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EAN : 9782370550187
591 pages
Le Tripode (06/03/2014)
4.42/5   265 notes
Résumé :
1941. C'est la nuit permanente sur le ghetto de Prokov. Au fil des jours, égaré dans un décor apocalyptique, Ranek lutte pour sa survie.

Réduits à des ombres, comme s'ils n'avaient plus ni âme ni corps, les personnages baignent dans le brouillard. pourtant, les scènes d'amour hâtives, de solidarité ou de naissances au milieu du ghetto montrent que, même plongée dans l'horreur, l'humanité s'accroche.
Grande fresque de la cruauté et du grotesque,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (45) Voir plus Ajouter une critique
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L'histoire est celle de Ranek, un jeune juif roumain déporté, comme tant d'autres en 1941 en Ukraine. L'histoire est celle d'un homme parmi tant d'autres qui dut se cacher pour échapper aux rafles allemandes, luttant pour trouver un abri ou dormir à l'abri du froid et inventant chaque jour de nouvelles ruses pour trouver de quoi manger. Homme étant réduit à l'état de bête, il en vient à dépouiller les cadavres, à attendre désespérément que quelqu'un meure, pourvu que ce ne soit pas lui, afin de lui prendre les quelques vivres ou vêtements que celui-ci avait sur lui. Ranek a trouvé un endroit dans ce que l'on appelle "L'asile de nuit" dans le quartier de la Pouchkinshaïa dans le ghetto de Prokov. Mais là aussi, les places sont chères et certains leaders ne se privent pas pour les revendre au meilleur prix dès qu'il y en a une de libre, à savoir dès que quelqu'un rende l'âme. Ranek est loin d'être un homme honnête, d'ailleurs pouvait-t-il encore y avoir des gens bons à cette époque alors qu'ils ne savaient même pas s'ils allaient voir le lever du soleil. Cependant, dès qu'il retrouve son frère Fred et sa belle-soeur Déborah, qu'il croyait morts depuis longtemps, il va tout faire pour leur être d'une aide quelconque, aide misérable puisqu'il doit d'abord penser à sa propre survie. Aussi, n'a-t-il pas d'état d'âme pour les autres, en étant réduit à arnaquer parfois sa belle-soeur pour avoir un peu plus de quoi manger. Car la faim est le pire des châtiments que hommes, femmes et enfants doivent subir dans ce roman très noir et très dur. Aussi, cette dernière peut parfois rendre fou et pousser les hommes, même les plus bons, à commettre des actes atroces. Des femmes prêtes à vendre leur corps pour un quignon de pain, les hommes sans cesse à l'affût d'un morceau de chair fraîche pour satisfaire leurs besoin...tout cela se mêle dans une étrange atmosphère chaotique.

