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Jean Prévost (Préfacier, etc.)Maurice Edgar Coindreau (Traducteur)
EAN : 9782070362219
275 pages
Gallimard (06/10/1972)
3.59/5   671 notes
Résumé :
Elle éteignit sa cigarette.
- J’ai trente-quatre ans, tu sais. Je ne veux pas être une de ces garces qui débauchent les enfants.
- Non.
- Je ne veux pas devenir comme ça. Je me sens vraiment bien, tu sais, vraiment d’aplomb.
- Tant mieux.
Elle détourna les yeux. Je crus qu’elle cherchais une autre cigarette. Puis je vis qu’elle pleurait, qu’elle tremblait et qu’elle pleurait. Elle évitait de me regarder. Je la pris dans mes bras.>Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (68) Voir plus Ajouter une critique
3,59

sur 671 notes
"We're climbing two by two
To be sure these days continue
These things we cannot change..."
(D. Matthews, "Two Step")

Ernest, Ernest ! Que vais-je faire de toi ? Un de ces quatre je vais mettre tes bouquins dans un carton, et monter tout ça au grenier !
Je suis devant ma bibliothèque, face à tous ces inconnus qui me font un clin d'oeil - et parmi eux, qui vois-je ? Deux visages bien connus - Mr. Barnes, avec le sourire de travers sur son visage bronzé, et Lady Ashley, grande classe, l'indispensable verre à la main ! Ca faisait longtemps !
D'accord, OK, c'est reparti pour la "Fiesta" ! Rien que pour voir si à la fin, je vais encore essayer de calculer combien ils ont dû dépenser en alcool...

"Fiesta : The Sun Also Rises" ("Le soleil se lève aussi", dans la traduction française) est une histoire de deux personnes qui voulaient, mais ne pouvaient pas être ensemble. Elle laisse beaucoup de tristesse dans l'âme, et une étrange sensation d'oppression.
Jake et Brett - quel couple extraordinaire ! Lui, devenu impotent suite à une blessure de guerre, incapable d'aimer physiquement la femme qu'il aime; et elle - une alcoolique débauchée qui essaie de tromper la vacuité de sa vie par les mondanités et la boisson.
Ca commence dans les bars parisiens, et ça continue à Pampelune; la fête non-stop, afin de ne pas avoir le temps de penser à ce qui pourrait être, mais qui n'est pas.
Il y a de courts moments de répit; on va à la pêche avec Jake/Ernest, pour siroter le vin dans une gourde en cuir véritable et pour regarder la truite s'ébattre dans le soleil matinal - et ça peut même donner l'impression que la vie n'est pas si pourrie que ça... Mais cette illusion est de courte durée, alors on retourne dans le bruit et la fureur de l'arène de Pampelune, pour continuer à s'abrutir. Pour l'instant, ça marche encore...

Je crois que si Hemingway avait écrit son histoire cent ans plus tôt, on aurait pu le comparer à Tourgueniev ou à Tchekhov. Ses personnages sont les survivants d'une époque dont l'arrière goût est encore présent, tandis que les contours du futur sont assez flous. Je pense surtout à Tchekhov, dont les héros remplissent le vide dans leurs vies par les fêtes, visites, et des discussions interminables et stériles sur ce qu'ils pourraient, ou devraient faire, et comme cela pourrait être bien.

Mais on n'a pas besoin de faire une fête interminable comme Brett et Jake. Ce n'est pas indispensable de hurler à la corrida en admirant Pedro Romero diablement viril, avec son foulard rouge.
C'est juste une histoire qui parle de la vie.
Tous les jours, quelque part, se passe une des milliers de variations de "Fiesta". Les situations où on veut, mais on ne peut pas. Et c'est extrêmement cruel, parce qu'on ne peut rien y faire.

"Oh, Jake," Brett said, "we could have such a damn good time together."
"Yes", I said. "Isn't it pretty to think so ?"

