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Critique de Antyryia



Les miracles du bazar Namiya est probablement l'un des romans les plus envoûtants qu'il m'ait été donné de lire.
Dramatique, féérique, intrigant, nostalgique, il a de bout en bout cet aspect merveilleux qui n'est pas uniquement du à la touche de fantastique qui vient saupoudrer ses histoires de mystères.
"Un tel conte de fées était-il possible ?"

Ses histoires en effet parce que s'il s'agit bien d'un roman, ce dernier est composé de cinq parties très différentes narrant chacune un dilemme particulier adressé au bazar Namiya.
Yoji Namiya, le gérant âgé de la boutique, a en effet commencé à répondre le plus sérieusement possible à des questions orales pourtant mesquines jusqu'au jour où il recevra des demandes de conseils bien plus sérieuses.
Etant donné la réflexion demandée et la délicatesse de certains sujets abordés, il choisira d'y répondre en échangeant des lettres tout en permettant à son interlocuteur de garder l'anonymat.
La première d'entre elles émanera du jeune Waku Kosuke dont les parents s'apprêtent à prendre la fuite en 1970 pour échapper aux agents du recouvrement. Ce fan des Beatles qui signera ses lettres Paul Lennon ne sait pas du tout quoi faire, piégé par les mauvais choix financiers de son père qui ne pense qu'à sauver sa peau. Doit-il suivre aveuglément ses parents ? Les fuir ? Les dénoncer ?
Une autre demande émanera d'une femme se faisant appeler Green River. Celle-ci est enceinte d'un homme marié et père de famille et si l'avortement parait la solution la plus évidente, c'est aussi sa dernière chance d'avoir un enfant.
Yoji Namiya fera toujours de son mieux pour répondre le plus sincèrement possible aux questions délicates qui lui sont posées. C'est même devenu un sacerdoce. Des correspondances s'établissent, Namiya ayant parfois besoin d'en savoir davantage pour aiguiller au mieux ces clients d'un autre genre.
"A force de recevoir des demandes de conseils, j'ai compris une chose. Les gens qui m'en envoient ont souvent déjà décidé ce qu'ils allaient faire. Ils me demandent conseil pour s'assurer qu'ils ont pris la bonne décision."
Le bazar finira cependant par fermer ses portes, le vieil homme commençant à douter de la justesse de ses conseils, écrasé par le poids de la responsabilité.
Et si ses réflexions avaient causé du tort ? Et si involontairement il avait fait davantage de mal que de bien autour de lui ?
Il aura l'occasion de vérifier si ses doutes étaient ou non légitimes.

Ce n'est cependant pas la fin du bazar.
Bâtiment désormais vétuste et abandonné, trois jeunes cambrioleurs y trouveront refuge la nuit suivant leur larcin dans la nuit du 13 au 14 septembre 2012.
Ils recevront une première lettre manuscrite par la fente du rideau métallique. Une jeune athlète, le lapin de la lune, hésite entre s'entraîner pour les jeux olympiques qui auront lieu l'année suivante ou demeurer auprès de son petit ami atteint d'un cancer incurable.
La même nuit ils recevront deux autres demandes de conseil : Un apprenti musicien parti à Tokyo qui ne parvient pas à percer dans la profession et qui hésite de ce fait à reprendre la poissonnerie de son père. Et enfin une femme qui veut se réaliser financièrement mais à qui on ne donne aucune chance dans un emploi de bureau et qui a choisi de devenir entraîneuse dans le monde de la nuit mais ne sait comment l'annoncer à ses proches.
Les trois voyous, se sentant enfin utiles, rédigent des réponses souvent très franches et directes avant de nuancer quelque peu leurs propos pour savoir à qui ils ont affaire.
"Croire que des nuls comme nous peuvent donner des conseils est idiot."
Bien vite, ils se rendront compte que ces demandes émanent toutes du passé.
Que ces courriers ont fait un bon miraculeur de trente ans dans l'avenir, à leur époque.
Et qu'ils sont en possession d'éléments précieux leur permettant de rédiger des réponses certaines davantage que de simples avis.
Mais sont-ils en droit d'essayer de sauver une vie condamnée dans leur réalité ?
Peuvent-ils évoquer le boycott des jeux olympiques de Moscou en 1980 par le Japon ? Parler de l'évolution économique de leur pays sans risquer de nuire à l'histoire ou de créer un paradoxe temporel ?
Quels conseils prodiguer à des personnes du passé sur des évènements qui se sont d'ores et déjà produits ?

Avec le bazar Namiya, c'est le temps qui est le véritable personnage principal de ce poignant roman fantastique.
Le roman ne suit aucune chronologie ( ce serait de toute façon impossible avec la présence de cette fenêtre temporelle ) mais les évènements qui se déroulent sur près de quarante ans sont souvent associés à L Histoire avec un grand H afin de permettre au lecteur situer l'époque des évènements : Exposition universelle d'Osaka, séparation des Beatles, boycott des jeux olympiques, Séisme, assassinat de John Lennon, essor et effondrement de l'économie japonaise, avènement d'Internet etc ...
Quant aux bonds dans le futur ou dans le passé des lettres, il apporte davantage une touche de merveilleux que de science-fiction à proprement parler.
La boucle temporelle dont il est question dans la cinquième et dernière partie est d'une rare finesse, rappelant les paradoxes des voyages temporels.
Quant au bazar, il va justement connaître une nuit lors de laquelle les minutes ne s'écouleront pas.
"Tant que la porte arrière est fermée, le temps ne passe pas."
"J'ai l'impression qu'il y a un écart temporel entre l'intérieur et l'extérieur de la maison."

Mais ce qui donne tout son charme au roman, c'est probablement son kaléidoscope de personnages qui se croisent aux moments les plus inattendus.
Les cinq histoires forment bel et bien un tout, une fresque qui ne se dévoile que progressivement et prenant tout son sens au fur et à mesure.
Comme si chaque protagoniste, principal ou secondaire, passé ou présent, n'était que le fragment d'une gigantesque mosaïque.

Les miracles du bazar Namiya est un livre résolument bienveillant. Sans dégouliner de bons sentiments ni être exempté de tragédies, il demeure optimiste et redonne un peu foi en l'humanité.
La famille, l'ambition, l'amour, l'honneur ou le sacrifice sont autant de thèmes abordés dans ce roman d'autant plus dépaysant que la culture japonaise demeure très différente des préoccupations occidentales.

Au Japon ils ont le bazar Namiya, en France on a Nabilla Benattia.
Qui pourra certainement vous conseiller en matière de médiatisation et de cosmétiques.
Mais pour les dilemmes les plus cruels, mieux vaut trouver un autre interlocuteur pour vous conforter - ou pas - dans votre choix.
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