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Critique de HordeDuContrevent


Kull Wahad ! Me restent de mon voyage quelques mots…traduisez « je suis bouleversée »…Revenue en effet d'un voyage spatio-temporel certes très prisé mais qui n'en reste pas moins époustouflant. Destination : Arrakis, troisième planète du système de Canopus. Plus connue sous le nom de Dune. Propulsée autour de l'an 10200, la Terre reste le berceau des religions primitives et l'espace, constitué de ses multiples systèmes solaires est connu, exploité, habité. Étonnamment, le niveau technologique n'est pas si développé suite à une ancienne croisade lancée contre les ordinateurs et l'intelligence artificielle.

De cette épopée écologique, politique et religieuse, il me reste mille et une sensations. J'ai du mal à atterrir…

J'ai vu les dunes de sable couleur de biscuit, mer de vagues figées sous la lune, plis de sable sur plis de sable se détachant du ciel bleu. Ce paysage de l'infini, comme peut l'être le paysage marin, est propice à la méditation, à la vie intérieure, au cheminement. Les dunes, à la fois toutes semblables et uniques, en constante évolution, sont l'écho de nos pensées, insaisissable et changeantes. Paysage rude qui nous promet en filigrane une quête, comme le fait le vent dans la Horde du Contrevent, j'aime ces mises à l'épreuve proposée par le décor d'une histoire. J'ai vu également les yeux bleus du peuple des sables, complètement bleus, sans le moindre blanc, leur sang étant saturé par le Mélange d'épices. Peau tannée tel un cuir usé, corps déshydratés et yeux bleus, tels furent mes hôtes.

« Jamais il n'avait imaginé qu'il pût y avoir quelque chose d'aussi beau que cet horizon rouge, tourmenté, ces falaises d'ocre et de pourpre. Par-delà le terrain de débarquement, là où la rosée de la nuit avait apporté la vie aux graines hâtives d'Arrakis, il découvrait maintenant des lagunes de fleurs rouges sur lesquelles se posait une trame de violet (…) Puis il aperçut les silhouettes humaines qui se déplaçaient dans les champs de fleurs et qui les balayaient de leurs étranges outils en forme de faucilles. Des ramasseurs de rosée. L'eau était si précieuse ici ».

J'ai senti l'odeur de cannelle émise par cette fameuse épice présente dans le sable. Cette « épice des épices » dont Arrakis constitue l'unique source est utilisée surtout pour ses qualités gériatriques dans l'univers, c'est un prolongateur de vie, et provoque une légère accoutumance voire devient très dangereuse dans le cas d'une absorption importante. Je retiens également avec force l'odeur des maisons souterraines du peuple des sables, odeur si caractéristique, mélange écoeurant de sueurs, de renfermé et de cannelle. Une odeur douceâtre synonyme de foyer. de vie en communauté. J'ai senti les effluves chaudes de la verveine des sables et du buisson créosote.

J'ai entendu le crissement du sable à l'approche des vers des sables aux dimensions colossales, figurez-vous certains font 400 mètres de long ! Ils engloutissent alors leurs proies sans distinction de leur gueule de 80 mètres de diamètre aux dents courbes scintillantes et à l'haleine d'épice…A leur approche des cascades se forment, des montages se déplacent. J'ai entendu avec étonnement et émotion le silence de la marche des sables, cette marche qui vise à imiter les sons du vent sur le sable afin d'éviter d'attirer les vers et que seul le peuple du désert maîtrise…symbole fort, l'humain doit imiter la nature s'il veut survivre et non la soumettre…

« C'était un son que l'on ne pouvait oublier, lorsqu'on l'avait entendu une fois. « Un ver », murmura Paul. Il apparut sur leur droite, avec une majesté sereine. Une dune cheminant entre les dunes, traversant leur champ de vision. Droit devant eux, elle s'éleva un peu, rejetant du sable comme la proue d'un navire rejette de l'eau. Puis cela disparut sur la gauche. Et le sifflement s'estompa, mourut ».

J'ai gouté à l'eau fade de mon distille, ma combinaison faite d'un tissu dont la fonction est de récupérer l'eau d'évaporation de mon corps et de mes déjections organiques. L'eau ainsi recyclée est recueillie dans des poches et peut être à nouveau absorbée à l'aide d'un tube. Eau tiède au goût douceâtre, elle s'est avérée être finalement très désaltérante. J'ai mangé un mélange de chair d'oiseau et de céréale, liées de miel d'épice et enveloppées dans une feuille.