Oui, Ernest - t'as écrit ça avec beaucoup de lucidité. Et c'est peut-être ça, la chose la plus cruelle.
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Sec. Decharne. Cassant. Mais pas dessechant pour autant. Bien au contraire.
Sec comme un jerez bien sec, une "manzanilla". Mais il ne boit pas de jerez en Espagne, si deja, du brandy de jerez, du Fundador. Apres quelques bouteilles de rioja sec.
A Paris pourtant il a toujours un siphon a portee de main pour son whiskey, et la fine est toujours a l'eau, mais le vin reste sec, qu'il soit piquette ou Chateau-Margaux.


Il boit sec et il ecrit sec. Il, c'est evidemment Hemingway, mais c'est aussi son heros, Jacob (Jake) Barnes. Un journaliste qui hante, avec des amis aussi assoiffes que lui, bars et bistros du quartier latin et des deux rives. De Montparnasse aussi. Des americains comme lui. Ecrivaillons pour la plupart. Des anglais des fois. Et une anglaise. Une. Unique. Lady Ashley. Brett, a la coiffure de garcon. Qui s'entiche vite, qui passe des bras de l'un aux bras d'un autre. Par amour? Mais non! Engouement peut-etre. Besoin d'escorte, de cortege. Jamais aux bras de Barnes. Et pourtant... Mais c'est impossible. Ils se sont connus pendant la guerre, elle infirmiere benevole, lui blesse. La mauvaise blessure, une qui les empeche de materialiser leur amour. Depuis ils se tournent autour et il suit, avec un calme force, ses liaisons.


Le lecteur tourne longtemps avec eux a Paris jusqu'a ce qu'ils decident de partir en bande en Espagne, pour pecher la truite, et surtout pour la fete de San Fermin a Pampelune. La Fiesta! Los Sanfermines! Les taureaux courant dans les rues jusqu'aux corrales, les enclos des arenes, de la plaza de toros. La foule dechainee courant au devant d'eux. Et les corridas! le ballet des toreros et l'odeur du sang dans l'air! Et 8 jours de festivites, de feux d'artifice, de chants et de danses, de bandes de danseurs de jotas, de bandes de fifres et de tambours! Pour la bande de Barnes ce seront 8 jours de reve et de cauchemar. 8 jours d'ivresse ou ils exploseront. Ils s'insulteront, ils se battront, toujours pour les - ou a cause des - beaux yeux de Brett, qui, affirmant sa pose inconstante, les quittera, quittera l'anglais de service qui devait la marier pour suivre un beau toreador de 19 ans. Inconstance? Constance plutot, dans un amour qu'elle sait impossible, irrealisable. Et c'est ainsi que la fin du livre ne peut que nous ramener a son debut, en une sorte de loop sans issue, sans espoir, sec, sec pour empecher les larmes d'eclore:
" -- Oh Jake, dit Brett, nous aurions pu etre si heureux ensemble!
Devant nous, un agent en kaki reglait la circulation du haut de son cheval. Il leva son baton. le taxi ralentit brusquement, pressant Brett contre moi.
-- Eh oui, dis-je. C'est toujours agreable a penser."


Une ecriture tres seche. Des descriptions et des dialogues. Sans passages introspectifs. Sans explications psychologiques. Et ca donne un livre emouvant. C'est le secret de "l'ecriture iceberg" d'Hemingway: elle revele ce que l'on voit, et le lecteur pressent l'enorme masse d'emotions qui se cachent sous la surface. D'aucuns y ont vu une description, de l'interieur, de la celebre "generation perdue" des americains exiles a Paris, d'autres une ode a l'hedonisme. Moi j'y ai vu peut-etre le contraire: un cri d'alarme, un appel au secours, et surtout, surtout, une merveilleuse histoire d'amour. Impossible bien sur, pour la plus grande compassion, pour le plus grand emoi du lecteur. Et si on veut a tout prix parler de generation perdue, c'est peut-etre toute la generation de l'apres-guerre, de l'apres premiere guerre mondiale, de l'apres horreur des tranchees, mais c'est justement a elle qu'Hemingway dedie le titre de son livre (apres avoir essaye de l'intituler Fiesta): The sun also rises, le Soleil se leve aussi. Apres la nuit vient toujours le jour. le Soleil se leve, chaque jour, et nous donnera toujours lumiere et espoir. Precaire, pas assure, mais espoir quand meme.


