ses pages douces, sa couverture chocolat veloutée en remake leather… Pas étonnant, il est publié aux Editions Toussaint Louverture que j'affectionne tout particulièrement. Mon livre est unique, j'ai le numéro 3090 sur les 5000 exemplaires tirés. Numérotation manuelle, rien que ça. Je le découvre sur la toute dernière page du livre qui comporte également ces mots : « La leçon de W.C Heinz est que les perdants en savent plus sur la vie que les autres ». le ton est donné. Ce livre se veut fruit de l'artisanat, un livre de grande qualité qui interpelle grandement avant même de plonger dedans.

Vous me direz, qu'importe le flacon, pourvu qu'il y ait l'ivresse. Il se trouve que dans notre cas, le contenant reflète le contenu. La qualité du livre signale celle du récit dans sa forme et surtout dans son fonds. Ce livre a en effet pour sujet la persévérance, l'abnégation, la façon de peaufiner et de perfectionner peu à peu son art. Cet art étant ici la boxe mais l'auteur évoque tout au long du livre différentes formes d'art pour lesquelles l'abnégation, la persévérance, le travail régulier sont de mises, la chance étant un ingrédient secondaire. le thème principal du livre est donc la qualité exigée par tout art, et donc plus particulièrement la boxe. J'ai beaucoup aimé ces parallèles avec d'autres arts.

« Lorsqu'un gamin décide de devenir boxeur et quand, quelque part, il se pointe dans une salle, sac à la main, il est comme un bloc de marbre tout droit sorti d'une carrière, un bloc de la taille d'un homme. Un tailleur de pierres peut voir beaucoup de choses dans le marbre brut, mais le sculpteur n'en voit qu'une. Pour lui, il n'y a pas deux blocs identiques, et ce qu'il voit, c'est ce que le bloc est destiné à devenir, et c'est ainsi qu'est née la Victoire de Samothrace ».

Dans les années 50, aux Etats-Unis, nous suivons de près Eddie, boxeur professionnel qui se prépare pour les championnats du monde catégorie poids moyen, suivi de près par son manager le Doc et son entraineur Jay. C'est un combat décisif pour sa carrière. Nous lisons les propos de Franck, journaliste sportif, qui désire écrire un article sur Eddie et qui est ainsi autorisé à être présent durant toute la préparation, stage de plusieurs semaines ayant lieu dans un hôtel au bord d'un lac. Là, un ensemble de boxeurs, de managers, d'entraineurs sont réunis. Franck entre vraiment dans l'intimité de cette communauté de sportifs, dans l'intimité d'Eddie. Il est présent lors des entrainements, des conversations, des disputes, des repas, des balades. Il est présent sans être obnubilé par son article, il désire réellement avant toute chose comprendre, sentir et avec lui nous comprenons…

« Un boxeur est un monstre. Il va passer dix ans dans le milieu le plus dur au monde, un milieu qui va lui siphonner chaque gramme de sa force et chaque seconde de sa vie. Il n'y a pas un geste qui ne va pas avoir d'impact sur sa boxe. Il est pas peintre en bâtiment, pas avocat, pas écrivain. Il a pas trente ou quarante devant lui. Il doit tout donner maintenant, ou jamais ».

Nous comprenons ce que cela a couté et ce que cela coute d'atteindre un tel niveau. Ce que cela coute en termes d'années de travail pour un combat, ce combat. La préparation physique quotidienne. La pression psychologique, le dosage subtil entre l'excitation et contrôle de soi. Les sacrifices sur le plan familial. Nous comprenons ce que cela coute de manager de tels sportifs en termes d'intuition, de foi, de discipline à inculquer. Heinz, lui-même journaliste, est conscient que « Quel que soit le métier, personne ne comprend. A moins de faire la même chose, personne ne saisit jamais comment ça se passe vraiment », pourtant nous parvenons au fil des pages à comprendre cet univers. Et à l'aimer même lorsque, de prime abord, ce milieu ne nous intéresse pas spécialement.

