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EAN : 9782842639174
139 pages
Le Dilettante (23/08/2017)
3.29/5   14 notes
Résumé :
Un soir, le père de François lui dit : «Tu as rendez-vous demain à 6 heures pour signer. Tu commences la semaine prochaine.» Il n'avait jamais cherché à connaître quels étaient les sentiments de son fils, quelles images il avait emportées avec lui, s'il était choqué ou indifférent. Six mois de stage, et l'avenir, ce serait l'abattoir, jusqu'à la retraite, ou la mort. Le fils n'avait pas eu le temps de demander : «A quel poste ?» il avait déjà refermé la porte. Mais ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Ce récit entrelace réalisme, onirisme, poésie et cruauté. Les doses s'écoulent doucement, savamment et par saccade. Je le comprends comme une hybridation. Ou l'union d'un témoignage tendu avec des manoeuvres vegans militantes. Cependant les frontières avec la fiction sont parfois dépassées.

S'y ajoute ce que je ressens en le lisant :

Pendant ma semaine de vacance j'ai de la chance, je suis dans la manufacture qui débite, dépèce, pare et taille la viande fraîche grâce à la littérature et à ce que raconte François.
Je rends mes pensées à mes amis lecteurs. Cette semaine je ne produis pas pour les humanoïdes carnivores. Je n'occupe pas mon poste, je ne sépare pas l'appareil digestif des vachettes. Je lis l'histoire d'un autre homme, Errol Henrot ou François dans ce récit.

Errol Henrot a réellement travaillé en abattoir ? Peut-être, ce qui est sûr : il a écrit ce texte. Ce questionnement me fascine : Comment fait-il pour décrire cette réalité sans n'avoir peut-être jamais mis les pieds dans cet abattoir ?
Moi j'y travaille, oui, à la première transformation, ce n'est pas un rêve, je voudrais presque les protéger, Errol et François, de ma réalité barbare. Là où nous ne sommes plus les mêmes qu'en ville, là où devenons autre chose que nous même, là où nous ne percevons plus nos mains de la même façon qu'au moment où elles étreignent nos enfants. Là où nous envoyons le couteau dans la chaire ronde et chaude. Oui, une bienveillance remplit nos coeurs, croyez-le. Et mon sang bout de plus en plus fort dans mes veines quand je parviens à travailler correctement.
François travaille un peu plus haut que moi sur la chaîne d'abattage. Il occupe une position dont je n'ai pas envie. Il est plus près de la mise à mort. Chez nous, disons à l'usine, la place n'est pas tentante non plus. Mais comment voulez-vous faire pour fournir Mc Donalds ? Sans tuer des boeufs ? Sans trancher à un moment voulu la veine vitale de la bête ?

Des pensées résonnent :
Je comprends François, le héros de l'histoire, par moment c'est vrai que notre travail est abrutissant. Les moments d'euphorie compensent, nous aimons le travail bien fait, nous nous félicitons avec nos yeux au-dessus de nos masques.
Entre son histoire et la mienne un mélange s'opère et une confusion mêlée d'envie parvient dans mon corps et mon âme. Pardon pour l'indissociation je ne peux vous parler de François sans y inclure mon expérience.
Je veux aller séparer la panse de la vache du reste de l'appareil, je sais que cela ne plait pas aux autres. C'est un travail classé pénible, cela me donne-t-il une place si rare ?
L'envie est là parce qu'elle répond à une demande de dépense d'énergie de tout mon être. L'adrénaline doit s'évacuer. Vous allez trouver cela curieux mais je vais travailler comme je vais à la salle de sport. Nos métiers manuels sont d'un autre âge, je peux tout à fait admettre que cela n'attire pas les jeunes d'aujourd'hui. Je pense que cela ne plaira pas à mes deux filles chéries.
Vous pratiquez une activité physique, votre corps sécrète des hormones telles que : l'endorphine, la dopamine, l'adrénaline et la noradrénaline. L'endorphine, aussi appelée hormone du plaisir, procure cette douce sensation que l'on ressent durant et après notre séance de sport. Je ressens ce genre de chose à la fin de mes sept ou huit heures quotidiennes. J'ai quitté un autre travail moins intense pour retrouver cette exaltation. Les jours se suivent mon corps réclame. Suis-je accroc ? Je ne sais pas. Mes muscles tiendront-ils ? Je vous le demande, vous jugerez peut-être mon comportement, égocentrique, à la limite irresponsable, et pourtant …plaisir...