Je vais me repeter, et vous me le pardonnerez: c'est surtout, surtout, une merveilleuse histoire d'amour.


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On savait déjà que Paris est une fête. Mais tenez-vous bien, Hemingway is back pour rajouter que le soleil se lève aussi ……. À Pampelune, si señor !

C'est une lecture euphorique où une profusion de mots fait exploser les images, l'écriture est saturée et parfois un peu dense.
Hemingway nous donne à voir en long et en large cette belle génération perdue, qui navigue en trompant l'ennui dans l'ivresse de la fête.
On fait des tournées de bars de Paris et entre deux vapeurs alcoolisées, on découvre les personnages avec toujours un peu de flou sur les bords.

Du charme de la vie parisienne aux corridas à Pampelune, on suit cette sorte de fuite en avant pleine d'amertume et de désillusions, qui fout un peu le cafard, soyons francs !

Derrière les allures grandiloquentes et guignolesques de ce roman, Hemingway nous laisse deviner la brièveté de nos vies et la fragilité de nos belles années assassinées par le temps.

Entre deux beuveries l'auteur américain glisse des notions de confiance et introduit cette vérité accablante qui consiste à comprendre qu'on a beau trouver refuge dans les paradis artificiels, on ne pourra jamais échapper à soi-même.


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Lu directement après Cent ans de solitude et L'Aveuglement, le soleil se lève aussi, première rencontre avec Hemingway, m'est apparu une oeuvre médiocre. L'histoire y est sans intérêt, les mêmes personnages tout au long du roman, absence de réflexions profondes, pas de style merveilleux. On peut pardonner cela lorsqu'on sait qu'Hemingway l'a écrit à vingt-sept ans. Or il faudrait bien voir ce roman autrement pour en ressortir la grandeur.

Que peut faire un homme au sortir d'une guerre atroce dont il fut témoin, ayant perdu toute son humanité (même sa virilité) que boire et voir la corrida allant de bar en bar, buvant en expert des liqueurs accompagnés d'amis eux-mêmes perdus et d'une femme infidèle. Pour ce héros au sort douloureux qui ne peut même pas se suicider se comportant en public en vrai stoïque impassible, le soleil se lève aussi chaque jour, le même, sans nouveau, sans bonheur, que de paradis artificiels. le style même de ce roman dénué de toutes beautés correspond avec l'intransigeance de cette époque d'après-guerre pleine de désillusions.

Les dialogues sont réalistes, ce réalisme de Hemingway dont parle Kundera dans ses Testaments trahis, ce réalisme qui peint merveilleusement le moment présent, les dialogues dans un présent insaisissable. Par ailleurs, le lecteur ressent parfaitement cette monotonie et cet ennui des personnages.

En somme, il s'agit ici d'une lecture qui n'est pas du tout agréable, mais je crois que la lecture comme l'écriture est un acte qui n'a rien d'agréable, elle est comme un médicament, amer mais salutaire.
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« Le soleil se lève aussi » (The Sun Also Rises) est un roman d'Ernest Hemingway. Écrit en 1926 et traduit en français en 1933, cet ouvrage -paru fin 1962 dans la collection le Livre de Poche- a manifestement surpris quelques lecteurs et suscité des réactions pour le moins contrastées.