Roman virant souvent à la scatologie (je crois que c'est ce qui m'a le plus indisposé dans la lecture de ce dernier) mais sans grossièreté, étant donné que l'auteur ne fait que décrire la stricte et malheureusement triste réalité. En lisant la courte biographie de l'auteur en fin d'ouvrage, l'on apprend que celui-ci s'est inspiré de sa propre vie pour écrire "Nuit" et, une fois que l'on sait cela, on ne peut pas rester insensible à tout ce que l'on vient de lire. Un roman qui m'a parfois donné la nausée, je l'avoue, mais vraiment bouleversant. Un roman dont on ne peut pas ressortir indemne mais pourtant...c'est tellement vrai ! Cependant, il y a aussi des passages magnifiques où l'humanité reprend le dessus et ceux-ci sont accueillis par le lecteur comme une bouffée d'air pur. A découvrir !
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Un livre fascinant et dérangeant sur le retour de l'homme à la bête primitive au sein du ghetto,pour essayer de survivre.Le meilleur d'entre eux est capable du pire même si parfois une trace d'humanité nous le rend plus aimable .Qu'aurions nous fait à sa place,aurions nous été victime ou bourreau?
Grande fresque de la cruauté et du grotesque,Nuit est considéré comme le chef d'oeuvre de Hilsenrath.
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Dans le ghetto de Prokov, la survie s'organise au jour le jour. Chacun cherche un refuge pour la nuit, car les rafles emportent tous ceux qui sont trouvés dans la rue après le couvre-feu. « Nous envions les morts... et partout, quand sonne l'heure, personne ne veut mourir. Pourquoi tenons-nous tant à la vie ? / Parce que nous n'avons pas perdu espoir. / Si, Déborah, nous avons perdu espoir. » (p. 174) Parmi tous les miséreux, il y a Ranek. Ni plus chanceux ni plus débrouillard qu'un autre, il gagne chaque journée de survie à la force de ses maigres bras et de sa roublardise. Prêt à tout pour une pomme de terre, pour une gorgée de soupe ou une poignée de farine, Ranek se méfie de tous. Dans l'asile de nuit et partout dans le ghetto, la faim et la fatigue conduisent aux dernières extrémités. La solidarité est de plus en plus rare. « On essaie de rester humain... et après ? Qu'est-ce qu'on y gagne ? » (p. 370) Tout s'achète et tout se vend, même la misère et la honte. Dépouiller les morts de leurs maigres biens, jusqu'au plus petit chiffon, c'est toujours une heure de plus gagnée sur la nuit. « Les morts pardonnent aux affamés, et ils pardonnent aux désespérés. » (p. 381)

Dans ce premier roman qu'il a mis plus de 10 ans à écrire, Edgar Hilsenrath a placé beaucoup de sa propre expérience. Lui aussi a connu le ghetto, la faim, le typhus, le froid. Si son roman alimente inexorablement la littérature de l'Holocauste, l'auteur propose une image du Juif débarrassé de son misérabilisme : ici, la victime est prête à tout, à devenir criminelle, cruelle. Bien que bornés par les frontières du ghetto, les juifs de Prokov se rebellent juste en existant et rendent chaque coup, ne serait-ce qu'en crachant. « Mettez-vous ça dans le crâne une fois pour toutes : ne vous occupez pas des autres. Fichez-vous toujours de ce que font les autres, s'ils mangent, s'ils baisent ou s'ils crèvent... Rien à cirer... ici c'est chacun pour sa pomme. » (p. 59)

Le tour de force de ce roman, compris tout entier dans le titre, est de faire de tout le récit une longue nuit, même quand il fait jour. « Une nuit, ça peut être long. » (p. 286) L'aube ne poindra vraiment qu'avec l'ouverture du ghetto et la fin de la guerre. D'ici là, le crépuscule n'en finit pas. Et le temps de la nuit est dilaté par l'angoisse, les souvenirs et les cauchemars : il devient une éternité de peur, de souffrance et d'incertitude. « Tu n'as pas vraiment dormi. Ces pensées ont surgi de ta somnolence. Ces derniers temps, ça t'arrive souvent. Tu ne sais plus distinguer entre les rêves et les pensées. Mais tu n'es pas encore cinglé, juste affamé. » (p. 48) La dernière phrase du roman contient cependant une infinité de possibles et d'espoirs permis par la maternité : le jour ne s'est pas encore levé, mais certains auront la chance de le voir.

Résolument plus sombre que ses romans suivants, Nuit est sans conteste le texte fondateur de l'oeuvre d'Edgar Hilsenrath, dont je ne peux que vous conseiller la lecture. Et si vous cherchez un autre texte immense issu de la littérature de l'Holocauste, lisez À pas aveugles de par le monde de Leïb Rochman.
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« Nuit » d'Edgar Hilsenrath ou Quand la mort d'une illusion ressuscite les morts.

