On m'a filé ce livre sous forme de photocopies reliées, en me disant qu'il était difficilement trouvable. Or, on peut voir sur Bab qu'en fouinant un peu, on en trouvera de bonnes éditions sans passer par des circuits trop détournés. Il m'a rarement été donné de lire un récit aussi fort. On est prévenu de la dureté de ce qui nous attend dès la préface, qui n'en est pas une du reste, signée par
Albert Camus. Et dès le récit entamé, on est pris aux tripes et à la gorge par l'incroyable violence de ce qu'on lit. On ne révèlera rien de l'intrigue en disant de quoi il retourne : l'auteure est médecin à Angers durant la seconde guerre mondiale. Son mari l'est aussi. Tous deux ont choisi de rester debout face aux nazis, ils rédigent des certificats de non aptitude à des dizaines d'Angevins pour leur éviter le S.T.O. Ils seront balancés, arrêtés, interrogés, torturés, déportés... Un détail donne une force stupéfiante à ce récit : il est rédigé au présent de bout en bout.
Lucie Aubrac ne disait-elle pas que le verbe Résister se conjugue au présent? Alors quand des fromages arrogants et gonflés de certitudes et d'infatuation nous infantilisent et nous instillent sans vergogne la peur et la panique au nom de l'exercice de leur pouvoir, du maintien de l'ordre et de la santé publique, l'envie peut nous prendre, incidemment, de leur jeter ces pages au visage en leur intimant l'ordre de cesser l'indigne logorrhée martiale dont ils usent sans en évaluer le sens ni en peser le poids. Relativisons camarades, si nos temps sont durs, d'autres le furent infiniment plus !