L'histoire ? Jacob Barnes, dit Jake, nous raconte les aventures, essentiellement nocturnes et parisiennes, d'un groupe de jeunes expatriés (des Anglais et des Américains). Ce groupe est composé de Jake, discret et émouvant journaliste impuissant (comme Hemingway), de Michaël, Écossais alcoolique au tempérament explosif, de Bill, personnage assez fantasque, de Lady Brett Ashley, femme toute en formes, aguicheuse et couchant avec le premier jeune homme venu (un rien nymphomane, quoi!), de Robert (Cohn de son nom), Juif timide (il est le jouet des femmes, notamment de Brett), complexé par son apparente infériorité, et de Pedro Romero, jeune toréro dont les mouvements et le jeu magique excitent Jake. Les aventures consistent essentiellement en beuveries et saoûleries en tous genres, et en tous endroits : la première partie du livre concerne Paris, quand la deuxième concerne Pampelune. Faussement blasés, ces jeunes gens semblent aller de-ci de-là, sans but, évoluant dans un monde pourtant bien réel dont le vide (mais quel vide ?) leur semble difficile à combler. Hemingway nous dépeint une ambiance de fête permanente, comme si c'était pour chasser une éternelle déprime ; l'hommage au Paris des années 1920 a un petit côté « on s'éclate quoi qu'il arrive » (mais est-ce que ça ne correspondait pas à l'errance des artistes expatriés dans le Paris de l'époque, artistes pour lesquels le divertissement était probablement la seule et unique occupation, le seul remède à une après-guerre pleine de désillusions ?) et l'hommage à Pampelune, à ses corridas et à ses jeunes toréros a un petit côté « t'as vu ma virilité sur-dimensionnée ? ».

Il y a de belles descriptions (le Paris nocturne, les parties de pêche à la truite dans les cours d'eau Espagnols, les corridas et l'art de la tauromachie), les évènements s'enchainent avec beaucoup de réalisme et de véracité (on a l'impression de visionner un documentaire!) et les relations au sein du groupe d'expatriés ne manquent pas de relief (on navigue de l'indifférence, feinte ou réelle, au cynisme et à la violence à peine contenue). Mais quelques faiblesses ternissent, selon moi, la qualité du livre : le scénario est faible (en bref, il ne se passe pas grand-chose, ce qui est quand même passablement ennuyeux), les protagonistes se ressemblent par leur penchant très prononcé pour l'alcool, on retrouve -à quelques exceptions près- les mêmes personnages du début à la fin du livre (donc pas d'effet de nouveauté), les dialogues sont insipides et l'homophobie comme l'antisémitisme de l'auteur sont à peine dissimulés. En complément, le style direct, sobre, dépouillé et sans recherche d'Hemingway, style produisant des phrases courtes et sans émotions (le côté journaliste de l'auteur, sans doute!), pourra désagréablement surprendre certains lecteurs ...