Je ne sais pas pour vous, mais il y a longtemps, j'étais adolescent, j'étais un gamin. Une promesse perso, je me souviens. Je me suis dit : dans ta vie, homme, prend ton pied le plus possible et multiplie les expériences de toutes sortes. L'abattoir en est une. Je reste un gamin mal élevé, na !

J'écris au sujet de l'univers abattoir à travers un des personnages de mon roman en cours d'écriture. Ce document d'Errol Henrot devient source d'inspiration. Mon personnage s'appelle Adryan. Il est roumain vous savez seulement cela na ! Voilà j'arrête là avec ce puissant parallèle entre l'histoire de François et la mienne. Mais la dissociation est rude je vous le jure.

Il n'y a pas de fatalité. J'ai su évoluer à travers les différents postes que j'ai occupés, j'ai su m'adapter. Je pense que l'avenir me réserve une tournure surprenante. Et c'est à moi de m'en donner les moyens. Je pense que c'est pour le bien de l'abattoir et de son environnement économique. En somme je m'offre au dispositif.

Paradoxe vécu :
Oui l'atmosphère où nous évoluons, où nous nous débâtons pour vous nourrir est très proche de la vie, les bêtes sont vivantes là-bas dans leur enclos. Pourtant l'addition de tous nos gestes et leur répétition infinie nous éloigne de notre état d'homme sensible originel. Nous devenons une inhumaine machine qui tue. Nous sommes banni, nous nous cachons, loin du reste de la campagne. Cette activité nous éloigne parfois de notre propre amour propre. L'état second nous sauve. En salle de pause nous scrutons dans nos regards notre part d'humanité stagnante. La fatigue gagne … Oui des coups de nerfs surgissent du mécanisme. Sagesse, sagesse, réapparait, et la colère s'enfuit.

Mélange :
Par moment cette transe me fait réellement sortir de moi-même, je finis ma tâche sans mémoire de moi, il me faut un moment pour retrouver conscience. La chaleur mélangée à ma concentration, cette panse pleine d'herbe d'eau et de stuc digestif, elle arrive elle descend la pente, je la perce et ainsi de suite. Ce plaisir est pris à déquiller des pieds de boeufs, ou à accrocher des foies de dix kilos.
Moi qui ne vient pas de ce monde-là, je veux en dire en aval, le monde de l'élevage et des bêtes, je ne connais que l'industrie, oui j'allais dans mon enfance chercher le lait à la ferme mais c'était avant. Il n'y a que cette anecdote qui me lie au monde fermier. J'éprouve un profond respect pour ces personnes qui ne connaissent pas le repos dominical et les cinq semaines loin de leur quotidien. le scandale est là, ce monde-là survit très difficilement.

Loin dans la campagne :
L'épisode de la truie qui met bas est lyrique il m'apparaît comme un hommage au monde paysan. François dénonce la torture du vivant et la stupidité de comportements ouvriers inadmissibles. Oui notre modernité ne peut la tolérer. le business et l'exigence de rentabilité ne doit pas soumettre à ce point le monde vivant. Sinon un excès d'horreur surgira encore et encore et les démissions se multiplieront.

