Il n'est pas certain que les prolégomènes de cette leçon inaugurale au collège de France aient quelque intérêt. Mais une fois le droit d'entrée payé par l'impétrant aux très modestes ancêtres (mystagogue compris) et aux diverses institutions, le court exposé de
François Héran qui suit est extrêmement utile.
Le titulaire à la chaire
migrations et sociétés, dans cette vénérable maison, compte et recompte pour rendre compte. Si le chercheur fait dans ces quelques lignes, à notre humble avis, beaucoup trop confiance à l'arithmétique pour établir les faits, tracer les causalités et mesurer l'écart entre une réalité et un idéal d'égalité, de cohésion sociale et de non-discrimination ; s'il pense bien à tort que le péril n'est pas dans la gouvernance par le nombre mais dans la diversion par le nombre, il n'en demeure pas moins que son rappel de quelques chiffres et les analyses qui parfois s'en suivent sont bien utiles. En sciences humaines sans doute ne faut-il pas procéder à des jugements valeurs ; cependant, il peut être utile de prendre parti pour des valeurs.
François Héran ne fait d'ailleurs pas autrement. Les auteurs les plus souvent cités, les concepts mis en avant dans son livre sont étroitement libéraux et souvent même libertariens. Ses futurs travaux, dans cet esprit et avec une perspective détestablement comptable, se proposent de mesurer : « ce qu'on gagnerait à remplacer l'aide au développement – au rendement douteux – par la délivrance de visas facilitant le va et vient Nord-Sud ».
François Héran note que nous sommes passés, après le choc pétrolier de 1974, d'une migration utile à une migration de plein droit où la logique familiale, humanitaire ou estudiantine l'emporte sur la logique économique pure et simple, où en France les 220 mille migrants non européens, qui obtiennent chaque année leur permis de séjour, ne sont pas là pour rajeunir la pyramide des âges ou pour combler les pénuries de main d'oeuvre (< 10%). Les migrants entent chez nous aujourd'hui parce qu'ils en ont le droit.
Les recherches de
François Héran, sans démagogie aucune, rappelle dans cet ouvrage qu'incontestablement la migration affecte en profondeur les sociétés d'origine et de destination. Elle est ainsi fortement présente en France quoique minoritaire. Les personnes nées étrangères à l'étranger pèsent en effet dans la population française 10 à 11% en 2018, soit sept millions de personnes. La seconde génération, pas immigrée, compte quant à elle 12 à 13% de la population française, soit huit millions de personnes. C'est donc près d'un quart de population française qui est liée à l'immigration de la première ou de la seconde génération. C'est beaucoup mais comparable aux autres pays de vielle immigration (Allemagne, USA ou Pays-Bas).
François Héran dans son intervention insiste, en plus de la présence, il faut absolument rendre compte des flux annuels des nouveaux entrants. L'Union Européenne a accueilli, en 2017, 2,4 millions d'immigrés pour 509 millions d'habitant, soit 0,47% ; les États-Unis, 1,1 millions pour 320 millions, soit 0,34%. le nombre de migrants non-européens admis au séjour en France par année, en 2017 (année de crise migratoire), est de 260 mille, soit 0,4%. Les flux migratoires en France comme ailleurs ne sont donc pas massifs, c'est leur accumulation dans le temps qui finit par produire des changements pesants. Il y a, conclut
François Héran, non pas une intrusion spectaculaire, mais une intrusion durable qui finit par modifier les origines de la population et qui, au fil des générations, favorise leur brassage progressif.
Contrairement à ce qui est habituellement admis, la mécanique des fluides ne s'applique pas à l'écoulement des populations. Les migrants, des hautes pressions de contrées pauvres et surpeuplées ne sont pas nécessairement entrainés vers les basses pressions de contrées riches et sous-peuplées. Sur sept milliards et demi d'habitants de la planète seulement trois cent millions vivent à l'étranger, soit environ 4 à 5% ; il faut noter que 95% de la population mondiale n'a donc jamais migré. C'est une autre physique, celle de la gravitation, qui semble ici s'appliquer. le modèle, nous dit
François Héran, assimile les populations à des corps de masses inégales qui s'attirent mutuellement. le nombre des migrants déplacés est proportionnel à la «taille» des populations en présence et inversement proportionnel au carré de la « distance » les séparant. Pour le statisticien, la « taille » devient opportunité, âge, genre et la « distance » coût du transport, écarts culturels, histoire … le modèle gravitationnel, avec ses variables individuelles et de contexte, révèle le caractère sélectif des migrations. Les planètes massives fortes de leur poids démographique retiennent l'essentiel des particules légères de leurs populations indigentes. Ce ne sont pas les plus pauvres qui se déplacent, il y a souvent concurrence des migrations régionales et internes. Ainsi, l'augmentation des populations subsahariennes, ne devrait pas faire croitre dans les mêmes proportions le nombre de migrants (en 2050, passage de 0,4 à 2,4% de sa population).