La prose est étonnante et m'a quelque peu déroutée. Énormément de dialogues, courts, âpres, tranchants. Sans fioritures, sans graisse.Une prose qui claque. Et par moment, lorsque les pensées s'évadent, que les silences s'installent, des passages d'une grande beauté. Des effluves de sueur s'échappent des pages, des odeurs de vestiaires, d'adrénaline, qui se mêlent à cette prose virile quelque peu déstabilisante. Qui s'entrelacent également avec une certaine poésie, mélange permettant de mettre en valeur les personnages, de cerner leurs personnalités, leurs valeurs, de saisir l'ambiance et même les paysages. Oui, c'est une véritable atmosphère qui se dégage de ces lignes, une poésie brute.

« L'avenue était sale et sombre. Il était à peine neuf heures et demi d'un matin gris chargé des signes d'un printemps précoce, dans la rosée sur les ordures des caniveaux et dans les traces de boue présentes sur les taches d'huile du macadam des stations-service, des ateliers de réparation et des carrossiers ».

Et nous nous prenons à attendre le combat final, à espérer, à alterner entre craintes et confiance, avec eux. La chute s'avère être magistrale et inoubliable !

Un immense merci à Bookycooky qui m'a donné envie de découvrir ce chef-d'oeuvre, chef d'oeuvre publié en 1958 aux Etats-Unis sous le titre « The Professional » et publié en français en 2019 aux Éditions Monsieur Toussaint Louverture.
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« Le problème avec mon métier, c'est que j'ai le droit d'avoir des opinions, comme tout le monde, mais je dois aussi établir ce que les psychiatres, les psychologues,
les travailleurs sociaux appellent le “contact”» , paroles de Frank, journaliste de sport, sosie de l'auteur. Durant un mois, il va suivre comme une ombre, Eddie, boxeur professionnel, pour écrire un article sur ce qu'il traverse, alors que celui-ci se prépare pour un combat de titre décisif pour sa carrière. Ils sont dans un hôtel au bord d'un lac où Eddie s'entraîne avec une colonie d'autres boxeurs, managers, entraîneurs, masseurs. A travers un quotidien chargé d'adrénaline, il pénètre l'intimité d'un homme, ses entraînements, ses repas, ses conversations, ses liens avec son entraîneur, son masseur, ses joies, ses angoisses....

Dans une prose exquise, dans le fond et la forme, dans les années 50 aux États Unis, un trio attachant, de par leur honnêteté, leur humilité et leur sens de l'amour propre, dans un monde de pro et de business , donc de pognon, où les sentiments arrivent à primer sur ce dernier.
Tendresse de l'entraîneur Doc Carroll pour son poulain, Eddie Brown, garçon poli et discret, le boxeur que Doc aurait voulu être,
Amitié et complicité entre Frank et Doc qui se connaissent depuis des lustres,
Franchise et lucidité de Frank, qui sait que comme journaliste il s'engage dans un combat perdu d'avance, conserver son objectivité,”je n'en peux plus de développer des liens affectifs avec les gens sur qui j'écris.”,
Mais aussi récit émouvant d'une colonie de sportifs professionnels aux couleurs divers, comme le superbe personnage de Memphis Kid,
Le tout raconté dans un contexte de descriptions détaillées sublimes, de personnages, de paysages et d'ambiance, dont certains m'ont fortement fait penser à l'atmosphère du théâtre de Tennessee Williams et d'Arthur Miller.
Un livre qui touche aussi à la philosophie du boxe, où le combat est toujours un spectacle en direct, ne donnant aucune chance à l'esquisse, et où selon Doc, tout est calculé et rien laissé à la chance ?
Le temps d'un livre j'ai vécu avec eux, chargée à bloc d'émotion, attendant avec impatience le combat, et mon coeur a battu fort pour que Doc, Eddie et Frank n'en ressortent pas déçus........comme moi d'ailleurs .....

