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Ce récit entrelace réalisme, onirisme, poésie et cruauté. Les doses s'écoulent doucement, savamment et par saccade. Je le comprends comme une hybridation. Ou l'union d'un témoignage tendu avec des manoeuvres vegans militantes. Cependant les frontières avec la fiction sont parfois dépassées.

S'y ajoute ce que je ressens en le lisant :

Pendant ma semaine de vacance j'ai de la chance, je suis dans la manufacture qui débite, dépèce, pare et taille la viande fraîche grâce à la littérature et à ce que raconte François.
Je rends mes pensées à mes amis lecteurs. Cette semaine je ne produis pas pour les humanoïdes carnivores. Je n'occupe pas mon poste, je ne sépare pas l'appareil digestif des vachettes. Je lis l'histoire d'un autre homme, Errol Henrot ou François dans ce récit.

Errol Henrot a réellement travaillé en abattoir ? Peut-être, ce qui est sûr : il a écrit ce texte. Ce questionnement me fascine : Comment fait-il pour décrire cette réalité sans n'avoir peut-être jamais mis les pieds dans cet abattoir ?
Moi j'y travaille, oui, à la première transformation, ce n'est pas un rêve, je voudrais presque les protéger, Errol et François, de ma réalité barbare. Là où nous ne sommes plus les mêmes qu'en ville, là où devenons autre chose que nous même, là où nous ne percevons plus nos mains de la même façon qu'au moment où elles étreignent nos enfants. Là où nous envoyons le couteau dans la chaire ronde et chaude. Oui, une bienveillance remplit nos coeurs, croyez-le. Et mon sang bout de plus en plus fort dans mes veines quand je parviens à travailler correctement.
François travaille un peu plus haut que moi sur la chaîne d'abattage. Il occupe une position dont je n'ai pas envie. Il est plus près de la mise à mort. Chez nous, disons à l'usine, la place n'est pas tentante non plus. Mais comment voulez-vous faire pour fournir Mc Donalds ? Sans tuer des boeufs ? Sans trancher à un moment voulu la veine vitale de la bête ?

Des pensées résonnent :
Je comprends François, le héros de l'histoire, par moment c'est vrai que notre travail est abrutissant. Les moments d'euphorie compensent, nous aimons le travail bien fait, nous nous félicitons avec nos yeux au-dessus de nos masques.
Entre son histoire et la mienne un mélange s'opère et une confusion mêlée d'envie parvient dans mon corps et mon âme. Pardon pour l'indissociation je ne peux vous parler de François sans y inclure mon expérience.
Je veux aller séparer la panse de la vache du reste de l'appareil, je sais que cela ne plait pas aux autres. C'est un travail classé pénible, cela me donne-t-il une place si rare ?
L'envie est là parce qu'elle répond à une demande de dépense d'énergie de tout mon être. L'adrénaline doit s'évacuer. Vous allez trouver cela curieux mais je vais travailler comme je vais à la salle de sport. Nos métiers manuels sont d'un autre âge, je peux tout à fait admettre que cela n'attire pas les jeunes d'aujourd'hui. Je pense que cela ne plaira pas à mes deux filles chéries.
Vous pratiquez une activité physique, votre corps sécrète des hormones telles que : l'endorphine, la dopamine, l'adrénaline et la noradrénaline. L'endorphine, aussi appelée hormone du plaisir, procure cette douce sensation que l'on ressent durant et après notre séance de sport. Je ressens ce genre de chose à la fin de mes sept ou huit heures quotidiennes. J'ai quitté un autre travail moins intense pour retrouver cette exaltation. Les jours se suivent mon corps réclame. Suis-je accroc ? Je ne sais pas. Mes muscles tiendront-ils ? Je vous le demande, vous jugerez peut-être mon comportement, égocentrique, à la limite irresponsable, et pourtant …plaisir...

Je ne sais pas pour vous, mais il y a longtemps, j'étais adolescent, j'étais un gamin. Une promesse perso, je me souviens. Je me suis dit : dans ta vie, homme, prend ton pied le plus possible et multiplie les expériences de toutes sortes. L'abattoir en est une. Je reste un gamin mal élevé, na !

