Enfant, j’avais vite compris le pouvoir de mes colères avaient sur mon entourage, plus tard, l’effet des mots méchants ou blessants. Ils étaient une arme, la seule que je possédais et dont je constatais l’efficacité. En réalité, je ne savais pas comment me comporter ou m’exprimer.
Je pense à moi. Ce ne sont pas des mots qui m'ont étouffée mais le silence des jours et des heures.
Mon unique ambition est de survivre.
Aurais-je vécu prisonnière et réussi à m'évader ? Mais pour aller où ? Dans ce lieu, il n'y a que le néant, le silence et le phare.
Anne m'attendait. Je me suis assise à côté d'elle.
- Vas-y, ai-je dit, raconte-moi la suite de ta belle histoire d'amour.
Combien d’êtres abandonne-t-on ainsi au cours d’une vie ? Pourquoi se remettait-on si bien de certaines disparitions comme si nombre de personnes ne laissaient parmi les survivants qu’un fugitif souvenir ? N’aimait-on que son propre désir ?
Mais tout souvenir est frelaté. La vérité toute nue empêcherait de vivre.
- Nous ne quitterons jamais cette île, avait seulement prononcé Mathilde.
Sèchement Anne avait rétorqué ;
- Camille et toi pouvez moisir ici pour l'éternité. Moi, je me sauverai.
- Comment feras-tu ?
- Avec son aide.
Du doigt la jeune femme avait désigné le phare qui surgissait derrière une masse rocheuse.
Le phare n'est pas habité.
Le rire d'Anne avait eu une intonation de défi.
- Vraiment ?
De ce paysage rude ne se dégageait pas de tristesse mais un profond sentiment de solitude, la certitude d'être sur une terre étrange, sans nom, absente des cartes géographiques, un lieu qui engloutissait ou protégeait, un endroit de passage.
Je pense à moi. Ce ne sont pas des mots qui m'ont étouffée mais le silence des jours et des heures. Lorsque je me suis laissé entrainer par le ressac qui me jetait sur les rochers, lorsque j'ai senti la douleur et vu mon sang, j'ai compris que j'existais.
La vérité toute nue empêcherait de vivre.