Ce chef-d'oeuvre publié en 1958 aux Etats-Unis sous le titre « The Professional » est introuvable en v.o., du moins dans mes contrées; donc chapeau aux Éditions Monsieur Toussaint Louverture, qui viennent de le publier en français ( février 2019 ) dans une présentation, un format et une traduction superbe. Si vous ne deviez lire qu'un livre cette année, lisez celui-là et si vous avez des listes de Papa Noël, n'hésitez pas à le mettre tout de suite tout en haut de votre liste, au cas où ce dernier serait un peu radin cette année, vu la situation économique 😊.
Gros coup de coeur !

“LA LEÇON
de W.C.Heinz est que les perdants en savent plus sur la vie que les autres.”

Je remercie Bison qui me l'a vendue avec une unique citation.
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Wouaw. Vous dire que j'ai pris un uppercut en lisant ce livre n'est pas très original, mais mon scepticisme pour ce sport en a pourtant pris un coup - de plus. Un de plus, parce qu'il y a quelques années, j'avais déjà fait connaissance avec le Boxeur de Jim Tully (lien vers le livre en fin de critique pour ceux que ça intéresse), avec une intention : comprendre pourquoi et comment on peut aimer regarder, ou pratiquer, un sport qui consiste à se faire mal. J'étais sortie émue de cette première rencontre attachante ; un peu sonnée aussi, KO, désorientée : j'avais aimé découvrir la motivation du héros, tout en n'étant pas sûre de pouvoir l'appliquer à tous les amateurs et professionnels. J'avais aimé pénétrer l'intimité de l'équipe qui se constituait et l'ambiance qui se dégageait du récit, mais n'admettais toujours pas qu'on puisse se taper dessus par plaisir. Surtout, l'abondance de dialogues, la plume linéaire et sans fioriture de l'auteur n'avaient pas réussi à m'amadouer totalement, malgré les descriptions belles et intenses des chorégraphies de combat sur le ring.


Sur les conseils de Bookycooky, j'ai donc récidivé avec Ce que cela coûte, de WC HEINZ. L'histoire est sensiblement la même : on va suivre un boxeur durant sa préparation jusqu'au championnat, où toute sa carrière se joue. Mais ici, le narrateur est un journaliste qui le suit pendant seulement un mois jusqu'au grand soir, pour écrire son papier. C'est donc par le biais de ses questions ou des dialogues que nous en apprendrons plus sur le passé du boxeur, dont l'équipe est déjà constituée et sur le pied de guerre. Et une guerre, c'en est une, entre ceux qui soutiennent Eddie et ceux qui sont pour « l'autre ». Comme dans le Boxeur, on finira par s'attacher à cette ribambelle de personnages, du boxeur à ceux qui gravitent autour, sparring partners compris. Car même si l'on arrive parmi des gens qui se connaissent déjà, on va vivre un mois avec eux tous, à l'hôtel où ils s'entrainent, se détendent, boivent des coups, se soutiennent dans les épreuves, et plaisantent ensemble. J'aime les détails des rituels apaisant d'avant match, les silences, cette économie de mots sous la pression que l'on sent irrémédiablement monter au fil de l'histoire. J'aime lorsque l'entraineur décrit comme il a façonné les muscles et les réflexes de son Dieu grec dans le marbre d'un entrainement précis et méticuleux, sans répit. Tous font d'énormes sacrifices pour ce sport, que je trouve finalement assez ingrat envers eux. Ce point est vraiment mis en exergue autant par Tully que par Heinz. On ressentira autant le bon esprit sportif, que le moins bon. Il y aura des victoires, mais aussi beaucoup de coups durs. Déchirants.


