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Citations sur Putain de mort (13)

Parfois, on restait cloué sur place, plus de repères et personne en vue, en pensant, Bordel où suis-je?, tombé dans un point de contact contre nature entre l'Est et l'Ouest, un couloir californien taillé, acheté, brûlé profondément dans l'Asie, et après on ne savait plus pourquoi on y était allé. Par définition c'était une question d'espace idéologique, on était là pour leur donner le choix, le leur apporter comme Sherman a porté la bonne parole dans toute la Géorgie, avec, d'un bout à l'autre, les indigènes pacifiés et la terre brûlée. Il y avait une telle concentration, une telle densité d'énergie, américaine et surtout adolescente, que si on avait pu en faire autre chose que du bruit, de la souffrance et des ravages, on aurait pu illuminer l'Indochine pendant mille ans.
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Au petit matin du 7 février, quelques chose de si horrible s'est passé dans le secteur de Khe Sanh que même ceux d'entre nous qui en ont entendu parler à Hué ont dû laisser un moment de coté leur peur et leur désespoir pour assimiler cette horreur et en quelque sorte lui payer tribut. C'était comme si le rêve le plus terrifiant que n'importe lequel d'entre nous avait fait sur la guerre s'était réalisé, était venu anticiper des cauchemars assez ignobles pour vous réveiller en tremblant. Et personne n'a été capable d'avoir le sourire amer et secret du survivant, réaction presque obligée à l'annonce d'un désastre. C'était trop terrible pour ça.
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Un jour, il est arrivé une lettre d’un éditeur anglais qui lui demandait d’écrire un livre avec pour titre provisoire Fini la guerre et pour but d’ôter une fois pour touts « tout prestige à la guerre ». Page n’en revenait pas.
« Ôter tout prestige à la guerre ! » Je veux dire, comment bordel ! Est-ce qu’on peut faire ça ? Allez donc faire disparaître l’attrait d’un Huey, le prestige d’un Sheridan… Tu peux, toi, effacer le charme d’un Cobra ou d’une défonce sur China Beach ? C’est comme de prendre son prestige à une M-79, d’enlever son charme à Flynn. » Il a montré du doigt une photo qu’il avait prise, Flynn en train de rire comme un fou (« On gagne », disait-il) avec un air de triomphe. « Il n’y a rien de mal à ça, mon gars, n’est-ce pas ? Vous laisseriez votre fille épouser ce garçon ? Ohhhh, la guerre vous fait du bien, on ne peut pas enlever tout attrait à ça. C’est comme de vouloir enlever son attrait au sexe, ou aux Rolling Stones. » Il en restait sans voix, et agitait les mains dans tous les sens pour souligner la démence de ce qu’on lui demandait.
« Je veux dire, tu le sais bien, on ne peut pas faire ça ! » Nous avons tous les deux haussé les épaules en riant, et Page est resté un instant pensif. « Quelle idée ! a-t-il dit. Ohhh, que c’est drôle ! Enlever son foutu charme à une foutue guerre ! »
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Dans les mois suivant mon retour, les centaines d’hélicoptères que j’avais pris se sont amalgamés jusqu’à former une sorte de métacoptère collectif, c’est ce que j’avais alors de plus sexy dans le crâne : ce qui venait détruire ou sauver, fournir ou ruiner, la main droite et la main gauche, quelque chose d’agile, de facile, de malin, d’humain ; l’acier brûlant, la graisse, les sangles en toile saturée de jungle, la sueur qui refroidit et se réchauffe encore, une cassette de rock and roll dans l’oreille et la main sur la mitrailleuse de la porte, l’essence, la chaleur, la vitalité et la mort, la mort elle-même à peine une intruse. Les hommes d’équipage disaient qu’une fois qu’on avait transporté un mort il restait toujours là, il volait avec vous. Comme tous les combattants ils étaient incroyablement superstitieux, ils dramatisaient tout, mais (je le savais) c’est horriblement vrai : s’exposer de près aux morts vous rend sensible à la force de leur présence et fait naître en vous de longs échos, très longs. Il y a des gens si délicats qu’un regard suffit pour les balayer, mais même les troufions abrutis jusqu’à l’os avaient l’air de sentir qu’il leur arrivait quelque chose de plus, quelque chose de fatal.
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Mais quelle histoire il m’a racontée ! Aussi partiale et aussi vibrante que toutes les histoires de guerre, il m’a fallu un an pour la comprendre :
« Une patrouille est partie dans la montagne. Un homme est revenu. Il est mort avant de nous dire ce qui s’était passé. »
J’ai attendu la suite, mais ce n’était pas ce genre d’histoire. Quand je lui ai demandé ce qui s’était passé, il m’a juste regardé avec l’air de me plaindre, de dire que, putain, il n’allait pas perdre son temps à raconter des histoires à un con comme moi.
Pour sortir de nuit il se peignait le visage, une vision de terreur, pas comme les visages maquillés que j’avais vu quelques semaines avant à San Francisco, l’autre extrême du même théâtre. Il passait des heures debout dans la jungle aussi calme et anonyme qu’un arbre mort et que Dieu aide ses adversaires s’il n’y en avait pas au moins une demi-section – c’était un bon tueur, un de nos meilleurs.
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Pour les sorties de nuit les médecins vous donnaient des pilules, la Dexedrine et son haleine de serpents morts gardés trop longtemps dans un pot. Moi je n’en ai jamais eu besoin, un léger contact ou n’importe quel bruit du même genre m’excitait à haute dose. Quand j’entendais le moindre son hors de notre petit cercle crispé je flippais en priant Dieu de ne pas être le seul à l’avoir entendu. Deux rafales dans la nuit à un kilomètre de là et j’avais un éléphant à genoux sur la poitrine, il fallait que j’aille chercher l’air jusque dans mes bottes. Une fois j’ai cru voir une lueur bouger dans la jungle et je me suis surpris à presque murmurer : « Je ne suis pas prêt à ça, je ne suis pas prêt à ça. » C’est là que j’ai décidé de laisser tomber et de faire autre chose de mes nuits. Et je n’allais pas aussi loin que ceux qui tendaient des embuscades ou que les Lurps, les patrouilles de reconnaissance en profondeur, qui sortaient toutes les nuits pendant des semaines et des mois, allaient ramper près des camps de base VC ou le long des colonnes des Nord-Vietnamiens. Déjà je vivais trop près de mes os, je n’avais plus qu’à l’accepter. En tout cas je gardais les pilules pour plus tard, pour Saigon et la déprime horrible que j’y trouvais chaque fois.
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Saïgon, Cholon et Ðanang avaient des vibrations si hostiles qu'on se sentait visé par une arme chaque fois qu'un regard se posait sur vous, et tous les jours des centaines d'hélicos tombaient du ciel comme de gros oiseaux empoisonnés.
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Deux rafales dans la nuit à un kilomètre de là et j'avais un éléphant à genou sur ma poitrine.
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Dans la jungle, il y avait des endroits où il fallait tout le temps garder une cigarette allumée, qu'on fume ou pas, pour empêcher les moustiques de s'engouffrer dans votre bouche.
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Des camions, des jeeps et des milliers de motos passaient dans la rue, une petite fille avec une jambe atrophiée courait dans tous les sens comme une libellule sur ses béquilles en bois pour vendre des cigarettes. Elle avait le visage d'une petite dakini, si belle que ceux qui avaient besoin de ne pas s'attendrir avaient du mal à la regarder.
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