Il n'y a pas de doute : dans « Le soleil se lève aussi », Ernest Hemingway s'est confié à nous. Âgé alors de 27 ans, traumatisé, alcoolique et insomniaque, il nous a livré les détails de ses amours inaboutis (il a été marié plusieurs fois) et de certaines de ses amitiés fort pesantes (impuissant, n'était-il pas devenu homosexuel ?). Dans ce livre, son déguisement ne trompe personne : Jake, c'est lui, et cette époque d'après première guerre mondiale, pleine de désillusions, l'insupporte. de là, cette logorrhée, cette errance égo-centrée, sans émotions et superficielle. de là aussi, cette haine pour ceux qui ne réussissent pas, cette posture d'évitement envers la femme -supposément inaccessible et interdite- (cet être qu'il pare de tous les atours et de toutes les perfidies) et cette idéalisation des jeunes hommes, purs et dynamiques. Pour tout dire, j'ai assez moyennement apprécié : je mets trois étoiles.
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critiques presse (1)
LActualite
21 décembre 2020
Tout Hemingway y est : la nature, le soleil du Sud, la guerre, la violence et la mort, l’amour, Vienne et l’Italie, l’Espagne et les corridas, Paris qu’il aimait tant…
Lire la critique sur le site : LActualite
Citations et extraits (49) Voir plus Ajouter une citation
page 28 [...] Tout le monde se mit à danser. Il faisait chaud et, la danse finie, nous étions tous en nage.
- Bon Dieu! dit Georgette, vous parlez d'une boite pour suer.
- Il fait chaud.
- Chaud, bon Dieu!
- C'est une bonne idée.
Quelqu'un invita Georgette à danser et j'allai au bar. Il faisait vraiment très chaud et, dans la nuit chaude, la musique de l'accordéon était agréable. Je bus un bock, debout sur le seuil, dans la brise fraiche de la rue. Deux taxis descendaient la rue en pente. Ils s'arrêtèrent devant le bal. Il en sortit un groupe de jeunes gens, les uns en chandail, les autres en bras de chemise. Dans la lumière de la porte, je pouvais distinguer leurs mains, leurs chevelures ondulées et fraichement lavées. L'agent, debout à la porte, me regarda et sourit. Ils entrèrent. Comme ils entraient, dans la lumière, je vis des mains blanches, des cheveux ondulés, des visages blancs, tout cela grimaçant, gesticulant, papotant. Brett était avec eux. Elle était charmante et semblait à son aise dans ce milieu.
L'un d'eux aperçut Georgette et dit :
- Ma parole, voilà une vraie grue. Je vais danser avec elle, Lett. Tu vas voir.
Le grand brun qui s'appelait Lett dit :
- Voyons, ne fais pas de folies.
Le blond ondulé répondit :
- Ne t'inquiète donc pas, ma chère.
Et c'était avec ça qu'était Brett!
J'étais furieux. Du reste, les hommes de cette espèce me mettaient toujours en fureur. [...]
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INCIPIT
Il fut un temps où Robert Cohn était champion de boxe, poids moyen, à l'Université de Princeton. N'allez pas croire que je me laisse impressionner par un titre de boxe, mais, pour Cohn, la valeur en était énorme. Il n'aimait pas du tout la boxe. En fait, il la détestait, mais il l'avait apprise péniblement et à fond pour contrebalancer le sentiment d'infériorité et de timidité qu'il ressentait en se voyant traité comme un juif, à Princeton. Il éprouvait une sorte d'intime réconfort à l'idée qu'il pourrait descendre tous ceux qui le traiteraient avec impertinence, bien que, étant très timide et foncièrement bon garçon, il n'eût jamais boxé qu'au gymnase. C'était l'élève le plus brillant de Spider Kelly. Spider Kelly enseignait à tous ses jeunes gentlemen, qu'ils pesassent cent cinq ou deux cent cinq livres, à boxer comme des poids plume. Cette méthode semblait convenir à Cohn. Il était vraiment très rapide. Il était si bon que Spider ne tarda pas à le faire se mesurer avec des gens trop forts pour lui. Son nez en fut aplati à jamais, et cela contribua à augmenter le dégoût de Cohn pour la boxe. Il n'en retira pas moins une espèce de satisfaction assez étrange et, à coup sûr, son nez s'en trouva embelli. Pendant sa dernière année à Princeton, il lut trop et se mit à porter des lunettes. Je n'ai jamais rencontré personne de sa promotion qui se souvînt de lui, on ne se rappelait même plus qu'il avait été champion de boxe, poids moyen.