J'écris au sujet de l'univers abattoir à travers un des personnages de mon roman en cours d'écriture. Ce document d'Errol Henrot devient source d'inspiration. Mon personnage s'appelle Adryan. Il est roumain vous savez seulement cela na ! Voilà j'arrête là avec ce puissant parallèle entre l'histoire de François et la mienne. Mais la dissociation est rude je vous le jure.

Il n'y a pas de fatalité. J'ai su évoluer à travers les différents postes que j'ai occupés, j'ai su m'adapter. Je pense que l'avenir me réserve une tournure surprenante. Et c'est à moi de m'en donner les moyens. Je pense que c'est pour le bien de l'abattoir et de son environnement économique. En somme je m'offre au dispositif.

Paradoxe vécu :
Oui l'atmosphère où nous évoluons, où nous nous débâtons pour vous nourrir est très proche de la vie, les bêtes sont vivantes là-bas dans leur enclos. Pourtant l'addition de tous nos gestes et leur répétition infinie nous éloigne de notre état d'homme sensible originel. Nous devenons une inhumaine machine qui tue. Nous sommes banni, nous nous cachons, loin du reste de la campagne. Cette activité nous éloigne parfois de notre propre amour propre. L'état second nous sauve. En salle de pause nous scrutons dans nos regards notre part d'humanité stagnante. La fatigue gagne … Oui des coups de nerfs surgissent du mécanisme. Sagesse, sagesse, réapparait, et la colère s'enfuit.

Mélange :
Par moment cette transe me fait réellement sortir de moi-même, je finis ma tâche sans mémoire de moi, il me faut un moment pour retrouver conscience. La chaleur mélangée à ma concentration, cette panse pleine d'herbe d'eau et de stuc digestif, elle arrive elle descend la pente, je la perce et ainsi de suite. Ce plaisir est pris à déquiller des pieds de boeufs, ou à accrocher des foies de dix kilos.
Moi qui ne vient pas de ce monde-là, je veux en dire en aval, le monde de l'élevage et des bêtes, je ne connais que l'industrie, oui j'allais dans mon enfance chercher le lait à la ferme mais c'était avant. Il n'y a que cette anecdote qui me lie au monde fermier. J'éprouve un profond respect pour ces personnes qui ne connaissent pas le repos dominical et les cinq semaines loin de leur quotidien. le scandale est là, ce monde-là survit très difficilement.

Loin dans la campagne :
L'épisode de la truie qui met bas est lyrique il m'apparaît comme un hommage au monde paysan. François dénonce la torture du vivant et la stupidité de comportements ouvriers inadmissibles. Oui notre modernité ne peut la tolérer. le business et l'exigence de rentabilité ne doit pas soumettre à ce point le monde vivant. Sinon un excès d'horreur surgira encore et encore et les démissions se multiplieront.

J'ai de la peine pour François parce qu'il n'apprécie pas l'endroit où il travail. Il ne l'a pas choisi. L'excès morbide à envahit son âme. Dans ce cas l'issue s'approche de l'évasion. Je lis son récit en attendant sa fin avec impatience. J'attends que ce noeud à l'intérieur de son être explose. Je le sais, c'est pour son bien. Une fin pleine de rebondissements me parvient et la nature récupère ses droits.

Tout va bien, la fiction a pris le dessus, je ne sais plus l'heure, suis-je hors du temps comme lorsque je travaille ? Oui hier, je m'extrais de ses lignes comme sorti d'un songe. Errol Henrot réussit sa mission littéraire.

J'exagère à peine je vous le jure, ma passion est là entre mes mains avec ses mots. Et demain le couteau remplacera ce livre à l'intérieur de mes paumes.

Enfin, le cycle compétitif s'accomplit pour le bien de tous. Chaque disparition bovine contribue à la croissance des cerveaux de nos chérubins.

Je suis viscéralement attaché à deux choses que nous appelons : plaisir et liberté. Si vous ne souhaitez plus participer à ce massacre quotidien, je laisse votre ingéniosité trouver tous les substituts à l'apport protéinique nécessaire à votre fonctionnement.
Vegan soit-il.

Oui boucher n'est pas un métier qui attire et vu que nos sociétés sont une agglomération de croyances humaines et d'injonctions autant économiques que culturels et politiques, nous verrons si dans vingt-cinq ans la consommation carnée disparaît pour de bon.