J'ai de la peine pour François parce qu'il n'apprécie pas l'endroit où il travail. Il ne l'a pas choisi. L'excès morbide à envahit son âme. Dans ce cas l'issue s'approche de l'évasion. Je lis son récit en attendant sa fin avec impatience. J'attends que ce noeud à l'intérieur de son être explose. Je le sais, c'est pour son bien. Une fin pleine de rebondissements me parvient et la nature récupère ses droits.

Tout va bien, la fiction a pris le dessus, je ne sais plus l'heure, suis-je hors du temps comme lorsque je travaille ? Oui hier, je m'extrais de ses lignes comme sorti d'un songe. Errol Henrot réussit sa mission littéraire.

J'exagère à peine je vous le jure, ma passion est là entre mes mains avec ses mots. Et demain le couteau remplacera ce livre à l'intérieur de mes paumes.

Enfin, le cycle compétitif s'accomplit pour le bien de tous. Chaque disparition bovine contribue à la croissance des cerveaux de nos chérubins.

Je suis viscéralement attaché à deux choses que nous appelons : plaisir et liberté. Si vous ne souhaitez plus participer à ce massacre quotidien, je laisse votre ingéniosité trouver tous les substituts à l'apport protéinique nécessaire à votre fonctionnement.
Vegan soit-il.

Oui boucher n'est pas un métier qui attire et vu que nos sociétés sont une agglomération de croyances humaines et d'injonctions autant économiques que culturels et politiques, nous verrons si dans vingt-cinq ans la consommation carnée disparaît pour de bon.

Je me dirige vers une contrée plus tendre en compagnie d'Anne Wiazemski et de Jean-Luc Godard, je délaisse pour un temps le bain de sang. J'y reviendrais avec comme une bête de Joy Sorman.

Bravo et merci Errol Henrot.

L'immensité du questionnement contentera toute la générosité avec laquelle je recevrais vos réactions et propositions concernant ce stupéfiant univers abattoirs qui demeure dans mon coeur.

Ainsi le débat et le plaisir qu'il me procure sont ouverts.


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Attention OLNI avéré, ce livre est inclassable. Attention pépite certaine. Je me suis pris une claque avec ce roman court 192 pages et pourtant lorsque je l'ai commencé je n'étais même pas sûre de pouvoir le finir. Pourquoi ? Premièrement, le sujet un type tueur dans un abattoir, je me suis dis que ça allait clairement être ennuyeux et qu'il n'y a pas grande chose à en dire. Quelle erreur ! Deuxièmement, la lourdeur, l'ambiance qui se dégage des paysages, des lieux, des personnages. J'ai eu un peu de mal au début, mais j'ai très vite pressenti que j'avais entre les mains quelque chose de fort, d'unique. Bien qu'assez déroutée au début, j'ai passé quelques temps à me demander qui cela allait intéresser, les bouchers ? les gens travaillant dans les abattoirs, les paysans ? Pas sûr, néanmoins, je n'arrivais pas à le poser , voulant absolument savoir le sort réservé à François. Plus, je lisais et plus je me disais que c'était fichtrement bien écrit, que c'était réaliste et que ce n'était pas possible, il allait se passer un truc, qu'il y allait y avoir un déclic, une brisure, un point de non retour. Ce fut le cas et j'ai été subjuguée par ce premier roman et je vais sacrément suivre cet écrivain incroyable.