Je sors de cette lecture et j'ai presque envie de relire le Boxeur de Jim Tully pour voir si mon appréciation a changé. de mémoire, je pense que la grande différence entre les deux récits est la plume et la construction. Celle d'HEINZ est confortable, envoûtante. Elle contient pourtant pas mal de dialogues, elle aussi. J'ai même trouvé que les passages de boxe étaient moins bien décrits que ceux de Jim Tully - qui, dans ma mémoire, étaient de véritables ballets. Mais l'ensemble est convivial et vivant, avec les allés et retour dans le temps dus aux questions du journaliste sur le passé d'Eddie, ou encore le récit des souvenirs dans les conversations des personnages. Tout cela casse agréablement le rythme que j'ai trouvé moins linéaire, avec une plume plus enrobée peut-être ; ça meuble aussi efficacement le temps routinier de ce mois de préparation, durant lequel j'aurais pourtant apprécié de ressentir un peu plus l'effort du challenger, ce que le point de vue du journaliste permettait peu. Bref, j'ai aimé l'ambiance. A cette ambiance participe l'objet livre : une édition numérotée de chez Monsieur Toussaint Louverture dont la douceur du papier, la souplesse de la couverture et tout jusque dans l'arrondi de chaque angle de page, procure la sensation d'être bien accueilli. J'ai particulièrement apprécié les réflexions issues du retour d'expérience de l'entraineur. Mais plus encore, les pensées personnelles du journaliste ont retenu mon attention, sur la question qui me taraude depuis le début : Pourquoi aime-t-on ce sport violent ? Si les tentatives de réponses spontanées du boxeur laissent de prime abord sceptique, les pistes de réponses du journaliste lui-même (notamment dans l'extrait ci-dessous), même si elles ne sont que des pistes, viennent les éclairer : Je vais les poursuivre avec l'essai que Joyce Carol Oates a écrit sur le sujet. Je ne sais pas du tout si j'y trouverai mes réponses, mais je suis curieuse de la découvrir dans autre chose que ses romans !


« - C'était un corps-à-corps terrible, ils essayaient littéralement de se démolir, pendant qu'une marée humaine, assise dans les ténèbres hurlait pour en avoir plus. C'était comme deux monstres préhistoriques, enfoncés jusqu'aux genoux dans la vase primitive, prêts à combattre à mort, pendant qu'autour d'eux la jungle résonnait du bruit et de l'horreur de leur affrontement.
- C'était si beau que ça ?
- Oui, c'était la vérité même. Quand on veut battre un type, on cherche à l'abattre, au sens propre. On n'essaie pas de toucher un coureur, de pousser un lanceur à la faute ou de donner de l'effet à une balle. Ca, ce sont des raffinements apportés par la civilisation.
- Ce sont deux choses différentes. Un boxeur boxe, et un joueur de base-ball joue au base-ball.
- Non. Les joueurs de base-ball se battent aussi. Qu'est-ce qu'ils font quand rien ne va plus ? Quand être rapide ou maîtriser une balle ne suffit plus ? Vous en avez vu faire, quand ça devient trop tendu, ils enlèvent leurs gants, jettent leurs battes et s'affrontent à mains nues. (…) Car c'est la vérité, mais dans leur sport, c'est interdit, pas dans le vôtre. J'aime le base-ball. J'aime les raffinements de la civilisation, mais je crois que, de tous les sports, si c'est de ça qu'on parle, la boxe est celui qui est ancré le plus profondément dans l'homme, celui qui s'approche le plus près de la vérité. »
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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On m'aurait dit que j'allais apprécier une livre sur la boxe, et attendre le coeur serré l'issue du combat final, j'aurais haussé les épaules et souri... Et pourtant !

D'abord c'est un livre des éditions Monsieur Toussaint Louverture, donc l'a priori etait favorable, et puis j'en avais lu de merveilleuses critiques, Chrystèle (hordeducontrevent) , Idil (bookycooky) et Paulo (El_Camaleon_Barbudo). En plus Paulo l'a placé dans sa liste de ses lectures préférées de 2022, me rappelant qu'il m'attendait.

Ce roman paru aux Etats-Unis en 1958, nous plonge dans l'atmosphère des années 50, ce temps où la télévision en était à ses débuts, ce temps où les écrans n'avaient pas envahi la vie de tous.
C'est un roman d'hommes et les rares femmes présentes n'ont pas forcément le beau rôle, entre la femme du boxeur, qui l'a épousé pour son avenir prometteur, la présentatrice de l'émission de télé qui ne pense qu'à piéger ses invités, et les deux inconnues dans la voiture tout dans l'apparence, La seule à être présentée positivement, c'est la femme de l'hôtelier, et surtout parce qu'elle cuisine bien. Sans doute représentatif de ces années. C'est vraiment mon seul bémol, et encore j'ai l'impression de chipoter, parce que cela ne m'a pas vraiment dérangée alors que certaines fois cela m'horripile.