Je me dirige vers une contrée plus tendre en compagnie d'Anne Wiazemski et de Jean-Luc Godard, je délaisse pour un temps le bain de sang. J'y reviendrais avec comme une bête de Joy Sorman.

Bravo et merci Errol Henrot.

L'immensité du questionnement contentera toute la générosité avec laquelle je recevrais vos réactions et propositions concernant ce stupéfiant univers abattoirs qui demeure dans mon coeur.

Ainsi le débat et le plaisir qu'il me procure sont ouverts.


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Attention OLNI avéré, ce livre est inclassable. Attention pépite certaine. Je me suis pris une claque avec ce roman court 192 pages et pourtant lorsque je l'ai commencé je n'étais même pas sûre de pouvoir le finir. Pourquoi ? Premièrement, le sujet un type tueur dans un abattoir, je me suis dis que ça allait clairement être ennuyeux et qu'il n'y a pas grande chose à en dire. Quelle erreur ! Deuxièmement, la lourdeur, l'ambiance qui se dégage des paysages, des lieux, des personnages. J'ai eu un peu de mal au début, mais j'ai très vite pressenti que j'avais entre les mains quelque chose de fort, d'unique. Bien qu'assez déroutée au début, j'ai passé quelques temps à me demander qui cela allait intéresser, les bouchers ? les gens travaillant dans les abattoirs, les paysans ? Pas sûr, néanmoins, je n'arrivais pas à le poser , voulant absolument savoir le sort réservé à François. Plus, je lisais et plus je me disais que c'était fichtrement bien écrit, que c'était réaliste et que ce n'était pas possible, il allait se passer un truc, qu'il y allait y avoir un déclic, une brisure, un point de non retour. Ce fut le cas et j'ai été subjuguée par ce premier roman et je vais sacrément suivre cet écrivain incroyable.

Le personnage de François fait presque pitié au début, il travaille dans un endroit qu'il n'a pas choisi et exerce un métier qu'il déteste. Il est faible et n'a pas eu le courage de s'opposer à son père qui l'a placé dans l'abattoir de la petite bourgade dans laquelle ils vivent. Les rapports qu'il a avec son père son âpre, ils ne se comprennent pas, la mère est inexistante. Lui qui a toujours été effacé va changer au fur et à mesure qu'il abat des animaux, il va réfléchir sur la vie, sa vie, les animaux, le sang, la terre. Il va avoir de plus en plus de mal à abattre ces pauvres bêtes innocentes. Et là vraiment l'auteur a fait un travail de précisions pour faire entrevoir aux lecteurs l'horreur des abattoirs, la cruauté avec laquelle sont tuées les animaux, la perversité de certains tueurs, la tristesse des bêtes, leurs larmes aussi. C'est fait sans pathos, mais c'est saisissant, dérangeant, ça m'a remuée, m'a poussé dans mes retranchements, toute cette violence banalisée, est-ce qu'on est pas des tueurs en mangeant de la viande , même peu ? Est-ce qu'on ne consent pas en ne disant rien ? Les scènes dans l'abattoir sont difficilement soutenables pour qui a un tant soit peu d'empathie envers le règne animal, mais elles ne sont pas exagérées, elles sont réalistes et c'est d'ailleurs une des forces de ce roman c'est que le lecteur est un peu comme un visiteur de l'ombre, il regarde par la lorgnette, il est le spectateur unique et impuissant de tout cela. J'ai aimé la progression et le chemin qu'à parcouru François, il commence par faire froidement ce qu'on lui dit, puis ça va lui peser, il va en rêver la nuit et finir par ne plus supporter et se rebeller enfin contre sa famille d'une part et au travail d'autre part. Tout cela est décrit avec une froideur, et très cliniquement et cela ajoute au malaise du lecteur.

Et là whaou tout bascule et il écrit ses pensées et l'émotion est à son climax, je me suis pris une claque , c'était ça que j'attendais depuis le début. Rien que pour les pages 129 à 140 ce livre vaut la peine d'être lu. J'ai été touchée, bouleversée, émue, secouée et ébloui par la puissance des mots, des idées. J'ai dû retenir mes larmes, maîtriser mes frissons dans ce bus qui m'emmenait au travail. le reste du roman est juste magnifique, la fin poétique et sans appel. J'ai changé petit à petit d'avis sur le personnage et j'ai admiré son courage et son humanité au milieu de cette dés-humanité.