Le personnage de François fait presque pitié au début, il travaille dans un endroit qu'il n'a pas choisi et exerce un métier qu'il déteste. Il est faible et n'a pas eu le courage de s'opposer à son père qui l'a placé dans l'abattoir de la petite bourgade dans laquelle ils vivent. Les rapports qu'il a avec son père son âpre, ils ne se comprennent pas, la mère est inexistante. Lui qui a toujours été effacé va changer au fur et à mesure qu'il abat des animaux, il va réfléchir sur la vie, sa vie, les animaux, le sang, la terre. Il va avoir de plus en plus de mal à abattre ces pauvres bêtes innocentes. Et là vraiment l'auteur a fait un travail de précisions pour faire entrevoir aux lecteurs l'horreur des abattoirs, la cruauté avec laquelle sont tuées les animaux, la perversité de certains tueurs, la tristesse des bêtes, leurs larmes aussi. C'est fait sans pathos, mais c'est saisissant, dérangeant, ça m'a remuée, m'a poussé dans mes retranchements, toute cette violence banalisée, est-ce qu'on est pas des tueurs en mangeant de la viande , même peu ? Est-ce qu'on ne consent pas en ne disant rien ? Les scènes dans l'abattoir sont difficilement soutenables pour qui a un tant soit peu d'empathie envers le règne animal, mais elles ne sont pas exagérées, elles sont réalistes et c'est d'ailleurs une des forces de ce roman c'est que le lecteur est un peu comme un visiteur de l'ombre, il regarde par la lorgnette, il est le spectateur unique et impuissant de tout cela. J'ai aimé la progression et le chemin qu'à parcouru François, il commence par faire froidement ce qu'on lui dit, puis ça va lui peser, il va en rêver la nuit et finir par ne plus supporter et se rebeller enfin contre sa famille d'une part et au travail d'autre part. Tout cela est décrit avec une froideur, et très cliniquement et cela ajoute au malaise du lecteur.

Et là whaou tout bascule et il écrit ses pensées et l'émotion est à son climax, je me suis pris une claque , c'était ça que j'attendais depuis le début. Rien que pour les pages 129 à 140 ce livre vaut la peine d'être lu. J'ai été touchée, bouleversée, émue, secouée et ébloui par la puissance des mots, des idées. J'ai dû retenir mes larmes, maîtriser mes frissons dans ce bus qui m'emmenait au travail. le reste du roman est juste magnifique, la fin poétique et sans appel. J'ai changé petit à petit d'avis sur le personnage et j'ai admiré son courage et son humanité au milieu de cette dés-humanité.

C'est un roman qui ne laissera personne indifférent, la couverture est juste magnifique et à propos, c'est un livre militant en quelques sortes car on a vraiment plus envie de manger de viande en le fermant et on hait encore plus les tueurs d'animaux. J'ai été aussi très surprise par la question que se pose François sur le sang : que devient le sang versé  ? Pas seulement celui des animaux, tout le sang , qu'en fait la Terre ? Est-ce qu'elle n'en a pas assez ? Est-ce qu'elle peut encore en contenir ? C'est étrange pour moi car c'est une question que je me pose depuis très très longtemps.

Vous l'aurez compris c'est un coup de coeur et j'espère que ce livre trouvera son public et aura le succès qu'il mérite. J'aimerai beaucoup savoir si l'auteur a lui-même enquêter dans un abattoir.

Verdict : 

Une tuerie sans mauvais jeu de mots, c'est juste une petite pépite, ça démarre lentement mais après quel régal, quelle fulgurance ! Un auteur à suivre.
Lien : https://revezlivres.wordpres..
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Tu travailleras aux abattoirs, comme moi. Et vlan ! Prends ça cher fils. François vient de passer le bac, mais introverti, hermétique, ne parlant pas ou si peu, le père a décidé pour lui. Six mois de stage et le CDI derrière. Oui François est devenu « tueur » à l'abattoir industriel de son village, vous savez, « ces curieux bâtiments à l'entrée de la ville, d'où sortaient des cris et des odeurs épouvantables. »
François, un garçon puis un homme qui s'est retiré de la vie, retiré en lui. Il est plus que solitaire, ne peut se lier à personne par manque de confiance en lui, par absence d'amour parental. Un chaton qui n'a pas été éduqué par sa mère, ne sera jamais propre. François, que ses parents n'ont jamais aimé, n'ont jamais porté l'attention affectueuse attendue, ne peut s'aimer et donc aimer les autres. « Ce père qu'il ne savait aimer et qui ne l'avait jamais aimé ».