Franck, journaliste, va suivre pendant quelques semaines la préparation pour le combat pour le titre des mi-lourds, d'Eddie Brown, jeune challenger du champion en titre. Eddie est managé par Doc, un entraineur expérimenté, qui a aidé beaucoup de boxeurs à devenir meilleurs, mais qui n'a jamais gagné de titres. Ces trois hommes vont partager leur vie pendant ces quelques semaines. Trois hommes attachants, humains, intègres. Il s'agit là d'une préparation à un match de boxe, mais ce qui est montré là est beaucoup plus universel. Il y est question de persévérance, d'effort, de désir de devenir le meilleur, de s'améliorer sans cesse, de connaissance de soi et d'abnégation. Qualités utiles quel que soit l'objectif : une rencontre de boxe, un match de base-ball, une oeuvre d'art.

Eddy a atteint son meilleur niveau, et cela lui a couté de nombreuses années d'efforts, de travail, de nombreuses années où la boxe a pris le pas sur tout le reste, où il faut surveiller ce que l'on mange pour être au poids voulu le jour du combat, enchainer exercices physiques et matchs de préparation. Et le match pour le titre sera le point ultime de ces années, pour lui, mais aussi pour Doc, qui l'a préparé, lui a appris tout ce qu'il sait, a amené au jour ce qu'Eddy cachait en lui tel un sculpteur qui transforme un bloc de marbre en une merveilleuse statue :
« Même le plus grand sculpteur au monde ne peut rien rajouter au marbre qu'il façonne. Si ce n'est pas là, ce n'est pas là. Personne n'y peut rien, personne ne crée, on se contente de gratter la matière pour en révéler la création. C'est comme ça que l'homme essaie de créer, et c'est ça qui fait peur aux plus grands. Ils sont les seuls à voir vraiment, et ça les effraie que dans leur travail de soustraction, ils ne soient pas capables de tout révéler, et que ce qui demeure caché le soit pour l'éternité. Mais ce qu'ils redoutent plus encore, c'est le coup de trop, celui qui détruirait tout à jamais. C'est comme ça qu'on fabrique les choses, c'est comme ça qu'on fabrique un boxeur. »

La tension monte pour Eddy au fur et à mesure, alors que le combat se rapproche.et le lecteur est là à ses côtés, tremblant pour lui. J'avais à la fois envie de savoir et je ralentissais ma lecture pour y croire encore. Je n'ai jamais regardé de match de boxe, mais ce livre m'a convaincue que l'on pouvait y trouver de la beauté.
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Le corps en sueur, le coeur battant, l'âme pas encore battu, un genou à terre. J'entends cette petite musique dans la tête, genre ta ta ta ta ta la la la la, tu vois le genre, genre tu cours dans la rue, et dès que tu vois des marches d'escalier, tu accélères, et une fois gravi le sommet de cette colline urbaine, tu lèves les bras au ciel et tu te retournes en regardant la ville en bas, le regard si fier que tu aurais envie de crier au vent « Adriennnnneee ». Une foule t'applaudit, hurle ton nom, des flashs crépitent, c'est le délire, abondance de lumières, de brouhaha, de femmes en maillot de bain échancré venu tourner autour de l'arène, ce mélange de sueur et de testostérone, bientôt tu auras une statue à ton image, les larmes aux yeux. Oui, mais voilà, tu te réveilles ce matin, dans un matelas qui pue autant le moisi que la pisse, toujours en sueur, dans un motel autant moisi que miteux, seul, la vie c'est pas ce putain de rêve. le mythe du boxeur, c'est une autre paire de gants.