C'est un roman qui ne laissera personne indifférent, la couverture est juste magnifique et à propos, c'est un livre militant en quelques sortes car on a vraiment plus envie de manger de viande en le fermant et on hait encore plus les tueurs d'animaux. J'ai été aussi très surprise par la question que se pose François sur le sang : que devient le sang versé  ? Pas seulement celui des animaux, tout le sang , qu'en fait la Terre ? Est-ce qu'elle n'en a pas assez ? Est-ce qu'elle peut encore en contenir ? C'est étrange pour moi car c'est une question que je me pose depuis très très longtemps.

Vous l'aurez compris c'est un coup de coeur et j'espère que ce livre trouvera son public et aura le succès qu'il mérite. J'aimerai beaucoup savoir si l'auteur a lui-même enquêter dans un abattoir.

Verdict : 

Une tuerie sans mauvais jeu de mots, c'est juste une petite pépite, ça démarre lentement mais après quel régal, quelle fulgurance ! Un auteur à suivre.
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Oui, il se peut qu'après avoir lu ce livre l'idée même de manger de la viande vous devienne insupportable. Oui, le sujet de ce roman est dérangeant, le verbe parfois violent et certaines pages à la limite du soutenable. Mais... Mais c'est bien la littérature qui l'emporte, le style qui captive, la phrase qui touche. Ce premier roman, je l'ai dévoré (sans mauvais jeu de mots), séduite par la forme comme par le fond, assez abasourdie par la maîtrise de l'auteur qui, malgré la passion qui l'habite n'oublie jamais qu'il écrit un roman et parvient à sublimer son propos.

"Le tueur exerce ce métier depuis dix ans. Au commencement, François avait été étonné par ce terme. La franchise teintée de virilité de ses supérieurs était grande."

François travaille dans un abattoir industriel, un peu à l'écart de la petite ville du sud de la France où il vit. Comme son père. Il ne l'a pas vraiment décidé en fait, parce qu'il ne savait pas bien quoi faire de lui, François, alors penser à ce qu'il allait faire de sa vie... Son père a décidé pour lui. Un petit mot au directeur, un rendez-vous, une visite de la chaîne d'abattage et puis c'est lui qui se retrouve le couteau entre les mains et prend sa place dans le processus qui permettra à des millions de consommateurs de trouver leur ration quotidienne de viande dans leur assiette. Ensuite, les gestes se font, il évite de penser, les jours et les années passent... Mais peut-on rester totalement indifférent au sang qui coule ? Jusqu'à quand ?

Depuis l'adolescence, François préfère se réfugier dans les livres plutôt que d'affronter le monde extérieur. Son degré d'estime de lui-même est proche de zéro alors... Alors il arrive un moment où vibre une petite fibre, où les questions s'insinuent peu à peu sous sa peau, où la conscience de son environnement devient plus forte. Il arrive un moment où il finit par mettre bout à bout certaines sensations, comme cette attirance pour les méthodes d'un éleveur voisin qui traite ses animaux avec douceur et attention malgré les quolibets de ses semblables, ou ce dégoût qui le saisit parfois face à la violence qui habite certains de ses collègues de l'abattoir et aux scènes insoutenables que leur attitude génère. Comment vivre alors avec la pleine conscience du processus de violence auquel on a si longtemps pris part ?

"A partir de quand suis-je devenu attaquable ? Libre de ressentir la douleur d'autrui, les yeux enfin ouverts ? Capable de la reconnaître autour de moi ?

L'éveil de François sera brutal. Autant pour lui que pour le lecteur invité sur les lieux où s'exerce une violence qu'il préfère éviter de regarder en face. Une violence assumée par des hommes. Une violence qui prend racine au plus profond de la nature humaine dans un contexte qui excite ses instincts les plus bas. Les cadences infernales, la frustration, la colère sont autant de stimulants qui font sauter les derniers barrages.

"L'intelligence s'était nourrie de la cruauté manifestée par leurs gestes, et s'en était abreuvée. L'esprit délivrait à la chair des humeurs plaisantes, pareilles à celles qui suivent l'acte amoureux. Les hommes prolongeaient leur joie, profitaient d'un soulagement inattendu. Ils rétablissaient leur équilibre en se servant de la douleur d'un autre être, qui n'était pas eux".

