AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782266097833
672 pages
Pocket (16/09/1999)
4.1/5   347 notes
Résumé :
"Trop pauvre que je suis pour posséder un autre animal, du moins 'le Cheval d'Orgueil' aura-t-il toujours une stalle dans mon écurie."

Ainsi parlait à l'auteur son petit-fils, l'humble paysan Alain Le Goff qui n'avait d'autre terre que celle qu'il emportait malgré lui aux semelles de ses sabots de bois.

"Quand on est pauvre, mon fils, il faut avoir de l'honneur. Les riches n'en ont pas besoin." Et l’honneur consiste à tenir et à faire... >Voir plus
Que lire après Le cheval d'orgueilVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (32) Voir plus Ajouter une critique
4,1

sur 347 notes
5
10 avis
4
12 avis
3
5 avis
2
1 avis
1
0 avis
Le Cheval d'Orgueil de Pierre-Jakez Hélias est un témoignage extrêmement détaillé de la façon dont vivaient les paysans dans certains villages du pays bigouden dans les années 1910 – 1930. Dans cet oeuvre, il n'est nullement question de la vie des marins, ni de celle des citadins, il est question du monde rural : le lecteur découvre des paysans qui ne sont pas encore devenus agriculteurs. Dans cet oeuvre, Pierre-Jakez Hélias n'ambitionne pas de dresser un panorama de ce qu'était toute la Bretagne de cette époque : il nous présente la vie de quelques villages situés entre la baie d'Audierne et la ville de Quimper. Il n'est enfin pas question pour l'auteur de mener une analyse économique ou politique de la vie de ces paysans, ou de proposer une thèse ou d'énoncer quelque revendication que ce soit.

Ce « ciblage » délibéré a parfois été interprété comme un manque évident d'analyse de la part de Pierre-Jakez Hélias. L'auteur s'est expliqué sur cette posture à la fin de son ouvrage : citant Montaigne, Pierre-Jakez Hélias souligne le fait qu'il n'était pas question pour lui d'enseigner mais de raconter. Ce manque d'analyse, qui n'est que très partiel car il faut reconnaître que les dimensions sociale et humaine de cette vie paysanne en pays bigouden prennent une place très significative dans le Cheval d'Orgueil , a été notamment remarqué par Mannaïg Thomas : pour elle, le Cheval d'Orgueil est une oeuvre largement autobiographique, construite comme un tableau et offerte au regard. En fait de peinture, le tableau -"peint" en langue bretonne-, est celui d'un monde presque totalement disparu et oublié aujourd'hui, longtemps marginalisé par les sociologues et les historiens : cette marginalisation ne s'explique qu'en partie par l'éloignement géographique.

D'aucuns ont considéré que le Cheval d'Orgueil donnait une image trop passéiste de la Bretagne. Mais peut-on reprocher à un breton de témoigner de ce qu'était la vie de ses ancêtres ? Peut-on lutter contre le temps, contre la modernisation de la société, contre l'évolution de la langue et des comportements ? Pierre-Jakez Hélias nous montre des bretons, et plus précisément des paysans bigoudens, fiers de leurs traditions et de cette société qui les a nourri, société qui fonctionnait selon un code strictement établi. Cette fierté, ils la gardent au fond d'eux-mêmes quand bien même ils auraient été déracinés (il y a des bigoudens dans certains HLM de la région parisienne) ou tout perdu (les paysans bigoudens ne vivent pas tous dans l'opulence) : cette fierté, nous dit Pierre-Jakez Hélias, se transmet de génération en génération et constitue leur cheval d'orgueil.