Raconter. Après la Shoah, ce simple mot devint essentiel, et témoigner fut la première forme de lutte contre l'oubli : témoigner comme ils furent assassinés, témoigner comment les bourreaux brisèrent leur humanité.
Les récits se multiplièrent.
Puis le temps passa et l'Histoire retint la gémellité bourreaux-victimes : les Nazis avaient commis un génocide durant lequel six millions d'être humains avaient péri.
Ce symbole fit l'objet de créations artistiques donnant lieu à des morceaux de bravoure, de sensiblerie, ou d'humanité malgré l'horreur l'ambiante. le violon d'Itzhak Perlman de « la Liste de Schindler » est ainsi entré dans l'inconscient collectif comme la bande-originale de la Shoah.
Sans doute l'archet élégant jouant dans notre imagination déraperait-il en une série de fausses notes à la lecture du roman « Nuit » d'Edgar Hilsenrath.
Au contraire de la plupart des témoins écrivains, Hilsenrath a fait le pari de raconter en menant une constante recherche littéraire dans ses oeuvres : rabelaisiennes, farces crues et cruelles, sulfureuses en un mot quand on doit les associer à la Shoah. Les éditions Attila ont depuis peu commencé la publication de ces textes, et l'on attendait depuis longtemps la traduction de « Nacht » lorsque le cultissime et grinçant « Fuck America » sortit, suivi par le loufoque « le Nazi et le barbier ».
C'est un drôle de petit bonhomme de 85 ans que cet Edgar Hilsenrath, clochard céleste à la Bukowski, l'alcool en moins et l'oeil pétillant en plus. Vocation précoce d'écrivain mais reconnaissance tardive ; une vie d'errance, d'Allemagne en Roumanie jusqu'en Ukraine durant la seconde guerre mondiale, puis Israël et les Etats-Unis avec la solitude décrite dans « Fuck america », et enfin, le retour en Allemagne. Malgré ses pérégrinations, il a conservé son air malicieux, même lorsqu'en entretien il évoque ses souvenirs. Il est à l'image de son écriture : distancié du simple témoignage, maîtrisé, audacieux.
« Nacht » ou « Nuit » en français est son chef-d'oeuvre, méconnu en France, auto- censuré en 1964 par sa maison d'édition allemande, tant la lecture en est explosive.
En effet, ses 500 et quelques pages décrivent sans complaisance l'enfer du ghetto comme une nuit apocalyptique où l'homme est retourné à l'état sauvage. Une population faite de profiteurs, voleurs, violeurs, meurtriers tentant de gagner une journée supplémentaire de vie dans ce monde qui ne voit jamais le moindre officier SS ; la Shoah relatée sans la présence du bourreau Nazi, présence brumeuse qui masque le soleil, mais présence jamais humaine.
Et c'est là le tour de force d'Hilsenrath. Il décrit les habitants du ghetto livrés à leur propre enfer, en anarchie cauchemardesque qui évoque « le triomphe de la mort », célèbre peinture horrifique de Peter Bruegel l'ancien.
Le premier chapitre est d'ailleurs saisissant d'effroi : les cadavres font partie du décor. Etrangeté, on ne comprend qu'à la seconde page qu'il s'agit de la seconde guerre mondiale. Enfin, comble du frisson, et c'est le leitmotiv du roman, chaque vivant a un prix fixé selon ce qu'il peut offrir, un prix, puisque la vie a perdu sa valeur.
Si « Les Six Millions », nombre historique, vécu par notre génération comme une uniformité indestructible, est l'expression que l'auteur utilise dans ses entretiens pour évoquer les victimes, sa plume au scalpel, qui insiste sur les échanges les plus sordides pour survivre, fait exploser la statistique, et sous les chiffres apparaissent enfin ce que ces morts furent obligés d'être dans le ghetto : in-sensibles, sur-vivants, in-humains. Mais les personnages le disent, « seuls les morts ne peuvent plus aimer », c'est dire si l'espoir si dérisoire se doit d'encore affleurer.
En brisant le mythe bancal de l'héroïsme déjà mis à mal par Primo Levi, Edgar Hilsenrath fait oeuvre divine, car qu'ils furent coiffeurs, prostituées, cafetier ou mendiants, que nous puissions les voir comme lâches ou monstres méprisables avec notre recul historique ouaté de confort, au point de vouloir rejeter en bloc le roman, ces hommes et ces femmes furent avant tout : vivants.
Et la littérature retrouve là son objectif originel, c'est-à-dire faire acte pour la Vie. Et l'on sait à quel point les mots ont en eux le pouvoir de ressusciter les morts, en est témoin la vision du prophète Ezechiel sur la vallée des ossements desséchés.
"Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts, et qu'ils revivent !"