La vie de François est toute tracée, tueur professionnel jusqu'à la retraite, quelle belle perspective de vie !! « C'était donc ainsi que sa vie se déroulerait. Toutes les quatre-vingt-dix secondes, il saignerait un corps suspendu par les pattes arrière, chaque jour, durant les quarante prochaines années. Il regarderait, durant quarante années, des animaux pris au piège hurler, se balancer, chercher à fuir, à échapper à la douleur, un mal qu'ils ne pouvaient pas comprendre parce qu'ils ne pouvaient le comparer à rien de ce dont ils avaient fait l'expérience. Partout il y avait les odeurs de leurs semblables. Chacun d'entre eux entendait les cris de l'animal qui l'avait précédé, suspendu lui aussi. »
Chaque jour, il doit tuer son lot de bêtes, François ne peut s'y faire. L'attitude des collègues qui, pour se défouler, s'en prennent à un animal et lui infligent des tortures, j'ose le mot, avant de le laisser mourir sur le ciment, le révulse. Est-ce le boulot inhumain qui rend les ouvriers de l'abattoir sadiques ? « Il faut bien que l'on s'amuse, parce que autrement, on se tirerait une balle en sortant d'ici »
Le rendement, la compétitivité règnent ici aussi « Et moi, qui ne suis qu'un pauvre travailleurs, je ne suis pas plus respecté que l'animal que je tue. le combat est perdu d'avance, n'est-ce pas ? Les descriptions de sévices prolifèrent, elles sont consultables partout. La connaissance, surtout aujourd'hui, n'a pas de limites. Des lois existent, bien sûr. le directeur les connait. Des associations sur le pied de guerre. Mais pour que les lois, les associations soient efficaces, il leur faut, non pas l'adhésion, mais la confiance absolue de la société tout entière. Et il faut que cette confiance soit entretenue, de manière constante ». Un pamphlet contre le gain à tout prix qui absout beaucoup de dérives.
François se trouve face à ses contradictions « Je ne peux pas respecter, et aimer profondément la vie humaine, songea-t-il, et sous la même impulsion, haïr viscéralement la vie animale. Cela serait une contradiction absurde… Si je ressens l'envie de frapper un animal, cette envie ne peut totalement disparaître si je suis en compagnie d'un être humain. Elle peut être inhibée, mais elle existe, aussi intense, aussi invincible. »
Errol Henrot décrit l'ambiance, les odeurs d'urine, de sang, de peur, de mort qui montent à la gorge dès l'entrée dans l'abattoir industriel. Ses mots justes, forts, brutaux m'ont fait ressentir ces odeurs de sanies, j'en ai pris plein la gueule, sans jamais avoir envie de fermer le livre tant j'ai été subjuguée par l'écriture de Errol Henrot.
La mort De Robert, qu'il admire, le paysan est un déclencheur. Il ne sait pas comment il va faire. Peut-être envoyer ses textes à la presse ? Il ne peut plus supporter tout le sang versé, décide de ne plus subir l'ordre des choses, de ne plus accepter le comportement honteux de ses collègues, leur violence gratuite envers plus faible. François crie son désespoir à la tête de son patron qui l'écoute benoitement, avec, toutefois, un sentiment de peur. Ce faisant, l'ouvrier pourrait même aller jusqu'au meurtre tant il y a de violence en lui devant toute cette mort. Prenant peur de sa folie, il préfère s'ensauver, fuir dans la forêt.
Ses soupapes sont les balades en forêt, regarder, admirer, son voisin Robert élever ses porcs avec amour, douceur et passion. Que j'ai apprécié les pages où il est question de la mise bas d'une truie. Pour moi, c'est un hommage aux paysans que je connais et qui vivent autour de chez nous.
Un livre rouge sang où la lâcheté humaine sévit à tous les étages, même celle de François qui préfère s'enfermer en lui plutôt que de s'affirmer. Un livre fort, militant qui pose la question d'un suivi objectif et durable de la gestion des abattoirs. La mécanisation serait peut-être une bonne solution pour que nous puissions continuer de consommer de la viande sans infliger ni aux animaux, ni aux hommes qui travaillent dans les abattoirs des situations hors normes
Errol Henrot a commis là un superbe premier livre militant, à l'écriture quasi clinique avec des envolées poétiques. Un livre qui a du coffre, de la tripe. Un coup de coeur.
Merci les fées des 68 premières fois pour cette perle rouge sang.