Tu l'auras compris, je vais te parler de boxe, sport roi il y a quelques années. Il y a ce type, Eddie Brown, qui se prépare à jouer sa carrière sur un match, le match d'une vie, le regard perdu face au champion du monde des poids moyens et ses soixante et onze kilos et neuf cents grammes de muscles et de sueur. Jouer ainsi sa vie en quinze rounds… Parce qu'il n'y a de place que pour le vainqueur. Si tu t'allonges, tu restes dans le monde de loser qui te colle tant à la peau. Si tu l'allonges, des poupées bien roulées seront à tes pieds, prêtes à te donner leurs âmes et leurs seins. La force est dans l'oeil du tigre dirait le coach. Mais laisse tomber tout ça. Avant, réfléchis à « ce que cela coûte ».

Car peu importe l'issue du combat, ce livre c'est l'avant combat, tous les sacrifices pour atteindre ce grand rendez-vous et juste espérer. Entre superbe roman et grande enquête journalistique, tu suis ces quelques mois avant le jour J, celui où l'oeil gauche au beurre noir, l'arcade sourcilière en sang tu t'écrouleras, ou celui l'oeil droit tuméfié, deux côtes cassées, tu lèveras les bras. Chaque matin devient un éternel recommencement. Dès l'aube, sous le froid la neige le vent, la nuit qui ne s'est pas encore couchée, le regard imperturbable, tu laces tes lacets, silence et sacerdoce de l'instant présent, une bouffée d'air frais, et tu enchaînes les pas, lentement au début, les muscles se réchauffent, se délient, le coeur se réveille, tu accélères progressivement, les oiseaux se réveillent également à l'unisson de tes enjambées, la foulée se fait plus grande, de plus en plus aérienne, pas de foule à cette heure-ci. Arrivée au gymnase, encore tout frais, au menu du jour, saut à la corde, pompes à deux mains, pompes à une main, pompes sautées, tractions et haltères, jeu de jambes, jeu de bras… J'adore suivre ces entraînements, des journées où la solitude pèse tout son poids, même pour un poids mi-lourd tel que moi, des mois que cela dure, l'entrainement de plus en plus dur, les réveils qui traînent mais tu tentes de faire bonne figure devant l'entraîneur… Changement de programme, tu tapes dans des carcasses de bidoches dans une chambre froide, méthode recommandée par Balboa. Sauf qu'Eddie n'est pas Rocky.

Quelle merveilleuse littérature que celle de la boxe, celle des valeurs humaines, du respect et de l'abnégation. Une odeur de sueur se lèvent d'entre les pages et s'emmêlent à celle entêtante de la nature poétique d'une prose toute journalistique. Des articles comme ça, tu peux en trouver dans le National Geographic, mais tu ne t'y attends pas à trouver des faits relatant à la boxe, sport aussi bestial qu'(in)humain, une autre façon d'écrire, une autre vision du journalisme, celle des années cinquante…
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critiques presse (1)
LeMonde
12 février 2019
Heinz semble avoir toujours su que la gloire est éphémère, qu’un faux pas peut coûter la vie. Son style est musclé et modeste. Attentif aux perceptions et aux gestes, dialoguiste authentique, il écrit avec clarté et sans graisse. Il évite superlatifs et sensationnalisme.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (54) Voir plus Ajouter une citation
- C’était un corps-à-corps terrible, ils essayaient littéralement de se démolir, pendant qu’une marée humaine, assise dans les ténèbres hurlait pour en avoir plus. C’était comme deux monstres préhistoriques, enfoncés jusqu’aux genoux dans la vase primitive, prêts à combattre à mort, pendant qu’autour d’eux la jungle résonnait du bruit et de l’horreur de leur affrontement.

- C’était si beau que ça ?

- Oui, c’était la vérité même. Quand on veut battre un type, on cherche à l’abattre, au sens propre. On n’essaie pas de toucher un coureur, de pousser un lanceur à la faute ou de donner de l’effet à une balle. Ca, ce sont des raffinements apportés par la civilisation.

- Ce sont deux choses différentes. Un boxeur boxe, et un joueur de base-ball joue au base-ball.