Pour écrire le Cheval d'Orgueil , Pierre-Jakez Hélias a adopté une posture de collecteur : il nous a restitué dans le moindre détail et avec un réalisme saisissant -en ayant rassemblé ses propres souvenirs et collecté pendant trente ans les témoignages de ses proches-, ce qu'était cette vie quotidienne, une vie basée sur trois principes fondamentaux, à savoir l'alimentation, la paysannerie et le respect de la hiérarchie, à commencer par la hiérarchie familiale. Pierre-Jakez Hélias ne fait pas preuve ici d'une grande originalité : de nombreux auteurs avaient, avant lui et en arpentant la même région, déjà réussi à tirer profit des pratiques paysannes en pays bigouden pour illustrer leurs oeuvres, à commencer par Charles Emile Souvestre (1806-1854) avec Les derniers Bretons, Théodore Hersart, vicomte de la Villemarqué (1815-1895), François-Marie Luzel (1821-1895) et Anatole le Braz (1859-1926) avec La légende de la mort chez les Bretons Armoricains. Mais fallait-il que Pierre-Jakez Hélias soit original ? Était-ce son but ? Aucunement : il souhaitait témoigner, en toute simplicité et en toute honnêteté.

La Bretagne de Pierre-Jakez Hélias ressemble à un décor, à une toile de fond devant laquelle des acteurs évolueraient mais sans effet sur l'intrigue, si tant est qu'il y est une intrigue dans le Cheval d'Orgueil. Dans cette oeuvre de 552 pages, il n'y a pas d'autres héros que des héros très ordinaires, à savoir les paysans bigoudens d'alors, et il n'y a pas d'épisodes à proprement parler : les faits s'enchaînent les uns après les autres, sans datation explicite et sans que le lecteur éprouve des difficultés à découvrir les faits, les personnes impliquées et les responsabilités. Il n'y a ni meurtres, ni coupables: bref, ça n'est pas un roman. L'oeuvre fourmille de petites histoires et d'anecdotes de la vie quotidienne, parfois traversée par des événements inattendus voire exceptionnels. L'oeuvre est émaillée de coutumes, de traditions et de légendes ayant forgé le peuple bigouden. Lorsque Pierre-Jakez Hélias utilise des termes bretons, c'est toujours en regard de leur traduction en français, dans un souci de vérité et de précision, et dans le but de nous faire toucher du doigt les fondements de la culture et de la psychologie d'hommes et de femmes qu'il respecte, qu'il adore et dont il fait partie.

En observateur et conteur légitime et éclairé, Pierre-Jakez Hélias confie à « sa Bretagne » un vrai rôle d'acteur en ce sens que c'est à la fois elle qui répond aux questions que se posent les personnages du Cheval d'Orgueil , mais c'est aussi elle qui permet au Breton d'hier et d'aujourd'hui de se définir une place dans un monde en mouvement, en s'appuyant toujours sur la sagesse de ses ancêtres.

