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Critique de beatriceferon


Quand Claire découvre par hasard, en feuilletant un magazine, la photo de Gabriel Doré, « un ténor du barreau malgré son jeune âge, disait la légende », elle sait que « de sa vie, elle n'aimerait que cet homme-là. »
En dépit de sa timidité, Claire s'arrange pour rencontrer celui qui deviendra pour elle un dieu. Pour lui plaire, elle est prête à tout. Elle oublie sa fierté. Elle oublie ses droits. Elle s'oublie elle-même.
Le personnage De Claire a tout pour m'énerver. Tombée follement amoureuse d'une chimère, elle a complètement abandonné respect de soi et esprit critique pour vivre dans l'ombre de Gabriel. Elle accepte tout de lui. Elle se réjouit d'un mot tracé de sa main, fût-il un reproche bien sec et blessant. Sa chambre est devenue un sanctuaire à la gloire de cette divinité qu'elle vénère. de temps à autre, elle lui dérobe un menu souvenir pour son autel : une photo, un brouillon froissé et jeté à la corbeille. Elle accepte d'être traitée en esclave. Parfois, il lui arrive d'imaginer quelque chose qu'elle aimerait lui dire. Mais, soit Gabriel lui coupe la parole, soit elle ne trouve pas le courage d'ouvrir la bouche. Alors tant pis. Elle gardera ses remarques pour elle. La relation qu'elle entretient avec Gabriel a quelque chose de masochiste. Il ne la voit même pas. Il la relègue dans un débarras, comme un objet qu'on exhume quand on en a besoin, qu'on oublie le reste du temps. Jamais un compliment. Jamais un merci. En revanche, les reproches mordants pleuvent, par écrit, le plus souvent, elle ne mérite même pas un mot de vive voix. « Une fois de plus, vous avez oublié quelque chose d'important. Téléphonez au confrère et dites-lui que par votre faute je demande un report de clôture. »
Un jour, enfin, il l'emmène avec lui pour plaider une affaire importante en province. Mais à l'entrée du Palais de Justice : « Ce matin, je n'ai pas trouvé de chaussettes propres (…) Tout à l'heure, pourrez-vous aller m'en acheter une paire ? du 42, en fil d'Écosse. Grises. » Claire écume tous les commerces et arrive en retard, essoufflée : « Il n'y avait pas de gris. J'ai pris du noir (…) - Vous n'êtes même pas fichue d'acheter des chaussettes. »
Claire découvre les carnets où Gabriel note tout ce qui est important : les affaires qu'il plaide, le cheval qu'il monte, les maîtresses qui se succèdent. D'elle, pas un seul mot. Elle n'existe pas.
Nous suivons l'histoire de Claire de l'extérieur. de temps à autre, le récit s'interrompt : ici, c'est une page du carnet de Gabriel, là ce sont des lettres envoyées par une amoureuse éconduite ou par des clients. Là encore, la liste bien sèche des recommandations ou des remarques que Gabriel Doré adresse à son assistante.
Claire vit dans un autre monde. Celui du rêve. Elle se lance des petits défis puérils : « regard fixé sur les dalles noires et blanches du carrelage. Si je marche sur les noires seulement, je vais le croiser. »
Elle compte les secondes, les minutes qui la séparent de son tortionnaire. Ridicule !
Et pourtant, je n'ai pas pu me détacher de cette fille avec laquelle je n'ai rien en commun. J'étais curieuse de voir jusqu'où elle serait capable d'aller. C'est vertigineux ! C'est effrayant !
En lisant, je m'imaginais Brigitte Hemmerlin comme une toute jeune auteur. Elle était à ce point présente en Claire, qu'elle me semblait avoir son âge. Or, en faisant quelques recherches, j'ai découvert qu'elle avait plus de soixante ans, avait été avocate et radiée du barreau et avait puisé abondamment dans sa vie pour écrire son histoire.
En dépit de mon peu d'affinité avec les personnages (un type comme Gabriel Doré, je l'aurais étranglé de mes mains!), j'ai beaucoup aimé ce roman, finalement.
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