Ernest Hemingway possède un indéniable talent de conteur. Mais après avoir affirmé que cet auteur a un talent et que ce talent est indéniable, est-ce suffisant pour prétexter que tout ce qu'il a écrit mérite d'être lu ? Là, rien n'est moins sûr.
Car c'est vrai qu'il sait écrire, l'ami
Hemingway, un peu comme
Quentin Tarantino sait faire des films. En voilà encore un qui possède un talent incroyable pour la mise en scène. Mais talent mis au profit de quelles histoires ? Il m'est souvent arrivé, en sortant du cinéma après avoir vu l'un de ses films, de me dire : « Quel dommage de mettre ce talent-ci au service de cette histoire-là ! »
Eh bien, c'est aujourd'hui ce que je me dis à propos d'
Hemingway et de son Torrents de printemps. Que retiendrai-je de cette histoire ? Probablement rien, car il n'y a rien à retenir : ça n'est qu'un exercice de style et, franchement, si je lis, ça n'est pas pour admirer un quelconque exercice, fût-il somptueusement réalisé (ce que je ne crois pas être le cas ici).
Ernest Hemingway fait de la parodie, l'ensemble de ces Torrents de printemps n'est que parodique. Parodie d'auteurs ou de styles qui n'ont pas tous victorieusement passé l'épreuve suprême : résister au temps et aux effets de mode pendant un siècle.
Or, pour qu'une parodie fonctionne, il faut que le modèle parodié soit, au moins dans ses grandes lignes, connu de tous, à tout le moins, du plus grand nombre. Et voici donc un premier problème.
Second problème, que j'avais déjà largement évoqué à propos du livre de
Nicolas Gogol,
Les Âmes mortes, savoir, les fréquentes interventions de l'auteur en tant qu'auteur ont le don de découpler le lecteur de l'histoire et de ses personnages. En tout cas, chez moi, c'est ce qui se produit. Dans l'ensemble, c'est quasiment toujours dommageable à la lecture et ça nous fait maintenant deux problèmes.
Ajoutons celui que j'ai évoqué plus haut, c'est-à-dire le fait qu'
Ernest Hemingway n'avait absolument aucun matériau d'histoire à raconter et que ce n'est pas le tout de savoir bien raconter ; nous voici déjà rendus à trois problèmes majeurs. Et trois problèmes majeurs sur une histoire aussi petite, ça laisse forcément des traces et le ressenti de lecture s'en ressent !
Au départ, on est donc prêt à donner sa chance à cette historiette, à laisser le narrateur nous intéresser au sort de Scripps O'Neil et de Yogi Johnson, employés tous deux d'une usine qui fabrique des pompes dans la banlieue de Chicago dans les années 1920, par un jour de grand vent et de grand froid.
On se demande pourquoi O'Neil a perdu sa femme, si ça collera avec la nouvelle qu'il se retrouve à la taverne. On se demande ce que Johnson a vécu en France pendant la première Guerre mondiale et ce qu'il ressortira de sa rencontre avec deux Indiens, et puis…
Pschhhh ! le soufflet se dégonfle : il n'y a plus rien. Et il n'y a plus rien parce que l'auteur n'a clairement rien à nous dire. Ces personnages n'étaient que des prétextes, prétextes à je-ne-sais-quoi, à parodies nous explique péniblement le rédacteur des notes, mais parodies d'un intérêt qui passent chacune — et même additionnées toutes en ensemble — rarement le niveau du premier barreau d'une échelle.
Donc, oui, malheureusement, ça ne monte jamais très haut… Dommage, vraiment dommage monsieur
Hemingway, car votre talent de plume était indéniable, cependant, avant que de se mettre en tête d'écrire des histoires, encore faut-il, au minimum, avoir en soi une histoire à raconter…