Lien : http://zazymut.over-blog.com..
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Oui, il se peut qu'après avoir lu ce livre l'idée même de manger de la viande vous devienne insupportable. Oui, le sujet de ce roman est dérangeant, le verbe parfois violent et certaines pages à la limite du soutenable. Mais... Mais c'est bien la littérature qui l'emporte, le style qui captive, la phrase qui touche. Ce premier roman, je l'ai dévoré (sans mauvais jeu de mots), séduite par la forme comme par le fond, assez abasourdie par la maîtrise de l'auteur qui, malgré la passion qui l'habite n'oublie jamais qu'il écrit un roman et parvient à sublimer son propos.

"Le tueur exerce ce métier depuis dix ans. Au commencement, François avait été étonné par ce terme. La franchise teintée de virilité de ses supérieurs était grande."

François travaille dans un abattoir industriel, un peu à l'écart de la petite ville du sud de la France où il vit. Comme son père. Il ne l'a pas vraiment décidé en fait, parce qu'il ne savait pas bien quoi faire de lui, François, alors penser à ce qu'il allait faire de sa vie... Son père a décidé pour lui. Un petit mot au directeur, un rendez-vous, une visite de la chaîne d'abattage et puis c'est lui qui se retrouve le couteau entre les mains et prend sa place dans le processus qui permettra à des millions de consommateurs de trouver leur ration quotidienne de viande dans leur assiette. Ensuite, les gestes se font, il évite de penser, les jours et les années passent... Mais peut-on rester totalement indifférent au sang qui coule ? Jusqu'à quand ?

Depuis l'adolescence, François préfère se réfugier dans les livres plutôt que d'affronter le monde extérieur. Son degré d'estime de lui-même est proche de zéro alors... Alors il arrive un moment où vibre une petite fibre, où les questions s'insinuent peu à peu sous sa peau, où la conscience de son environnement devient plus forte. Il arrive un moment où il finit par mettre bout à bout certaines sensations, comme cette attirance pour les méthodes d'un éleveur voisin qui traite ses animaux avec douceur et attention malgré les quolibets de ses semblables, ou ce dégoût qui le saisit parfois face à la violence qui habite certains de ses collègues de l'abattoir et aux scènes insoutenables que leur attitude génère. Comment vivre alors avec la pleine conscience du processus de violence auquel on a si longtemps pris part ?

"A partir de quand suis-je devenu attaquable ? Libre de ressentir la douleur d'autrui, les yeux enfin ouverts ? Capable de la reconnaître autour de moi ?

L'éveil de François sera brutal. Autant pour lui que pour le lecteur invité sur les lieux où s'exerce une violence qu'il préfère éviter de regarder en face. Une violence assumée par des hommes. Une violence qui prend racine au plus profond de la nature humaine dans un contexte qui excite ses instincts les plus bas. Les cadences infernales, la frustration, la colère sont autant de stimulants qui font sauter les derniers barrages.

"L'intelligence s'était nourrie de la cruauté manifestée par leurs gestes, et s'en était abreuvée. L'esprit délivrait à la chair des humeurs plaisantes, pareilles à celles qui suivent l'acte amoureux. Les hommes prolongeaient leur joie, profitaient d'un soulagement inattendu. Ils rétablissaient leur équilibre en se servant de la douleur d'un autre être, qui n'était pas eux".

