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Critique de vibrelivre


L'art de l'oisiveté
Hermann Hesse

L'oisiveté est à entendre dans son sens classique d'otium. On profite de son temps libre pour faire les choses que l'on veut, qui nous rendent noble, et non ignoble, c'est-à-dire que ces choses-là nous élèvent et nous rendent heureux.
Ce sont des causeries (presque d'aristocrates, on n'a pas à travailler, même si elles réclament des efforts) des Kleine Freuden, des petites joies que j'ai trouvées personnellement grandioses, mais des causeries polémiques, des chroniques pour pester contre la non-responsabilité que prônent les gens.
Hermann Hesse peste avec élégance, humour et sensibilité. Quelle merveille que son style qui coule, et ne bute sur aucun obstacle. Aisance et harmonie. C'est le bon rythme, le bon mot, l'intelligence du sujet, et celui-ci est multiple. Cependant l'eau a coulé en chantant sur les rochers, et son chant résonne longtemps dans notre esprit.
Ces causeries ont été écrites entre 1899 et 1959, mais le temps ne les marque pas. Classiques, elles ont atteint l'intemporel. Hesse dit l'importance de la joie qui même modeste revigore, le devoir de bonheur, car quand un homme est heureux, il est bon, et Hesse n'hésite pas à changer le commandement divin, aime toi comme si tu étais ton prochain. Ainsi l'homme heureux ne se ralliera pas à des slogans hargneux au nom desquels il commettrait les pires atrocités. La morale affaiblit l'homme. Il est bon de se recueillir, dit Hesse, de faire surgir des profondeurs, alias l'inconscient, ce qui s'y trouve. Un paysage merveilleux, celui qu'il contemple de son appartement du Tessin, la beauté et l'amour des zinnias, se sentir en communion avec un Tout, se tourner vers l'autre avec curiosité, ainsi Hesse adresse-t-il un message aux soldats de 14, vous rendra riche intérieurement, vous fera vivre pleinement vos journées, vous fera espérer dans la boue des tranchées en un avenir meilleur. Combien de journées à demi vécues tuent l'homme. Il faut prendre exemple sur l'Oriental et sa sagesse.
Si l'on révise ses leçons classiques avec Hesse, on goûte aussi à son humour qui grince, quand un auteur qui a commis un livre médiocre et qu'il en a conscience, est auréolé d'un succès mirobolant, alors que sa poésie qu'il juge bonne, est privée de lecteurs ; ou quand Hesse lui-même, en excursion dans une ville, assiste le soir incognito à un récital de ses poèmes de jeunesse appréciés faussement d'après leur auteur par le public ; et Hesse gronde quand au pays des Massagètes dont les guerriers vainquirent le Grand Cyrus, sous prétexte d'être un pays chrétien, et parce que le terrain promet d'être riche en ossements de mammouths massagètes, on détruit un monument antique splendide érigé à la gloire du fils de la reine Tomyris.
Hesse dit également le rôle de l'écrivain qui n'a pas à commenter l'actualité, dont il n'a qu'une appréhension partielle, et ce qu'est un artiste, je cite :
-Les oeuvres de qualité naissent de la force de caractère des artistes, de leur conscience de la nécessité, de la volonté de se défendre et de lutter contre le nivellement culturel imposé par l'époque.
-l'artiste est celui qui éprouve le besoin et la nécessité de se sentir vivre et grandir, de savoir où il puise ses forces et de se construire à partir de là en suivant des lois qui lui sont propres.
Hesse se fait moraliste avec La mise à mort : « Mais il en va autrement s'agissant d'un homme qui a une foi différente de celle des autres. le peuple assiste à son exécution sans aucune pitié, et son corps est jeté aux chiens. »
Mais ce que j'apprécie le plus chez Hesse, ce sont ses récits, ainsi Une sonate, qui dit la nécessité pour une femme mariée de renoncer à ses illusions de jeunesse, et de jouir de la musique seule, puisque son époux est trop grossier pour la saisir, et l'admirable Gubbio, où le narrateur se demande pourquoi il éprouve le besoin de voyager. Il lui fallait venir dans cette ville singulière de montagne, d'une architecture hardie qui traduit une détresse sans borne ; son Palais des Consuls coupe le souffle de son regardeur, et l'on a la preuve que le travail et la passion d'un homme ne sont pas vains. A côté de cette ville, s'étend une plaine verdoyante. Il lui fallait aussi gravir la montagne, du haut de laquelle la ville semble petite. le narrateur pourrait contempler le spectacle grandiose, mais il est attiré par le gouffre. le désir de voyager qui le possède n'est sans doute pas inutile, et le révélera à lui-même. Hesse décrit bien l'ambiance de la ville, qui est dure à se donner, et exigeante, la difficulté angoissante de la pente. Qu'exige-t-elle vraiment ? Là est la question. Ce récit nous laisse devant l'énigme.
Je vois Hesse comme un romantique classique, donc comme un Allemand dans l'âme, épris de spiritualité (Nietzsche a beaucoup à nous apprendre, lui, un vrai romantique), mais aussi un créateur visant un idéal de perfection, sensible à la réalité qui l'entoure, et qu'il peut affiner.
Hesse nous fait réfléchir. Certes il a une certaine idée de la culture, la grande musique, ses réticences envers la virtuosité du violoniste et de la cantatrice dont l'immense talent pourrait servir une musique médiocre, les bons auteurs, mais c'est un homme simple, sincère, optimiste qui reconnaît qu'il y a toujours de bons livres ; c'est un homme à écouter auprès de qui on se sent vivre et grandir.
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