Lien : http://johaylex.wordpress.co..
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Nuit.
Il aura donc fallu cinquante ans ( 25 avant la chute du mur + 25 après) pour traduire ce récit insoutenable. Sans doute le temps pour les traducteurs à faire l'effort de comprendre cette langue allemande sans logique et nous livrer un texte décrypté sérieusement. Il faut dire qu'n 1964 date de parution du livre le sens des phrases, des mots et des métaphores étaient singulièrement chahuté. Personne n'y comprenait rien.

Aujourd'hui c'est plus clair et la distance avec la langue est suffisante pour restituer l'atmosphère atroce de cette odyssée éprouvante sans début ni fin. Sans morale. Comment l'auteur a pu survivre à son héros Ranek (jeune mec obsédé par la faim comme tous les autres) jusqu'en 1945. Je pense que cela restera son secret.

Mais à manger un jour sur deux des épluchures de patates pendant 4 ans ,il faut forcément une combine. du reste le livre en examine certains aspects.

Dans une communauté quelle qu'elle soit il y a toujours les forts et les faibles, les anxieux et les bravaches, les tristes et les joyeux et deux faces, obscure ou claire , par rapport auxquelles il faut se positionner. Des chanceux et des malchanceux.

L'auteur ne prend pas parti, de peur sans doute de dévoiler son choix.

Il n'en reste pas moins que ces 600 pages ont de quoi faire trembler les plus fascistes et les plus anormaux. Ainsi donc l'homme est rendu aussi bas en Ukraine qui rêve aujourd'hui de nouvelles horreurs.

Sans commentaires.
A lire en priorité.

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critiques presse (3)
LeMonde
02 mars 2012
On ne s'apitoie pas dans ce livre, on ne pleure pas, on ne prie pas non plus.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
02 mars 2012
Si le sujet du livre est l'enfermement, l'écriture est une forme de libération de l'horreur, de ce qu'Hilsenrath a vécu durant ces années dans le ghetto.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Liberation
20 février 2012
Littérature des parias et de l’abjection, les œuvres de Hilsenrath, à la recherche du nom d’autrui et de la place du corps, sonnent aussi du coup parfois très beckettiennes.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (75) Voir plus Ajouter une citation
Le crépuscule tombait. Encore un jour absurde qui touchait à sa fin.

[...]

Le Dniestr offrait ce jour-là un spectacle idyllique. Au crépuscule l’eau prenait une couleur plus tendre, une couleur entre chien et loup, mélange de gris, de noir et de brun, étrangement indéfinie. Le fleuve paraissait aussi couler plus lentement, mais ce n’était qu’une illusion. A cette heure du couchant, il donnait l’impression de s’étendre à l’infini, comme s’il venait de nulle part et n’allait nulle part, telle une ombre glissante dans un paysage silencieux et rêveur.
Deux cadavres flottaient paisiblement sur le fleuve : un homme et une femme. La femme voguait un peu à l’avant de l’homme. On eût dit un jeu amoureux. L’homme essayait sans cesse d’attraper la femme, sans jamais y parvenir. Un peu plus tard, la femme dériva légèrement sur le bord et fit risette à l’homme, qui lui rendit son sourire, puis la rattrapa. Son corps heurta le corps de la femme.
Les deux cadavres se mirent alors à tourner en cercle ; ils se collèrent un moment l’un à l’autre, comme s’ils voulaient s’unir. Puis, réconciliés, ils reprirent leur dérive.
Le crépuscule s’épaississait. Le vent rafraîchissait les deux corps, avec la même tendresse que l’eau, les berges et les champs de maïs de l’autre côté, sur la rive roumaine.

