Voici un livre qui est venu s'ajouter de manière inopinée dans ma liste de lecture du mois, à la suite d'une proposition de lecture commune d'une amie. J'ai été séduite par le synopsis, et me suis très vite plongée dans ce livre qui n'en est pas à sa première édition, mais qui était pour moi une découverte. Ce n'est pas un coup de coeur, je ne le ressens pas ainsi, pourtant j'ai eu beaucoup de plaisir à lire ce livre.
Puisqu'on parle de synopsis : celui qui est proposé ici représente assez fidèlement l'histoire en effet… à un mot près ! A aucun moment Jivane ne sombre dans la haine! Ce dernier mot est absolument inadéquat ! Au contraire : au fur et à mesure de sa prise de conscience de l'oppression systématique des humains O (pour humains originaux) envers les clones, Jivane va chercher diverses solutions pour revendiquer ses droits – d'abord les siens, puis ceux de toute la « nation clone » - mais toujours dans un souci d'épargner des vies, d'éviter la guerre qu'il ne connaît que trop bien, de ne pas aller à l'affrontement physique s'il est évitable, de ne pas tuer le moindre humain O. Dans une telle logique, le mot « haine » n'a pas la moindre place, c'est à croire que celui (ou celle) qui a pondu ce synopsis pour la maison d'édition n'a pas lu le livre, ou n'y a rien compris !
Certes, ce roman traîne un message du genre « Si vis pacem, para bellum » (si tu veux la paix, prépare la guerre)… mais vu le contexte, c'est carrément normal : Jivane et ses plus proches compagnons sont des soldats, ils font partie d'une énième génération de clones qui ont été créés et éduqués (pour ne pas dire dressés) pour devenir de bons petits soldats dans les guerres des humains, et quelques-uns seulement arrivent à des grades d'officiers subalternes, qui ont alors une grande expérience militaire et une connaissance du terrain – par opposition aux officiers supérieurs humains, qui ont quant à eux une formation stratégique, sans aucune connaissance ni expérience pratique. Or, si Jivane comme ses proches sont des militaires aguerris, justement ils ne veulent plus de ces guerres, de ces oppositions stériles, de ces tueries ; et si parfois ils s'énervent selon les circonstances, ils ne prennent plus les armes qu'en dissuasion ou en défense. Et jamais le message ne devient « Si vis pacem, [u]face[/u] bellum » (fais la guerre…)
C'est l'un des premiers romans que je lise qui parle de clonage de cette façon. Ici, pas de questionnement bioéthique : dans la société proposée par l'auteur, le clonage reproductif existe depuis 200 ans, est tout à fait légalisé, et les clones sont en effet utilisés pour toute une série de tâches inférieures que les humains O ne veulent et ne peuvent plus accomplir. Mais ce qui est nouveau pour moi, c'est qu'on se rend compte que ces clones seraient bel et bien des êtres humains comme vous et moi ; qu'ils sont capables de penser par eux-mêmes, d'avoir des avis sur ce qu'ils connaissent, de ressentir et d'aimer même ! On est très loin de la vision d'une armée de clones obéissants et semblables à des robots, image sur laquelle j'étais restée, sans doute à cause de références comme l'éternel « Star Wars » (dont je suis archi-fan ;) ). Cette nouvelle vision interpelle évidemment beaucoup, à travers tout le livre…
En outre, si ce livre ne pose pas la question de la justification du clonage, ce n'est clairement pas son objet, il en pose d'autres, plus ou moins directement. On a par exemple une dénonciation du racisme, mot qui a disparu du vocabulaire courant des protagonistes du livre, il faut même aller le rechercher en encyclopédie, mais c'est bien le premier qui ressort quand il s'agit de définir le sentiment des clones par rapport aux humains O… et si bien vite on n'en parle plus vraiment, il ne cesse de « planer » à travers toute l'histoire jusqu'à la fin ! Mais on a aussi, comme indiqué plus haut, tout un message prônant la non-violence et la discussion quel que soit le point de discorde. Et bien sûr, Jivane émet le rêve d'une société idéale, qui dénonce au passage (dans l'ordre ou le désordre, et de façon tout à coup très concentrée) toute une série de travers de notre société actuelle.
Comme on l'a compris, j'adhère plutôt pas mal à toutes ces idées… mais alors, pourquoi n'est-ce pas un coup de coeur malgré le plaisir de lecture ? Peut-être à cause de l'écriture… Elle est tout à fait fluide, et même assez agréable, aucun reproche à ce sujet. Mais elle est aussi très « explicative », un tout petit peu trop à mon goût. C'est quelque chose entre un style journalistique sans trop d'émotion, et un ton très didactique qui explique les choses à la façon d'un prof, qui répète encore et encore un même concept, de différentes façons et avec diverses images, mais ça a un petit côté « trop » - et je dis cela sans vouloir en aucune façon critiquer les profs, après tout j'en ai un à la maison avec qui je partage ma vie depuis près de 20 ans ! ;)
Pour le dire autrement : il y a beaucoup, beaucoup de dialogues et autres parties explicatives, sur ce qu'il se passe, sur les actions à prendre, sur les recherches « historiques ». Or, ce procédé rend l'univers créé par
P.J. Hérault très dense et pourtant très limpide mais, comme en revers de la médaille, ça devient aussi assez théorique, avec plus de « blabla » que d'action. Oh, certes, il y en a, de l'action… mais on la suit toujours d'une façon un peu détournée. Les scènes des quelques batailles par exemple, non seulement ne sont pas époustouflantes (et ce n'est pas le but !), mais en plus on ne les voit qu'à travers la visière du casque de combat de Jivane, ce qui ajoute au manque d'émotion. Ainsi, on a un livre avec des sujets extrêmement touchants et interpellants, rendus par une écriture qui paraît un peu trop descriptive, alors qu'on voudrait juste se sentir vibrer.
Ca n'en reste pas moins un très bon roman qui, bien au-delà des aspects science-fictionnels très travaillés et parfaitement crédibles, touche au coeur de certaines imperfections (voire pire) de notre société actuelle, d'une façon certes très didactique mais toujours très juste, et fait passer un superbe message de tolérance et de dialogue. Un tout bon moment de lecture !