Je me méfie toujours des gens francs et simples, surtout quand leurs histoires tiennent debout, et j'ai toujours soupçonné que Robert Cohn n'avait peut-être jamais été champion de boxe, poids moyen, que c'était peut-être un cheval qui lui avait marché sur la figure, ou que sa mère avait peut-être eu peur ou qu'elle avait vu quelque chose ou que peut-être, dans son enfance, il s'était heurté quelque part. Mais, finalement, quelqu'un vérifia l'histoire de Spider Kelly. Spider Kelly, non seulement se rappelait Cohn, mais il s'était souvent demandé ce qu'il était devenu.
Par son père, Robert Cohn appartenait à une des plus riches familles juives de New York et, par sa mère, à une des plus vieilles. A l'école militaire où il avait préparé ses examens d'entrée à Princeton, tout en s'acquittant fort bien de son rôle de trois-quarts aile dans l'équipe de football, personne ne lui avait rappelé la race dont il était issu. Personne ne lui avait jamais fait sentir qu'il était juif et, par suite, différent des autres, jusqu'au jour où il entra à Princeton. C'était un gentil garçon, cordial et très timide, et il en conçut de l'amertume. Il réagit en boxant, et il sortit de Princeton avec le sentiment pénible de ce qu'il était et un nez aplati. Et il se laissa épouser par la première jeune fille qui le traita gentiment. Il resta marié cinq ans, eut trois enfants, perdit la majeure partie des cinquante mille dollars que son père lui avait laissés (le reliquat des biens étant allé à sa mère), acquit une dureté assez déplaisante par suite des tristesses de sa vie conjugale avec une femme riche, et, juste au moment où il avait décidé de quitter cette femme, c'est elle qui s'était enfuie avec un miniaturiste. Comme il y avait déjà bien des mois qu'il songeait à abandonner sa femme, mais qu'il ne l'avait jamais fait, trouvant trop cruel de la priver de sa compagnie, son départ lui fut une surprise des plus salutaires.
Le divorce fut prononcé et Robert Cohn partit pour la Californie. Il y tomba au milieu d'un groupe de littérateurs et, comme il avait encore un peu des cinquante mille dollars, il ne tarda pas à subventionner une revue d'art. La revue commença à paraître à Carmel, en Californie, et finit à Provincetown, dans l'État de Massachusetts. A cette époque, Cohn, qui avait été considéré purement comme un ange et dont le nom figurait en première page simplement comme membre du comité consultatif, était devenu seul et unique rédacteur. L'argent était à lui et il découvrit qu'il aimait l'autorité que confère le titre de rédacteur. Il fut tout triste le jour où, le magazine étant devenu trop coûteux, il lui fallut y renoncer.
A ce moment-là, cependant, il avait d'autres sujets de préoccupation. Il s'était laissé accaparer par une dame qui, grâce au magazine, comptait bien arriver à la gloire. Elle était fort énergique et Cohn n'avait jamais manqué une occasion de se laisser accaparer. De plus, il était sûr qu'il en était amoureux. Quand la dame s'aperçut que le magazine n'irait pas bien loin, elle en voulut un peu à Cohn et elle pensa que mieux valait profiter de ce qui restait tant qu'il y avait quelque chose dont on pût profiter. Elle insista donc pour qu'ils allassent en Europe où Cohn pourrait écrire. Ils allèrent en Europe où la dame avait été élevée et ils y restèrent trois ans. Pendant ces trois années, la première passée en voyage, les deux autres à Paris, Robert Cohn eut des amis, Braddocks et moi. Braddocks était son ami littéraire. J'étais son ami de tennis.
La dame à laquelle il appartenait – elle s'appelait Frances – s'aperçut à la fin de la deuxième année que ses charmes diminuaient, et son attitude envers Robert passa d'une possession nonchalante mêlée d'exploitation à la ferme résolution de se faire épouser. Cependant, la mère de Robert faisait à son fils une pension de trois cents dollars par mois. Pendant deux ans et demi, je ne crois pas que Robert Cohn ait jamais levé les yeux sur une autre femme. Il était assez heureux sauf que, comme bien des gens qui vivent en Europe, il aurait préféré vivre en Amérique, et il avait découvert l'art d'écrire. Il écrivit un roman et, à vrai dire, ce roman n'était pas aussi mauvais que les critiques le prétendirent plus tard. Néanmoins, ce n'était pas un bon roman. Il lut beaucoup de livres, joua au bridge, joua au tennis et boxa dans un gymnase de quartier.