Écrit en 1975, soit moins de trois ans après la mort de la mère de Pierre-Jakez Hélias, le Cheval d'Orgueil témoigne de la déférence et du respect filial de l'auteur envers ses parents. L'oeuvre marque l'aboutissement d'un processus et de convictions personnelles de l'auteur : pour lui, si la langue bretonne a changé, si la Bretagne traditionnelle a disparu, il n'en demeure pas moins vrai que les bigoudens doivent être et demeurer fiers de leurs racines et faire en sorte que leurs valeurs soient continuellement et solidement défendues. Ce tableau d'un luxe de détails incroyable, attachant, empreint d'un brin de nostalgie mais éloigné de toutes considérations militantes, plaira au plus grand nombre.
Commenter  J’apprécie          550
Je me souviens de la lecture de ce livre passionnant. C'était à la fin des années 90, et j'avais un peu souffert sur les pardons bretons.
Mais quel plaisir de lire cette vie des paysans de ce pays du bout du monde.
Pas des marins, non... de ces paysans qui louaient leurs bras aux propriétaires de la terre bretonne.
Je me rappelle les forts passage concernant le partage du cochon, du repas des valets de ferme avec la proportion des écuelles en fonction du travail fourni par chacun, et de cette scène lorsqu' Alain le Goff annonce à son maître qu'il va acheter une horloge... Et puis de ce lit clos, symbole de l'humble intérieur de ces paysans et de leur existence.
L'oeuvre de Pierre-Jakez Hélias a su m'emmener dans cette terre de paysans d'Armorique et me la faire toucher, sentir et surtout commencer de l'aimer.
Le livre, dans sa première édition sous jaquette, reste à portée de mes doigts pour en relire un chapitre ou deux à l'occasion... Comme une envie de Bretagne.
Commenter  J’apprécie          679
C'est un ami, qui a grandi à Pouldreuzic, qui m'a conseillé ce livre dont je connaissais l'existence surtout par le film que Claude CHABROL en a tiré. C'est donc à Pouldreuzic, petit village du pays bigouden, que Pierre-Jackez HELIAS naît en 1914. Issu d'une famille d'ouvriers agricoles pauvres, il va grandir auprès de son grand-père et s'imprégner des traditions bretonnes. Plus tard, il partira pour quimper et Rennes afin d'y faire ses études. Devenu professeur de lettres, il oeuvrera pour la pérennité de la culture bretonne.
Dans ce livre, largement autobiographique, il nous livre des chroniques de la vie dans son village depuis le début du XXème siècle. C'est une immersion totale dans la Bretagne de jadis. La vie était simple, dure mais honnête. le travail des champs se faisaient au rythme des saisons. Les relations sociales étaient codifiées par des règles très sérieuses. La religion catholique était omniprésente, même chez "les rouges".
A travers de petites histoires, des anecdotes de la vie quotidienne, HELIAS nous parle des coutumes, traditions et légendes qui ont forgé le peuple breton. Et puis il y a aussi la langue bretonne, celle qu'on apprend dès le berceau et qui est la seule, la vraie, celle qu'on utilise à la maison, dans la rue mais qui est interdite à l'école et dans la cour de récréation sous peine de punition.
Et puis il y a les meubles, l'armoire, souvent unique possession de la famille et qui contient la vaisselle précieuse, les photos, les papiers importants, le lit fermé où l'on s'enferme la nuit mais qui garde toujours une ouverture pour voir ce qui se passe dans la pièce commune.
Et puis, il y a les crêpes et galettes, réservées aux jours de fête et que l'on ne peut manger que lorsque toute la pâte a été utilisée, le pain au café qui attend bien au chaud sur un coin du poêle.
Et puis il y a la fameuse coiffe bigoudène que les filles portent dès leur plus jeune âge. C'est tout un art de la faire tenir bien droite sur la tête et de la garder bien blanche.
Et puis il y le temps qui passe, le siècle qui avance avec son lot de modernité. L'instruction se généralise. La république impose le français. Les jeunes quittent le village pour le lycée de Quimper. Les machines commencent à envahir les champs, remplaçant les hommes. Les touristes de la capitale viennent pour les plages qui jusque là étaient réservées à la pêche à pieds.
La fin d'une époque?Oui parce qu'on ne lutte pas indéfiniment contre le temps, contre le modernisme. Mais non,parce que les bretons, fiers et orgueilleux, sauront encore une fois faire face à l'adversité en intégrant la modernité sans se départir de leurs traditions.
Un livre très riche, empreint de nostalgie mais parsemé de touches d'humour, écrit par un amoureux de sa région qui a vu s'éteindre une époque, celle de la vie simple, de la solidarité mais qui a réussi à éviter l'écueil du "c'était mieux avant".
Je l'ai beaucoup aimé et même sans être bretonne, j'y ai reconnu des manières de voir, de penser et d'agir, des faits, des us et coutumes que ma grand-mère alsacienne évoquait quand elle parlait de son enfance.
Commenter  J’apprécie          340
Compilation passionnante de récits à la fois ethnologiques et biographiques sur le monde paysan en pays bigouden de l'entre deux guerres, le cheval d'orgueil est un document historique très travaillé où Pierre Jakez Hélias réactive ses souvenirs d'une société traditionnelle en mutation, menacée de disparition… J'ai aimé lire le cheval d'orgueil, surtout pour l'orgueil. Mais celui d'un autre paysan, l'orgueil d'un dérisoire plouc à sabot originaire de Rostronen, du temps des Côtes-du-Nord, mais qu'on n'a pas oublié de mobiliser pour quatre ans de tranchée, laissant famille et ferme se débrouiller. Au nom d'une patrie interdisant de parler breton.
J'ai aimé lire ce livre pour l'orgueil d'un homme et de sa terre qu'aucune carte ne mentionne. Pour le pain dur de ses champs à travailler, pour le blé et le lait de sa peine et les truites braconnées du Sulon, pour son cidre aigre et trouble comme sa langue clandestine, pour le brûlant de son four en pierre dans le pré à vaches et ses larmes quand son cheval de trait trop vieux est parti pour la boucherie, pour la magie noire de ses contes sur le banc de granit dans la vaste cheminée du soir.
Pour sa gentillesse taiseuse et sa vieille main calleuse posée sur nos têtes de gamins, pour les cachettes des gros mots en breton et la paille des crachins d'été embrouilleurs de saison, pour sa rogne contre le remembrement saccageur de haies d'osier et de genêt et son coup de poing dans la tronche du chef de la coopérative, ce vendu. Pour la messe du dimanche de son ami curé et ses fils à demi secrets, pour ce dieu sourd à ses prières de fermier, tout le temps sourd le "doué", pour les pieds du matin tôt levés, poudrés de terre battue, et cette horloge à balancier qui ne retarde jamais.
Pour la ferme disparue, pour le four éteint sous les ronces et les pommiers morts, pour la maison écroulée et les étables vendues, aujourd'hui chambres d'hôtes pour d'improbables touristes. Pour mon enfance en vacances bottées de caoutchouc et de gadoue heureuse. J'ai aimé lire ce livre pour l'orgueil de mon arrière-grand-père.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
Commenter  J’apprécie          4210
Le cheval d'orgueil, traduit dans la collection Terre Humaine des éditions Plon dans les années 1975 et qui connut un succès considérable puisqu'il s'est vendu à 1 million d'exemplaires et qui continue de se vendre.