Le lecteur sort de ce livre totalement ébouriffé par un voyage bien plus percutant que quelques bribes d'informations glanées dans les journaux télévisés lorsqu'un abattoir est parfois pointé du doigt pour ses méthodes. Errol Henrot réussit un roman très fort, qui secoue, révolte mais permet surtout de mettre les hommes face à leurs actes. Une littérature engagée qui n'en oublie pas d'être belle.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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« Qui pourra prouver que nous ne sommes pas un mirage, une lutte entre nous et notre pensée, seuls, entourés d'autres mirages ? Déterminés par l'instinct, et par le désir de lutter avec l'aide de notre mirage, le plus puissant de tous ? Partant de là, notre impossibilité de nous dégager de la torture, de la destruction, serait le témoignage, ou le signe que, privés de ce pouvoir, nous ne serions plus rien. Nous serions dépassés, nous détruisant nous-mêmes, par la peur. La peur. le mal le plus grand. »
Ce petit roman à la couverture repoussante, qui pourrait passer inaperçu, dont c'est peut-être même l'ambition, un peu comme son héros François qui vise l'invisibilité pour tenter de survivre, est certainement un des plus surprenants des romans 68 déjà lus et un des plus intelligents. Au-delà des questions éthiques et actuelles autour de l'exploitation de masses des animaux comestibles, de la nature détournée, oubliée, au service d'une consommation orgiaque et ordurière que notre monde produit, ordonne et dont il se regorge toujours….Ce récit en brodant son histoire dans le décor d'un abattoir industriel, raconte les êtres humains : leurs lâchetés confortables dans les répétitions d'un même pour ne plus avoir à penser, leurs orgueils pour ne pas avoir à réfléchir, leurs places à défendre dans une nasse de liens pourtant nocifs, leur vilenie…et leurs efforts aussi, leurs arrangements petits ou comme ils peuvent avec la réalité ou la culpabilité, enfin les faiblesses et combats des sensibilités autrement différentes, donc malmenées, donc souffrantes….
C'est sombre, empreint de désillusions ou devrait-on dire d'une grande conscience de ce qui nous anime, c'est fort et pertinent, indubitablement courageux, le tout dans une écriture fouillée, belle, panoramique, poétique, cruelle, incisive, sans filtres, sincère dans ses questions comme dans ses constats les plus douloureux, les plus laids.
Je tire mon chapeau à cet auteur plus que prometteur. Errol Henrot a le talent téméraire et humble de nous rappeler que certains, comme François, comme l'auteur, continue à voir au-delà de la destruction, du mercantile et du vil : la beauté du monde, la richesse d'une terre, l'ineffabilité des existences, des corps en chair et en poussières. Il nous rappelle que la littérature est aussi, sûrement, toujours là pour nous parler nos vies, aussi violentes, absurdes peuvent-elles être et sans donner de leçon de morale, juste par le biais d'une histoire, d'une fiction, éveiller nos consciences et préserver notre liberté de penser ce qui nous entoure et ce que nous éprouvons malgré la pression des carcans et des systèmes, et que nous sommes nombreux à nous débattre…
C'est un sombre réel raconté là, dans l'ombre et la clandestinité d'un désespoir ; c'est aussi en le regardant en face que nous pouvons tenter d'oxygéner sa singularité, dans le repli que l'on observe le lumineux qui manque et qui est possible.
« Dans sa faiblesse de jeune homme, il appréciait son habileté à passer inaperçu, sa neutralité, qui était une ouverture possible vers sa propre individualité. C'était une retenue contre les agressions extérieures, des hommes ou du paysage. (…) Les jours, les semaines s'écoulaient sans qu'aucun événement puisse faire dire à François : aujourd'hui. le temps n'était plus qu'une réalité mensongère, pas même altérée, plutôt enfouie sous une telle quantité de peurs, d'indécisions, de passivité, qu'il ne songeait même plus à faire des projets, à se choisir autre chose que la vie déjà entièrement écrite, proposée par son père et acceptée par sa famille. »

