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Critique de raton-liseur


Un gros livre, à la structure un peu déroutante : d'abord une biographie d'un personnage fictif, le Magister Ludi Joseph Valet, puis deux parties courtes contenant les écrits de jeunesse de ce même personnage, des poèmes d'abord puis des biographies imaginaires (étrange mise en abyme...).
Le livre fait montre d'un étalage de connaissances dans des domaines aussi variés que la musique, la religion hindoue ou la philosophie. Peut-être n'ai-je pas perçu toutes les subtilités et les sous-entendus, mais il ne m'a pas semblé que l'absence de connaissances approfondies dans ces domaines soit un obstacle à la compréhension du livre et au plaisir, un peu ardu et suranné certes, de sa lecture.
Dernier livre écrit par Hermann Hesse, cette oeuvre se veut probablement une sorte de testament. L'aboutissement de sa réflexion sur le sens à donner à sa vie, sur le meilleur usage que l'on puisse faire de son temps sur terre. Même si c'est la somme d'une vie de réflexion, il est intéressant de voir que le livre (et donc son auteur ?) ne tranche pas. Il n'y a ni thèse radicale ni slogan. Peut-être le plus important est-il de trouver sa propre voie, son propre équilibre, et de s'y tenir, de trouver et d'accepter sa place dans le monde. Si c'est bien le message de ce livre, c'est une philosophie finalement assez proche du Tao que nous propose Hermann Hesse : trouver sa place dans le flot du monde et se laisser porter plutôt que lutter inutilement.
Sous cette philosophie qui peut paraître fataliste à l'aune de la culture occidentale, on sent aussi une certaine désillusion dans le regard qu'Hermann Hesse porte sur le monde qui l'entoure, peut-être l'influence de la chape de plomb qui pesait sur la société allemande lors de la montée du Nazisme (le livre a été publié pour la première fois en 1943 en Suisse). J'ai le sentiment, peut-être erroné, que pour Hermann Hesse, la première moitié du XXème siècle a été marquée pas une décadence à la fois intellectuelle et morale, et il semble en être profondément affecté. (Cela me renvoie à un sentiment que j'ai éprouvé à la lecture du Tour du Malheur de Joseph Kessel, bien que les deux livres soient très différents l'un de l'autre tant dans leur écriture que dans leur propos).
C'est probablement cette désillusion qui a amené Hermann Hesse à se réfugier dans un futur rêvé (bien que pas idéal). le Jeu des Perles de Verre se déroule en effet dans une province d'Allemagne fictive, la Castalie, probablement au cours du XXIIème siècle, malgré une atmosphère digne du XIXème. Un peu comme un fragile âge d'or retrouvé. Ce flou temporel fait de ce livre un roman d'anticipation lors de sa parution (l'après-guerre), et une sorte d'uchronie aujourd'hui (comment nous aurions pu reconstruire le monde si nous avions tiré les enseignements des innombrables guerres du siècle passé).
Le Jeu des Perles de Verre est comme une personnification de cet âge d'or. Il rassemble beaucoup des thèmes chers à Hermann Hesse : la notion d'universalisme, l'équilibre entre art et science, l'excellence, la notion de service... C'est aussi une tentative pour réconcilier notre culture européenne et la fascination pour les cultures asiatiques « découvertes » par les intellectuels du XIXème siècle, avec l'idée de renouveler la vitalité de notre culture par ces nouveaux apports.
Ne me demandez pas de vous expliquer les règles de ce jeu qui donne son titre au livre. Après toutes ces centaines de pages, je ne sais toujours pas ce que c'est. Tout sauf un jeu... Les parties sont écrites à l'avance, composées plutôt, comme une partition de musique ; il y a plusieurs joueurs mais rien n'indique qu'ils soient adversaires... Et le fait de dire que « jeu des perles de verre » est l'un des noms du jeu de go ne fait que brouiller un peu plus les pistes, car n'est pas un « simple » jeu de stratégie. Est-ce d'ailleurs même un jeu ? Ce jeu est plus un succédané de rituel religieux dans l'Ordre castalien, qui, lui, est laïc. C'est aussi la quintessence de cet Ordre centré sur l'universalisme du savoir, sur l'étude et la recherche de correspondances entre des disciplines aussi diverses que la musique et les mathématiques. La pratique de la méditation y est aussi centrale.
Ce jeu est donc plutôt une métaphore d'un idéal de vie, guidé par une grande rigueur intellectuelle et une volonté d'exemplarité. Il peut aussi symboliser la recherche d'une vérité unique ou unificatrice du monde. Et la biographie de ce fictif joueur est pour Hermann Hesse une réflexion sur la place qu'un homme a dans le monde. Il y a un parallèle intéressant avec la philosophie du Tao ou avec la notion de destruction / reconstruction de l'hindouisme (telle que personnifiée par Shiva), et il est intéressant de voir comment ces notions, apparemment si étrangères voire antagonistes à notre culture occidentale, sont incorporées, digérées, réarrangées.
En conclusion, le Jeu des Perles de Verre est un livre à lire plutôt comme un document que comme un bon roman qu'on lit avec gourmandise sous la couette, mais c'est un exercice intéressant, qui me donne envie de relire des livres de mon adolescence, comme Siddharta ou le Loup des Steppes.
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