Cet homme Per-Jakez Hélias eut la chance de pouvoir étudier, et parce qu'il était bon élève, il put poursuivre ses études et enseigner ensuite. Il était parfaitement bilingue : son Cheval d'orgueil fut d'abord écrit en breton, puis traduit en français.

Quand on va à Pourdreuzic, village du pays bigouden où il est né, situé à quelques "lieues" pour reprendre le terme de Jakes Hélias, de Pont Labbé - où hélas on ne voit plus les coiffes en tuyau de poele que portaient fièrement les dames, sauf lors des fêtes folkloriques - , il y a 3 choses incontournables : la maison Hénaff (le pâté), la cidrerie Kerné et la maison natale de Jakez Helias. Pour ce qui est de cette dernière, Il ne faut pas s'attendre à trouver un château comme celui de Combourg en haute Bretagne (non bretonnante) pour Chateaubriand, autre pôle, autre phare de la littérature bretonne, lequel n'y resta d'ailleurs pas à cause de son ennui au sein d'une famille assez pesante. On observe au passage que les deux littérateurs n'ont comme seul point commun hormis celui de savoir brillamment écrire et qu'un siècle et demi les sépare, d'avoir écrit leurs mémoires entrés dans la postérité.

A la naissance de Jakes Hélias, juste avant que n'éclate la guerre de 14, contrairement à la famille Chateaubriand, la pauvreté était le lot des gens dans cette contrée bretonne du sud Finistère ; plus pauvres on ne trouvait pas, la ruralité était d'une misère que seul l'entêtement breton à vouloir survivre sans rechigner, faisait plier. On dirait dur au mal aujourd'hui. Leur sort n'était guère pas plus enviable que celui des vaches avec lesquelles ils vivaient pratiquement sous le même toit. Et la guerre de 14 fut là au bout pour arracher les jeunes hommes aux familles misérables sans que cela ne vienne heurter le caractère breton trempé dans le granit .

De toute la littérature bretonne, Per Jakez Hélias est assurément le plus breton d'entre eux. Quand il fut révélé dans les années 60, Il écrivait en bilingue dans le journal Ouest-France ses histoires, ses contes, il en avait plein la besace, et il y en avait des lecteurs qui aimaient ça. Là aussi c'était de l'ordre du million. Et Jakez Hélias aimait passionnément écrire, conter, transmettre, témoigner les vertus de son pays et les affres de l'histoire, il était doué pour cela.