Le lecteur sort de ce livre totalement ébouriffé par un voyage bien plus percutant que quelques bribes d'informations glanées dans les journaux télévisés lorsqu'un abattoir est parfois pointé du doigt pour ses méthodes. Errol Henrot réussit un roman très fort, qui secoue, révolte mais permet surtout de mettre les hommes face à leurs actes. Une littérature engagée qui n'en oublie pas d'être belle.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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J'ai lu 1/4 de ce livre mais je ne suis pas du tout emballée par le sujet, ni par l'écriture, ni par le style.. Et j'ai décidé d'arrêter là ce supplice...
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Tu travailleras aux abattoirs, comme moi. Et vlan ! Prends ça cher fils. François vient de passer le bac, mais introverti, hermétique, ne parlant pas ou si peu, le père a décidé pour lui. Six mois de stage et le CDI derrière. Oui François est devenu « tueur » à l'abattoir industriel de son village, vous savez, « ces curieux bâtiments à l'entrée de la ville, d'où sortaient des cris et des odeurs épouvantables. »
François, un garçon puis un homme qui s'est retiré de la vie, retiré en lui. Il est plus que solitaire, ne peut se lier à personne par manque de confiance en lui, par absence d'amour parental. Un chaton qui n'a pas été éduqué par sa mère, ne sera jamais propre. François, que ses parents n'ont jamais aimé, n'ont jamais porté l'attention affectueuse attendue, ne peut s'aimer et donc aimer les autres. « Ce père qu'il ne savait aimer et qui ne l'avait jamais aimé ».

La vie de François est toute tracée, tueur professionnel jusqu'à la retraite, quelle belle perspective de vie !! « C'était donc ainsi que sa vie se déroulerait. Toutes les quatre-vingt-dix secondes, il saignerait un corps suspendu par les pattes arrière, chaque jour, durant les quarante prochaines années. Il regarderait, durant quarante années, des animaux pris au piège hurler, se balancer, chercher à fuir, à échapper à la douleur, un mal qu'ils ne pouvaient pas comprendre parce qu'ils ne pouvaient le comparer à rien de ce dont ils avaient fait l'expérience. Partout il y avait les odeurs de leurs semblables. Chacun d'entre eux entendait les cris de l'animal qui l'avait précédé, suspendu lui aussi. »
Chaque jour, il doit tuer son lot de bêtes, François ne peut s'y faire. L'attitude des collègues qui, pour se défouler, s'en prennent à un animal et lui infligent des tortures, j'ose le mot, avant de le laisser mourir sur le ciment, le révulse. Est-ce le boulot inhumain qui rend les ouvriers de l'abattoir sadiques ? « Il faut bien que l'on s'amuse, parce que autrement, on se tirerait une balle en sortant d'ici »
Le rendement, la compétitivité règnent ici aussi « Et moi, qui ne suis qu'un pauvre travailleurs, je ne suis pas plus respecté que l'animal que je tue. le combat est perdu d'avance, n'est-ce pas ? Les descriptions de sévices prolifèrent, elles sont consultables partout. La connaissance, surtout aujourd'hui, n'a pas de limites. Des lois existent, bien sûr. le directeur les connait. Des associations sur le pied de guerre. Mais pour que les lois, les associations soient efficaces, il leur faut, non pas l'adhésion, mais la confiance absolue de la société tout entière. Et il faut que cette confiance soit entretenue, de manière constante ». Un pamphlet contre le gain à tout prix qui absout beaucoup de dérives.
François se trouve face à ses contradictions « Je ne peux pas respecter, et aimer profondément la vie humaine, songea-t-il, et sous la même impulsion, haïr viscéralement la vie animale. Cela serait une contradiction absurde… Si je ressens l'envie de frapper un animal, cette envie ne peut totalement disparaître si je suis en compagnie d'un être humain. Elle peut être inhibée, mais elle existe, aussi intense, aussi invincible. »
Errol Henrot décrit l'ambiance, les odeurs d'urine, de sang, de peur, de mort qui montent à la gorge dès l'entrée dans l'abattoir industriel. Ses mots justes, forts, brutaux m'ont fait ressentir ces odeurs de sanies, j'en ai pris plein la gueule, sans jamais avoir envie de fermer le livre tant j'ai été subjuguée par l'écriture de Errol Henrot.
La mort De Robert, qu'il admire, le paysan est un déclencheur. Il ne sait pas comment il va faire. Peut-être envoyer ses textes à la presse ? Il ne peut plus supporter tout le sang versé, décide de ne plus subir l'ordre des choses, de ne plus accepter le comportement honteux de ses collègues, leur violence gratuite envers plus faible. François crie son désespoir à la tête de son patron qui l'écoute benoitement, avec, toutefois, un sentiment de peur. Ce faisant, l'ouvrier pourrait même aller jusqu'au meurtre tant il y a de violence en lui devant toute cette mort. Prenant peur de sa folie, il préfère s'ensauver, fuir dans la forêt.
Ses soupapes sont les balades en forêt, regarder, admirer, son voisin Robert élever ses porcs avec amour, douceur et passion. Que j'ai apprécié les pages où il est question de la mise bas d'une truie. Pour moi, c'est un hommage aux paysans que je connais et qui vivent autour de chez nous.
Un livre rouge sang où la lâcheté humaine sévit à tous les étages, même celle de François qui préfère s'enfermer en lui plutôt que de s'affirmer. Un livre fort, militant qui pose la question d'un suivi objectif et durable de la gestion des abattoirs. La mécanisation serait peut-être une bonne solution pour que nous puissions continuer de consommer de la viande sans infliger ni aux animaux, ni aux hommes qui travaillent dans les abattoirs des situations hors normes
Errol Henrot a commis là un superbe premier livre militant, à l'écriture quasi clinique avec des envolées poétiques. Un livre qui a du coffre, de la tripe. Un coup de coeur.
Merci les fées des 68 premières fois pour cette perle rouge sang.

