Guillaume Apollinaire (1880-1918)
La traversée
Du joli bateau de Port-Vendres
Tes yeux étaient les matelots
Et comme les flots étaient tendres
Dans les parages de Palos
Que de sous-marins dans mon âme
Naviguent et vont l’attendant
Le superbe navire où clame
Le choeur de ton regard ardent.
Je te choisis si je compare ;
C'est toi le riche et moi l'avare,
C'est toi le chant et moi l'écho,
Et t'ayant comblé de moi-même,
O visage par qui je meurs,
Rêves, désirs, parfums, rumeurs,
Est-ce toi ou bien moi que j' aime ?
Anna de Noailles
Charles Cros (1842-1888)
Conclusion
J’ai rêvé les amours divins,
L’ivresse des bras et des vins,
L’or, l’argent, les royaumes vains.
Moi, dix-huit ans, Elle, seize ans,
Parmi les sentiers amusants
Nous irions sur nos alezans.
Il est loin le temps des aveux
Naïfs, des téméraires vœux !
Je n’ai d’argent qu’en mes cheveux.
Les âmes dont j’aurais besoin
Et les étoiles sont trop loin
Je vais mourir soûl, dans mon coin.
Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres
Pétillaient dans le soir ainsi qu'un vin nouveau
Quand les portes s'ouvraient sur des villes légères
Où nous allions tous deux enlacés par les rues
Tu venais de si loin derrière ton visage
Que je ne savais plus à chaque battement
Si mon coeur durerait jusqu'au temps de toi-même
Où tu serais en moi plus forte que mon sang.
René-Guy Cadou
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Lamartine
Je vais je ne sais où car la mort patiente
Embaumeuse qui fait les visages si beaux
Me regarde glisser sur la rapide pente
Qui meuble ses tombeaux.
Jean Cocteau
N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N'écris pas !
Marceline Desbordes-Valmore