Le petit Jakez hélias est né dans une ambiance mi-religieuse, mi-rouge, antagonisme qui sera plus marqué au fil des décennies et qui prévaut encore dans les esprits bretons ruraux aujourd'hui si ce n'est une tendance depuis une génération à céder au modernisme et à la mondialisation. Cette influence culturelle donnera le ton à ses ouvrages..

Le mieux comme dirait l'autre est encore de le lire, voici un extrait :
"Quand Pierre-Alain, mon père, épousa Marie-Jeanne le Goff, il n'avait qu'une lieue à parcourir pour passer la ferme de Kerveillant, en Plozévet, au bourg de Pouldreuzic où il allait vivre désormais avec sa femme. Il vint à pied, le torse bien droit, parce qu'il portait, sur la tête, une pile de vingt-quatre chemises de chanvre qui constituaient le plus clair de son avoir. En effet, ces chemises étaient à peu près tout ce que sa mère, Catherine Gouret, avait pu lui préparer pour son mariage. le chanvre en avait été récolté, roui, broyé à Kerveillant et filé au rouet par Catherine elle-même. Comme d'habitude, ni plus ni moins, Avec le fil obtenu, on avait fait deux écheveaux qu'on avait portés au tisserand. le premier, de chanvre pur, devait servir à faire des sacs de pommes de terre. Au second étaient mêlés des fils de laine pour adoucir le tissu. Celui-ci fournirait les chemises de la maisonnée. Ensuite, les chemises et les sacs devaient se rencontrer immanquablement sur le dos des gens, les unes supportant les autres et généreusement rapiécées comme eux lorsque l'usure montrerait la peau de l'homme ou celle de la pomme de terre. Et les sacs vides, au surplus, repliés un coin dans l'autre, serviraient encore de capuchons et de dossards pour les temps de grosses pluies parce que les pauvres bougres de l'époque ne connaissaient pas d'autres survêtements. Quand mon père et fait la guerre de Quatorze d'un bout à l'autre, l'armée lui laissa son dernier manteau d'artilleur dans lequel il se fit tailler son premier pardessus pour dix ans ."
Commenter  J’apprécie          210


critiques presse (3)
OuestFrance
12 décembre 2023
"Le Cheval d’orgueil" reste considéré comme l’un des livres les plus marquants de l’identité bretonne.
Lire la critique sur le site : OuestFrance
BDGest
26 janvier 2016
Adaptation réussie ce Cheval d'Orgueil revêt, par moments, des allures de fable (...) Un bel hommage des auteurs à l'écrivain mort il y a vingt ans.
Lire la critique sur le site : BDGest
Sceneario
12 janvier 2016
C’est une vraie leçon de vie que nous condense Bertrand Galic.
Lire la critique sur le site : Sceneario
Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
page 90

Un jour, Alain Le Goff me demande : "Seriez-vous capable de me trouver avant ce soir deux bâtons qui n'ont qu'un seul bout chacun ? J'en ai grand besoin et le temps me manque pour les chercher moi-même. Vous aurez une pièce de deux sous pour votre peine."
Je ne réponds pas tout de suite. [...]. Avec ses deux bâtons à un seul bout chacun il me prend de si court que je suis sur le point de me tirer d'affaire en inventant quelque prétexte sur le chaud. Si je ne le fais pas, c'est parce que j'appréhende de voir les yeux bleus du grand-père se détourner de moi pendant qu'il dira en soupirant : "Alors, il faudra que je donne mes deux sous à quelqu'un d'autre."
Jamais de la vie ! Les deux sous, je m'en moque, mais le quelqu'un d'autre je ne veux pas en entendre parler. [...].
- Alors, dit Alain Le Goff en tirant sur sa pipe, je ne peux pas vous faire confiance ?
- Deux bâtons à un seul bout chacun, c'est difficile à trouver. Mais peut-être, si vous pouviez vous contenter d'un seul ...
- Ils vont toujours deux par deux, c'est tout ce que je sais. Si vous mettez la main sur l'un, vous tenez l'autre en même temps.
- Et de quel côté sont-ils les plus nombreux ?
De tous les côtés, dit Alain Le Goff.
- Mais comment reconnaît-on qu'un bâton n'a qu'un seul bout ?
- Comment ? Vous ne savez pas ? C'est quand l'autre bout n'est pas là ! [...]
Commenter  J’apprécie          240
En Bretagne et ailleurs aussi, la chasse aux "langues secondes" :