Lien : http://zazymut.over-blog.com..
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Challenge 68premièresfois 2017-2

Un livre très étrange et aie aie une sacrée couverture. Ce premier roman nous décrit le monde dans les abattoirs mais avec une telle belle écriture nous lisons ce livre avec une réelle envie de tourner les pages. On s'attache à ce personnage qui nous raconte sa vie et son travail, travail de son père avant lui. Je suis en train de lire « des châteaux qui brûlent» qui se passe aussi dans un abattoir. Pas végan ces livres mais il nous décrivent des métiers que la littérature, je pense, n'aborde pas souvent.
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C'est presque sur la pointe des pieds que je me suis aventurée dans ce roman dont le sujet me faisait craindre répugnance et honte : l'abattage à la chaîne des animaux ne faisant pas particulièrement partie de mes lectures privilégiées. J'aurais eu grand tort de me fier à cet a-priori !
Liés par le sang, François et son père le sont doublement. Par leurs liens familiaux, évidemment, mais aussi par le métier que le premier exerce à la suite de son père, désormais retraité : tueur dans un abattoir industriel. Plus précisément "saigneur" puisqu'armés d'un couteau, ils égorgent les bêtes à peine assommées auparavant. Cet univers de barbarie, de sang, de terreur et de souffrance est décrit d'une manière si réaliste que j'ai été incapable de lire certains passages, trop insoutenables. L'auteur n'occulte rien du calvaire des animaux et, par de subtils glissements sémantiques, parvient à humaniser ces derniers sans pour autant tomber dans l'anthropomorphisme ou dans une sensiblerie outrancière.
Cette incroyable qualité d'écriture m'a vraiment subjuguée et m'a rappelé les pages les plus fortes d'Emile Zola. Dense, serrée, elle s'enroule en spirale autour du personnage de François tout en lui gardant une part d'opacité. Sa quête, certains traits de son caractère demeurent implicites ce qui laisse le champ des interprétations grand ouvert.
Familial et intime, philosophique et moral, ce premier roman se nourrit de thématiques fécondes qui l'irriguent comme les larmes et le sang semblent gorger la terre. Pas toujours facile à lire, inconfortable, sans concession, "Les liens du sang" ne caresse pas le lecteur dans le sens du poil et il a agi sur moi davantage par fascination que par séduction. Je garde l'impression de n'avoir pu en saisir toutes les richesses, ni toutes les incidences, tant forme et fond s'imbriquent dans un dense réseau de significations.
Pour moi, un premier roman remarquable par de nombreux aspects !
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Les liens du sang est un premier roman déroutant. Il ne s'agit pas seulement d'un récit sur le sujet ô combien d'actualité sur le monde des abattoirs ou sur la maltraitance faite aux animaux. Nous voilà face à un roman sur notre rapport au sang, qu'il soit d'ailleurs animal ou humain.
Le sang est certes omniprésent. le sang des bêtes abattues sans état d'âme dans cet abattoir. Mais également le sang filial qui lie François à son père : François marche dans les pas de son père qui était, lui aussi, tueur d'animaux. Enfin, le sang symbole de puissance aux yeux d'ouvriers, notamment lors d'une description du massacre d'une vache qui m'a particulièrement marquée.
Errol Henrot nous parle également de lâcheté et de faiblesse : François est en effet à la fois observateur passif de son propre sort tout comme de celui des animaux, mais également observateur passif d'arrangements établis et acceptés dans son entreprise.