- Non. Les joueurs de base-ball se battent aussi. Qu’est-ce qu’ils font quand rien ne va plus ? Quand être rapide ou maîtriser une balle ne suffit plus ? Vous en avez vu faire, quand ça devient trop tendu, ils enlèvent leurs gants, jettent leurs battes et s’affrontent à mains nues. (…) Car c’est la vérité, mais dans leur sport, c’est interdit, pas dans le vôtre. J’aime le base-ball. J’aime les raffinements de la civilisation, mais je crois que, de tous les sports, si c’est de ça qu’on parle, la boxe est celui qui est ancré le plus profondément dans l’homme, celui qui s’approche le plus près de la vérité.
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Même le plus grand sculpteur au monde ne peut rien rajouter au marbre qu’il façonne. Si ce n’est pas là, ce n’est pas là. Personne n’y peut rien, personne ne crée, on se contente de gratter la matière pour en révéler la création. C’est comme ça que l’homme essaie de créer, et c’est ça qui fait peur aux plus grands. Ils sont les seuls à voir vraiment, et ça les effraie que dans leur travail de soustraction, ils ne soient pas capables de tout révéler, et que ce qui demeure caché le soit pour l’éternité. Mais ce qu’ils redoutent plus encore, c’est le coup de trop, celui qui détruirait tout à jamais. C’est comme ça qu’on fabrique les choses, c’est comme ça qu’on fabrique un boxeur.
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Elle avait presque la trentaine. Elle portait une robe de chambre à fleurs blanches et rouges, des mules rouges, et ses ongles étaient vernis de la même couleur.....

-Donc, c’est vous qui allait écrire un article sur Eddie......

-Quel genre d’article allez-vous écrire ?
-Je ne sais jamais à l’avance. Il sera bien.
-Espérons.
-Si c’est à propos d’Eddie, il sera forcément bien. Eddie est un type bien.
-Dit-il, avant de presser la détente.
-Je ne suis pas un tueur.
-Espérons. “
Quel visage calme pour balancer tout ça, ai-je pensé.
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Quand la cloche retentit, j'observais le poulain de Doc s'avancer lentement, commencer à décrire des cercles, garde basse et tête baissée, et ça ne fit aucun doute. C'était bien un des boxeurs de Doc. C'est comme ce qu'un peintre insuffle dans ses peintures, qui fait qu'on les reconnait même si elles ne sont pas signées, comme ce qu'un écrivain insuffle dans sa prose, s'il est assez accompli, qui fait qu'on le reconnaitrait entre mille.
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Je ne me rappelle plus quand j'ai rencontré Doc Carroll, mais je me souviens de la nuit où j'ai vu Eddie Brown pour la première fois. J'étais à Pittsburg à la recherche d'un sujet, c'était la fin juillet et un combat en extérieur était organisé à Forbes Fields. Il faisait chaud et humide depuis des jours, et un orage avait éclaté vers le milieu de l'après-midi, obscurcissant la ville, mais déchirant le ciel d'éclairs éblouissants comme une immense faux. A présent le crépuscule tombait, et je me dirigeais vers le stade sous les frondaisons de Schenley Park, sentant l'air frais sur mon visage, mes mains et dans mes poumons, et je le voyais, après plusieurs jours presque irrespirables, ramener à la vie les gens autour de moi dans la rue. Je le voyais raviver leurs regards, ils entrouvraient le désir de marcher sans entrave, et je l'entendais, désormais sans retenue, prêt à éclater, dans les rires naissants qui montaient de leur voix.
Je m'installai près du ring et assistai aux premières rencontres, sans en attendre grand-chose, et entre les rounds et les combats, j'écoutais l'agitation de la foule et goûtais à la nuit et cherchais à déceler les étoiles que je savais présentes par-delà les lumières et le léger voile bleuté des fumées de cigarettes qui stagnait, translucide, au-dessus de nos têtes. Puis sur le ring, la demi-finale arriva, et je vis Doc, qui passait entre les cordes et les maintenait écartées pour un gamin aux cheveux clairs en peignoir de satin vert et blanc.
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