Les instituteurs ne parlent que le français bien que la plupart d'entre eux aient parlé le breton quand ils avaient notre âge et le parlent encore quand ils rentrent chez eux. D'après mes parents, ils ont des ordres pour faire comme ils font. Des ordres de qui ? Des "gars" du gouvernement. Qui sont ceux-là ? Ceux qui sont à la tête de la République. Mais alors, c'est la République qui ne veut pas du breton ? Elle n'en veut pas pour notre bien. Mais vous, mes parents, vous ne parlez jamais français. Personne dans le bourg ni à la campagne ne parle français... Nous n'avons pas besoin de le faire, disent les parents, mais vous, vous en aurez besoin. (...) Qu'est-ce qui s'est passé, alors ? C'est le monde qui change d'une génération à l'autre. Et qu'est-ce que je vais faire de mon breton ? Ce que vous faites maintenant avec ceux qui le savent, mais il y en aura de moins en moins. Mais pourquoi... ?
A l'école, il est interdit de parler breton. Il faut tout de suite se mettre au français, quelle misère ! (...) Nous nous mettons bientôt à la torture, bourrés de bonne volonté, pour fabriquer de petites phrases en français. Est-ce de notre faute si des mots bretons se glissent dedans ? D'ailleurs, le maître est le seul à s'en apercevoir. Quand il assène un coup de règle sur la table, nous savons que nous avons failli. (...)
Lorsque l'un d'entre nous est puni pour avoir fait entendre sa langue maternelle dans l'enceinte réservée au français, (...), une autre punition l'attend à la maison. Immanquablement. Le père ou la mère, qui quelquefois n'entend pas un mot de français, après lui avoir appliqué une sévère correction, lui reproche amèrement d'être la honte de la famille, assurant qu'il ne sera jamais bon qu'à garder les vaches, ce qui passe déjà pour infamant, par le temps qui court, auprès de ceux-là même dont une part du travail est de s'occuper des vaches.
Commenter  J’apprécie          70
Au Pays Bigouden, la misère était encore le lot de bien des gens au début du siècle. C'était une calamité comme une autre et contre laquelle on ne pouvait pas grand-chose. Le moindre coup du destin suffisait à y faire tomber ceux qui étaient déjà en prise au diable sans le loger dans leur bourse ni le tirer par la queue, comme on dit en français. Le naufrage, l'invalidité, la maladie sur les hommes ou sur les bêtes, le feu dans la paille, une mauvaise récolte, un maître trop dur ou simplement les sept malchances quotidiennes vous jetaient pour un temps sur les routes, vous obligeaient à tendre la main au seuil des portes, la prière entre les dents et les yeux fermés sur votre humiliation. Quelquefois, les hommes choisissaient de se pendre et il y avait toujours, dans l'appentis, une corde qui ne demandait que cela. Les femmes préféraient se noyer et il se trouvait toujours un puits dans leur cour ou un lavoir au bas de leur champ.

133 – [Terre humaine/Pocket n° 3000, p. 29-30]
Commenter  J’apprécie          110
Pour Sachka

Quand vous arrivez à Pouldreuzic qui serait presque un village breton de plus qu'il vous faut traverser pour rejoindre la côte et pour malchance si l'on s'égare un peu à cause d'un gros bahut suivi de trop près, vous êtes bons pour faire trois fois le tour de l'église si vous n'avez pas votre gps ; sauf que ce n'est pas possible ! Il y a au moins trois choses qui vous font mettre le cap sur Pouldreuzic, le cidre Kerné qui coule à flot, le pâté Hénaff dont on bourre sa besace pour faire le pique nique sur une sente de douanier et la maison de naissance de Per Jakes Hélias.