J'ai tremblé lors de l'épreuve du Gom Jabbar, épreuve visant à tester l'humanité d'une personne par une douleur extrême, Paul en l'occurrence au début du roman. Elle consiste à soumettre la main à des aiguilles empoisonnées, toute tentative de retrait de la main entrainant la mort. Tremblé à la vue des sanguinaires Sardaukar, anciens prisonniers devenus militaires.

J'ai compris, je crois, les tensions politiques entre les grandes Maisons telles que les Harkonnens ou les Atréides, l'Empereur et la Guilde, cette dernière a notamment le monopole des transports interstellaires. Tripode dont les ambitions politiques sont entravées par les Fremens, le peuple du vent de sable qui a réussi à s'adapter aux conditions extrêmes du désert, et dont l'objectif suprême mais très lointain est de faire revenir l'eau, les plantes sur Arrakis, objectif écologiques en opposition à ceux, plus dictés par le pouvoir et l'exploitation de l'épice, de la Tripode. Un peuple libre de toute règle impériale. Les ambitions politiques de la Tripode sont également menacées par l'arrivée de Paul. Jeune homme de quinze ans, fils du Duc de Léto qui vient gouverner sur Arrakis, et de Jessica, de la congrégation des Soeurs Bene Gesserit, il arrive de l'agréable planète Cadalan avec ses parents. Est-il le messie décrit par la légende ? Une prophétie dit en effet qu'il leur viendra un chef, l'enfant d'une Bene Gesserit, qui les conduira à la vraie liberté.

J'ai été étonnée, je dois le dire, par la teneur très religieuse du roman, par la façon remarquable qu'a Franck Herbert de nous montrer l'évolution de Paul, tout d'abord enfant de 15 ans au coeur pur, à la grande maturité, dotés de dons manifestes de prescience, du sens aigü de l'observation grâce à l'éducation donnée par sa mère, Jessica ; Paul qui va devenir Duc à la mort de son père, puis Muad-dhib au sein des Frémens auprès desquels il s'intègre et se fond, enfin Lisan al-Gaib, guide religieux dont le destin, on le pressent, est le Jihad. Impossible de ne pas penser aux guerres saintes, à la transformation des personnes en créatures totalement aveuglées et embrigadées par leur chef. L'épice serait la clé des pouvoirs prophétiques de Muad'Dib et, immergé dans le désert, les visions de Paul éclosent soudainement et de façon fulgurante tout au long du roman telles des mirages de chaleur, ondulants et vibrants, flous et fascinants.
Paul est entrainé malgré lui, par la ferveur religieuse de son peuple, et devra accomplir ce qui est. On le voit devenir de plus en plus dur étant entendu que la répression favorise l'épanouissement des religions. Cet aspect là du roman est d'une grande subtilité.

« Quand la loi et le devoir ne font qu'un sous la religion, nul n'est plus vraiment conscient. Alors, on est toujours un peu moins qu'un individu ».

Nous pouvons souligner également que Paul, devenu Fremen, constitue également je pense une menace à la grande ambition écologique de ce peuple. Les liens entre écologie et forces religieuses sont interrogées, balancier allant de la célébration sacrée de la nature au fanatisme à cause duquel, nous le pressentons, la nature peut être saccagée… « Qui peut détruire la ressource la contrôle » ne cesse de dire Paul. Est-ce là la vraie liberté de la prophétie ?

Enfin, j'ai été très touchée par ce peuple Fremen qui vit en symbiose avec son milieu, qui a un objectif écologique à très long terme (il est conscient que ses efforts ne porteront leurs fruits que dans huit générations) troublant à découvrir aujourd'hui. Cela invite à la réflexion et à l'humilité.

J'ai profondément aimé ce voyage dépaysant, toutes ces sensations, ces visions, ces odeurs, ces bruits, qui constituent un univers incroyable. Ma crainte initiale quant à la complexité liée à la dimension politique du récit s'est vite évanouie, même si les relations sont subtiles et jamais manichéennes, elles sont bien expliquées. Les chapitres s'enchainent avec fluidité et chaque chapitre débute par un petit extrait de la légende du Muad' Dib telle qu'elle a été retenue et écrite, extrait empli de préceptes et de leçons de sagesse. C'est enrichissant et apporte au récit une réelle profondeur et une certaine solennité.

Le « tu ne tueras pas » est remplacé, dans la Bible catholique Orange en vigueur, par « Point ne déformeras l'âme. » Cependant, Franck Herbert, vous m'avez quelque peu déformé l'âme avec votre chef d'oeuvre. J'en retiens en moi une essence odorante unique et inimitable dont j'ai finalement bien du mal à expliquer.

« le corps, apprenant qu'une chose est bonne pour lui, interprète favorablement le parfum. Et cette chose, tout comme la vie, ne peut être vraiment synthétisée. »

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