Je remarquai pour la première fois l'attitude de la dame à son égard, un soir où nous avions dîné tous les trois ensemble. Nous avions dîné au restaurant Lavenue et nous étions ensuite allés prendre le café au Café de Versailles. Nous avions pris plusieurs fines après le café, et j'annonçai mon intention de partir. Cohn avait parlé d'aller passer la fin de la semaine quelque part, tous les deux. Il voulait quitter la ville et faire une grande randonnée à pied. Je suggérai d'aller en avion jusqu'à Strasbourg et de monter ensuite à pied à Sainte-Odile, ou à quelque autre site d'Alsace. « Je connais une femme à Strasbourg qui pourra nous faire visiter la ville », dis-je.
Quelqu'un me décocha un coup de pied sous la table. Je crus que c'était par hasard et je continuai :
– Voilà deux ans qu'elle est là-bas, et elle connaît tout ce qu'il y a à voir dans la ville. C'est une femme épatante.
Je reçus un nouveau coup de pied sous la table et, levant les yeux, je vis Frances, la dame de Robert, le menton en l'air, le visage dur.
– Et puis, après tout, dis-je, pourquoi aller à Strasbourg ? Nous pourrions tout aussi bien aller à Bruges ou dans les Ardennes.
Cohn parut soulagé. Je ne reçus pas de coup de pied. Je souhaitai le bonsoir et partis. Cohn dit qu'il voulait acheter un journal et qu'il allait m'accompagner jusqu'au coin de la rue.
– Bon Dieu, dit-il, pourquoi as-tu été parler de cette femme de Strasbourg ? Tu ne voyais donc pas Frances ?
– Non, je n'avais pas idée. Qu'est-ce que ça peut bien foutre à Frances que je connaisse une Américaine à Strasbourg ?
– Oh, peu importe. N'importe quelle femme. Je ne pourrai pas y aller, voilà tout.
– Ne dis donc pas de bêtises.
– Tu ne connais pas Frances. Une femme, quelle qu'elle soit. Tu n'as pas vu la tête qu'elle faisait ?
– Eh bien, dis-je, on ira à Senlis.
– Ne te fâche pas.
– Je ne me fâche pas. Senlis est très bien. Nous pourrons descendre au Grand Cerf. Nous nous promènerons dans les bois et puis nous rentrerons tranquillement chez nous.
– Bon, ça me va.
– Alors, à demain, au tennis, dis-je.
– Bonne nuit, Jake, dit-il, et il se dirigea vers le café.
– Tu as oublié de prendre ton journal, dis-je.
– C'est vrai.
Il m'accompagna jusqu'au kiosque, au coin de la rue.
– Tu n'es pas fâché contre moi, Jake ?
Il se retourna, le journal à la main.
– Mais non, je n'ai aucune raison.
– A demain, au tennis, dit-il.
Je le regardai s'en retourner au café, le journal à la main. Il m'était plutôt sympathique et, évidemment, la vie avec elle n'était pas toujours rose.
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Elle me regardait dans les yeux, avec cette manière à elle de regarder qui vous faisait douter si elle voyait vraiment avec ses propres yeux. Et ces yeux continueraient à regarder après que tous les yeux du monde auraient cessé de regarder. Elle regardait comme s'il n'y avait rien au monde qu'elle n'eût osé regarder comme ça, et, en réalité, elle avait peur de tant de choses!
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Une amitié avec une femme,c'est tellement chic.Vraiment chic.Au début,il faut être amoureux de la femme pour que l'amitié trouve une base.J'avais en Brett une amie.Je n'avais jamais envisagé la chose de son point de vue.J'avais obtenu quelque chose pour rien.Cela ne fait que retarder la présentation de la note.La note vient toujours.C'est une de ces belles choses sur lesquelles on peut toujours compter.
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Peut-être, avec le temps, finit-on par apprendre quelque chose. Peu m'importait ce que c’était. Tout ce que je voulais, c'était savoir comment vivre. Peut-être, en apprenant comment vivre, pourrait-on finir par comprendre ce qu'il y a en réalité au fond de tout ça.
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