Oui le cidre Kerné vaut le détour, l'entreprise familiale a su faire prospérer l'affaire et le produit du terroir est excellent ; la boîte Hénaff, sa réputation n'est plus à faire, j'en ai même trouvé au Goum de Moscou, ils devraient juste sur place améliorer le prix (à mon avis), mais alors la maison de Jakès Hélias, elle est pratiquement toujours fermée, on est priés de faire demi-tour. C'est bien dommage pour un bled qui a trois cartes maîtresses dans les mains et n'en jouer qu'avec une et demie, à moins que les choses aient changé depuis !..
Commenter  J’apprécie          94
Personne n'a jamais souri comme Alain le Goff et voilà pourquoi les hommes sont malheureux sur la terre. Il frappe le tronc rugueux de sa main ouverte : " Vous voyez bien que c'est une grosse corde , le tronc de l'arbre. Il y a même des nœuds dedans, quelquefois. Les torons de la corde se desserrent à chaque bout pour s'accrocher au ciel et à la terre. On les appelle des branches en haut et des racines en bas. Mais c'est la même chose. Les racines cherchent leur chemin dans le sol de la même manière que les branches s'introduisent dans le ciel.
- Mais c'est plus difficile d'entrer dans le sol que dans le ciel . - Hé non! Si c'était vrai les branches seraient droites. Et voyez comme elles sont tordues sur le pommier que voici ! Elles doivent chercher leur chemin, je vous dis. Elles poussent, le ciel résiste, elles changent de direction aussi souvent qu'il le faut. Elles ont bien du mal, vous savez. Peut être plus de mal que les racines en bas. - Et qu'est-ce qui leur donne tant de mal, grand-père ?
- C'est le vent, le vent pourri. Le vent voudrait séparer le ciel de la terre. Il pousse sa langue entre les deux. Et, derrière lui, la mer attend pour tout recouvrir. Mais il y a les arbres qui tiennent bon de part et d'autre. Le soleil béni porte secours aux branches, tandis que la pluie réconforte les racines. Une sacrée bataille, mon fils. Cela n'arrête pas de se battre, en ce monde.
- Et nous, alors! Qu'est-ce que nous devons faire ? - Avoir confiance dans les arbres contre le vent.
Si pacifique est le sourire d'Alain le Goff que j'ai peine à croire que le monde est l'enjeu d'un combat entre les éléments. Je vis en sécurité à la hauteur de tronc des arbres, tandis que les oiseaux surveillent de près les racines célestes et que toutes sortes de bestioles muettes s'activent obscurément autour des branches souterraines.
Commenter  J’apprécie          50

Video de Pierre-Jakez Hélias (14) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Pierre-Jakez Hélias
Retour sur la résidence d?auteur et les actions des bibliothèques en faveur des publics éloignés de l?écrit en Pays de Morlaix dans le cadre du Pacte d?Avenir 2014 pour la Bretagne.
Diffusion de quelques extraits du film À la lettre de Marianne Bressy
- Hélène Fouéré, directrice de la Médiathèque Per-Jakez-Hélias de Landerneau ; - Sébastien Portier, responsable Culture Animation au Centre Hospitalier de Lanmeur ; - Frédérique Niobey, écrivain. - Christelle Kerebel, Jeanine Kervella, Dominique Pestel, articipantes aux ateliers d?écriture menés à la Médiathèque de Lesneven
Table ronde du vendredi 21 novembre 2014 - à l'occasion des Rencontres "Le livre, la lecture et la littérature demain?..." organisées par Livre et lecture en Bretagne et la Bibliothèque des Champs Libres à Rennes.
Plus d'infos sur http://lalecturedemain.wordpress.com
+ Lire la suite
autres livres classés : bretagneVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (872) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1686 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..