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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Là-bas, le visiteur perdait ses repères. Le sentiment d'éternité se réduisait; un autre paysage se détachait, intact, et né de la même terre, la reproduisait sous cloche avant d'en prendre le contrôle. Les cris, les odeurs, les couleurs froides et contraintes, tout, dans ce tourbillon blême, avait pour dessein l'étouffement, la répression du mouvement. Le monde n'y était fait que de pierres, de ciment, d'acier. De sang. Les murs gris avaient une teinte rosée et par endroits, des failles dans le béton semblaient une glaçure antique, déposée là par les fluides, les gaz, les remugles de toutes les âmes qui avaient marché sous cette carcasse habitée. Ici, l'homme travaillait au service de la peur. D'une peur qu'il connaissait bien mais à laquelle il assistait, entre ces murs, comme un observateur à l'abri de toute menace. Il pouvait y laisser ses pulsions s'ébattre sans craindre de les voir diminuées, pacifiées par la loi. La loi était différente, ici. Les corps des ouvriers accomplissaient les gestes de l'abattage, au quotidien, loin des consommateurs, qui eux-mêmes les ignoraient volontairement. Au loin, la ville s'agitait, mais elle négligeait une chose, une chose dont elle vivait pourtant, et à laquelle elle confiait son pouvoir, comme s'il s'agissait d'une place illégitime, mais inévitable.
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La closerie autour des terres anciennes près de l'abbaye royale invitait encore à la rêverie, malgré la présence écrasante du monastère voisin. Les champs d'astrances et de coquelicots ployaient sous la brise fraîche, tout au bord du fleuve. Le blanc, le vert et le rouge des plantes scintillaient dans l'eau grise. Sur la rive opposée, les cirses d'Angleterre faisaient briller leurs fleurs violettes, pointées vers le ciel comme la flèche d'une église. Dans le domaine de la closerie, des auges en granit, longues, s'étiraient vers les fusains dorés du Japon, si bien que le regard du visiteur, butant contre une frondaison impénétrable, jouait un temps avec les rayons du soleil à travers les feuilles, comme s'il voulait s'aveugler. Oublier la forme de toutes les choses, et la conscience d'une quelconque limite. Les ombres se nourrissaient de lumière. Les vaches ferrandaises plongeaient leur corps lourd et majestueux dans la touffeur d'une après-midi étirée, fondante, au milieu des odeurs de bois chaud et de paille séchée. La nature jouissait d'elle-même. Mais à l'autre bout de la ville, l'abattoir n'accordait aucune place à la rêverie.
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La lame de celui-ci était tellement émoussée qu'il ne s'enfonçait plus dans la peau du cou, et que je devais forcer, enfoncer, arracher les chairs en plusieurs fois pour sectionner l'artère et que les cris de l'animal qui sentait la lame raclait sa peau, déchirer le scalène, déraper et enfoncer la pointe sous la mâchoire, me terrassaient.
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Des fermes à l'abattoir, le principe de domination, la démonstration de pouvoir, la maltraitance semblent irréductibles, songea-t-il.
Fallait-il associé le mot business au mot agriculture.
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Il saisit un brugnon, le frotta légèrement et le plaça entre ses lèvres.
Sa chair tendre fondait sur la langue, elle était acide et sucrée.
Le jus s'écoulait de sa bouche, sans qu'il en ressentit de la honte.
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Vidéo de Errol Henrot
Un nouveau cycle de rencontres explore les questions écologiques portées par la littérature, dans le prolongement du Prix du roman d'écologie décerné depuis 2018. L'inspiration écologique est-elle une manière de renouer avec une littérature engagée ? Cette rencontre s'intéresse à l'engagement en littérature.Dialogue entre Camille Brunel, auteur de La Guérilla des animaux (Alma Éditeur, 2018) et Errol Henrot, auteur des Liens du sang (Le Dilettante, 2017)Animé par Dalibor Frioux, écrivain
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