Encore un jour absurde qui touche à sa fin.
Deux enfants ont trouvé asile dans la cave du bordel... Dvorski est rentré chez lui... le coiffeur a fermé sa boutique ; il éteint à présent la lumière et s'allonge en toussotant à côté du garçon.
Dans le bordel, une fenêtre arrière donnant sur le fleuve s'ouvre à toute volée ; une femme jette une boite de conserve vide dans l'eau. Elle voit passer les deux cadavres, glousse et referme la fenêtre.
S'ouvre alors une fenêtre côté rue. Une fille de quatorze ans sort la tête. Plus personne dans la rue, pense-t-elle. Même pas la bossue. D'habitude elle cherche toujours le client à cette heure. Où est-elle ? A-t-elle harponné quelqu'un dans l'escalier de la cave ? Elle pouffe, essore vite une serviette mouillée au-dessus du trottoir désert... et referme la fenêtre.
Au même instant, dans l'asile de nuit, le carreau en carton est remis à sa place. Une patrouille qui passe lève des yeux blasés vers la ruine solitaire.
«Calme plat aujourd'hui» dit un policier à l'autre. Et ils passent leur chemin dans la rue silencieuse.
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Il faisait agréablement chaud près du fourneau. Il sentit la chaleur du feu lui brûler son dos nu et s'étira à son aise. Le rouquin ronflait déjà. C'était contagieux. Ranek eut toutes les peines du monde à garder les yeux ouverts. Il ne voulait pas dormir. Il aurait tout loisir de dormir plus tard, puisqu'il était rentré chez lui. Comme il fait chaud, pensa-t-il, et comme c'est bon. C'est drôle, il faut avoir été à la rue pour apprécier ça à sa juste mesure. L'homme s'habitue trop vite aux bonnes choses, et il est prompt à oublier le reste. On ne devrait pas oublier, pensa-t-il, quand bien même on a passé des jours, des semaines ou des mois près du feu, même alors, on ne devrait pas oublier la rue. Sinon l'on devient un ingrat.
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«Je vous ai souvent observés tous les deux» dit-elle lentement à Déborah. «Surtout les derniers jours à l'asile de nuit. Le soir vous étiez toujours assis près du feu... et parfois... quand il se faisait tard... vous vous endormiez dans ses bras.» La vieille sourit, vaquant à ses pensées. «Ranek n'osait pas se lever. Je me souviens. Il restait assis, immobile, seules ses mains bougeaient doucement. Elles vous caressaient les cheveux, Deborah. Toujours et encore, elles vous caressaient les cheveux. Je n'aurais jamais cru ce salopard capable de tant de tendresse. Et je me disais : Deborah a de la chance. J'étais passablement étonnée, vous savez. Et puis finalement je me suis dit : même chez nous, le bonheur existe. Le bonheur de celui qui grelotte et trouve une couverture. Le bonheur de celui qui a faim et trouve un peu de pain. Et le bonheur de celui qui est seul et trouve un peu d'amour.»
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Ranek savait que la cave du bordel s'était transformée en toilettes publiques où tout le voisinage venait faire ses besoins. Il ne posa pas de questions. Tandis qu'elle descendait les marches raides, il se retourna et promena ses regards dans la cour. Les nombreuses cordes à linge étaient encore là, vides, comme une relique absurde et superflue, un filet qu'un dément aurait tendu devant le ciel. Il vit près du mur un chat gris, laid, pouilleux, sortir lentement de dessous le banc en bois comme un fauve malade sur le point de mourir. À pattes de velours, la bête glissa le long du mur à la vitesse d'un escargot et son existence lui parut soudain aussi vaine que le reste. Cette maudite cour est à l'image de notre vie, pensa-t-il : le mur lézardé, le chat gris et le malade, les cordes à linge vides. Il cracha de nouveau, se retourna et regarda vers la cave, mais l'endroit était si sombre qu'il ne pouvait pas distinguer la silhouette de la femme accroupie.