Que devient le sang versé, par les animaux mais aussi par les hommes? Jusqu'à quel point peut-on, doit-on, accepter l'inacceptable, et comment s'en affranchir?
Un livre, vous l'aurez compris riche, bien sombre, le tout servi par une écriture fouillée et âpre, qui donne lieu à des descriptions tout aussi violentes que saisissantes.
N'ayez crainte, tout n'est pas que noirceur : François croisera Robert et Angelica qui ont un rapport beaucoup plus respectueux, responsable et actif, envers les animaux en particulier, et la société en général. Ainsi qu'une fin surprenante…
Lien : https://accrochelivres.wordp..
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Livre oppressant, qui met le lecteur mal à l'aise. Il faut dire que le héros, un jeune adolescent encore scolarisé au début du roman, est très très mal dans sa peau. Et cela ne s'arrange pas avec le temps car le roman s'étire sur 10 ans.
Le héros, François, vit auprès de son père, tueur dans un abattoir de la ville où ils vivent avec a mère, inexistante. La fille a déjà quitté le foyer. Personne ne parle dans cette famille, rien n'est exprimé, pourtant il circule une tension sous-jacente entre le père et le fils particulièrement. chacun attend de l'autre quelque chose dont il est incapable. François est mutique, il s'isole du reste de ses camarades de classe et des autres membres de la communauté humaine qui le tiennent aussi à l'écart, personne ne comprend ce jeune garçon. Il décide de ne se déterminer dans aucun domaine, ne répond pas quand on lui pose une question, comme ce qu'il aimerait faire plus tard, pensant ainsi qu'il ne vit pas.
La seule personne qu'il admire, c'est un éleveur de cochons dans une petite exploitation voisine, qui adore "le Jeannot", gros spécimen âgé de 14 ans auquel il a laissé la vie sauve après la lui avoir sauvée peu après la naissance de l'animal.
Quand le père prend sa retraite après 40 ans de bons et loyaux services à l'abattoir de la petite ville, il décide de faire engager son fils qui deviendra tueur comme son père. Au début il pratique consciencieusement son travail malgré la peur, l'horreur que lui inspirent les scènes de tortures et de cruauté auxquelles il assiste quotidiennement, les cauchemars qui hantent ses nuits. Il y passera 10 ans avant que l'accélération des cadences et des exactions envers les animaux augmentent dans des proportions qui mettent les nerfs des employés et particulièrement ceux du jeune homme, à rude épreuve. Un jour, peu de temps après le décès de son père, il est témoin d'une scène de tortures particulièrement épouvantable et il décide d'aller en parler au directeur et c'est là que tout bascule....
C'est un premier roman inclassable, très bien écrit et que l'on ne lâche pas malgré le malaise qui nous parcourt tout au long de sa lecture, un très beau livre, remarquable par la qualité de son écriture et dont on ne ressort pas indemne.
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Je ne suis pas arrivée à rentrer dans cette histoire où je n'ai pas pu capter les émotions des personnages : tout est trop lisse et sans âme.
J'ai reposé le livre, puis je l'ai repris quelques jours plus tard sans succès : après avoir essayé d'aller plus loin dans ma lecture, je l'ai finalement abandonnée.
Je dois reconnaître que, dès le départ, l'histoire d'un tueur dans un abattoir ne m'intéressais guère.
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