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Perdu dans ses pensées, Sigi passa ses mains décharnées sur son crâne rasé. «Qui aurait cru à l'époque qu'on aurait une police juive à Prokov ?»
«Personne»
«Tu l'as dit. À l'époque personne n'aurait pu imaginer quelque chose d'aussi fou.»
Ranek hocha la tête avec indifférence.
«Et pourtant» poursuivi Sigi devenu loquace, «ce n'est pas si fou que ça. Les autorités ne sont pas tombées sur la tête, et cette idée de police juive n'est pas con. Ça marche dans d'autres ghettos sous contrôle allemand. Pourquoi ça ne marcherait pas ici ? Les roumains ont beaucoup appris des Allemands. Ils savent que la création d'une police juive donne aux rafles, comme on dit, un semblant de légalité. Tu me suis ? Si des juifs font la chasse aux juifs, ça a sa raison d'âtre. Pourquoi auraient-ils besoin de Roumains ? Ils peuvent nettoyer leur porcherie aux-mêmes.»
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Vidéo de Edgar Hilsenrath
Edgar Hilsenrath : Entretien avec Antoine Spire (1994 - Mémoires du siècle / France Culture). Par Antoine Spire. Réalisation : Isabelle Mezil. Diffusion sur France Culture le 1er septembre 1994. Edgar Hilsenrath, né le 2 avril 1926 à Leipzig (Saxe, Allemagne) et mort le 30 décembre 2018 à Wittlich (Rhénanie-Palatinat, Allemagne), est un écrivain allemand, connu avant tout pour ses romans "Nuit" ("Nacht", 1964), "Le Nazi et le Barbier" ("Der Nazi & der Friseur", 1977) et "Le Conte de la pensée dernière" ("Das Märchen vom letzten Gedanken", 1989). Depuis son premier roman "Nuit", dans lequel Edgar Hilsenrath relate avec un réalisme cruel son expérience en tant que survivant du ghetto, il prend l'Holocauste comme thème central sans jamais porter une seule accusation directe ni dépeindre les criminels et les victimes en noir et blanc, le but de son œuvre entière étant d'écrire contre l'oubli. En revanche, dans le reste de son œuvre, il est passé à des formes d'expression plus vigoureuses, qui tiennent le lecteur à distance, comme la satire, le grotesque ou le conte. À propos de son roman "Le Nazi et le Barbier", le magazine "Der Spiegel" écrit: « ... une satire sur les juifs et les SS. Un roman picaresque, grotesque, étrange et parfois d'une cruelle sobriété qui évoque avec humour noir une sombre époque. » L'histoire met en scène un Allemand dénommé Max Schulz qui participe allègrement à la furie meurtrière de ses compatriotes après avoir rejoint la SS puis, après la défaite, usurpe l'identité de son ami d'enfance, Itzig Filkenstein, se rend en Israël et devient un sioniste fanatique... Le livre, écrit en 1968-1969, n'est publié en Allemagne qu'après avoir été publié en 1971 avec succès aux États-Unis dans la traduction anglaise sous le titre "The Nazi and the Barber. A Tale of Vengeance". Après que le manuscrit a été refusé par plus de 60 maisons d'édition allemandes, il paraît enfin dans les derniers jours d'août 1977 chez un petit éditeur de Cologne, Helmut Braun. La première édition (10 000 exemplaires) est vite épuisée, deux autres suivirent rapidement. Dans le roman "Le Conte de la dernière pensée", paru en 1989 et pour lequel Hilsenrath reçoit le Prix Alfred Döblin, l'auteur s'attaque au problème du souvenir et du récit historique. En décrivant le génocide arménien et en le comparant à la Shoah, il s'élève contre toute forme de violence faite à un peuple et met en garde contre l'oubli. La forme du conte, choisie par l'auteur pour s'attaquer au mensonge, signifie également que l'histoire racontée n'a plus de témoins. Dans beaucoup de livres d'Hilsenrath, émergent nettement des traits autobiographiques, qui sont cependant habituellement repris sous forme de fiction. Son ouvrage autobiographique le moins romancé est paru en 1997 sous le titre "Les Aventures de Ruben Jablonski" ("Die Abenteuer des Ruben Jablonski").
Sources : France Culture et Wikipédia
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