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Citations sur L'Aveugle au Pistolet (13)

Lorsque le premier flic revint après avoir demandé par radio des renforts au commissariat de Harlem, un très vieil homme drapé dans une robe blanche à longues manches constellée de taches était entré dans la cuisine d'où il avait fait sortir les femmes et les enfants. Il était rasé de frais et sa peau flasque et parcheminée qui semblait avoir pour seule fonction de voiler son squelette était tendue sur ses traits comme un masque de cuir. Ses paupières fripées telle des membranes desséchées retombaient sur ses yeux d'un bleu laiteux, lui conférant une vague ressemblance avec une vieille tortue d'eau. Dans sa voix cassée perçait une note de léger reproche. [...]
- Alors c'est vous le patron ici ? dit le premier flic.
- Oui, monsieur. Je suis le révérend Sam.
- Vous êtes moine ? demanda le second flic.
Un sourire parut effleurer le visage du vieil homme.
- Non, je suis mormon.
Le premier flic se gratta la tête.
- Et qu'est-ce que toutes ces bonnes sœurs fabriquent ici ?
- Elles sont mes épouses.
- Ça alors, je veux bien être pendu ! Un négro mormon marié à une troupe de bonnes sœurs chocolat. Et tous ces gosses ? Vous dirigez un orphelinat, en plus ?
- Non. Ce sont mes propres enfants. J'essaie de les élever du mieux que me le permet le Seigneur.
Les policiers lui lancèrent un regard aigu. tous deux le soupçonnaient fortement de les prendre pour des imbéciles.
- Vos petits-enfants, vous voulez dire, rectifia le premier flic.
- Non, ils sont tous les fruits de ma semence.
Les policiers le considérèrent avec des yeux ronds.
- Vous avez quel âge, pépé ?
-Je crois bien que je dois avoir à peu près cent ans, si je ne me trompe.
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Les jeunes gens surgissaient brusquement du seuil des taudis plongés dans l'obscurité, du fond des impasses, de derrière les voitures en stationnement, des escaliers remontant des sous-sols, chargeaient vers la police, lançaient des légumes pourris, des détritus variés, des pierres et des briques s'ils pouvaient en trouver, et quelques œufs pourris aussi, mais le moins possible, parce qu'il fallait qu'un œuf soit vraiment en décomposition pour cesser d'être bon à Harlem ; provoquant la police, faisant des grimaces, tirant la langue, chantant « Crève donc blanchiotte ! » Leurs corps s'agitant sur des rythmes absurdes, lestes, agiles, insaisissables, mus par une excitation hystérique qui leur conférait l'air de pantins en folie. Les flics transpirants aux visages rouges dans leurs uniformes bleus, avec leurs casques blancs, zébraient l'air brûlant de la nuit de leurs longs bâtons blancs, comme s'ils exécutaient une version dansée et policière de West Side Story, et plongeaient pour éviter les projectiles volant de toutes parts, surtout pour ne pas recevoir d'ordures dans les yeux ; puis c'était à leur tour de se mettre en chasse et ils poursuivaient les jeunes Noirs qui faisaient volte-face et s'enfuyaient pour se dissoudre à nouveau dans l'obscurité. [...]
- Pour eux, c'est jamais qu'un jeu, dit Ed Cercueil.
- Non, pas du tout, contredit Fossoyeur. Ils expriment leur opinion.
Tandis que les efforts de la police se trouvaient détournés vers un groupe de garçons et de filles qui venaient de lancer une opération de harcèlement sur la 125è Rue, une bande de jeunes gens un peu plus âgés s'élança de l'ombre à l'assaut d'un supermarché au milieu du bloc, avec des bouteilles de bière et des barres de fer. Les vitrines volèrent en éclats. Les jeunes se précipitèrent pour piller, tels des moineaux picorant avidement des miettes sous le bec d'oiseaux beaucoup plus grands.
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Mais cette nouvelle génération de jeunes Noirs avec leur comportement de spécimens de l'ère spatiale représentait pour lui l'inconnu. Pourquoi déclenchaient-ils des émeutes, pourquoi provoquaient-ils la police des Blancs d'une part et composaient-ils des poèmes assez délirants pour désarçonner complètement un brillant intellectuel de Harvard de l'autre ? On ne pouvait pas tout mettre sur le compte des foyers brisés, du manque de débouchés, du chômage, de l'inégalité fondamentale, de la pauvreté, de la discrimination — ou encore du génie. La plupart étaient issus de ces taudis misérables qui n'engendrent guère le génie ou les rêves, mais il y en avait un certain nombre appartenant à des familles de la bonne bourgeoisie moyenne qui ne souffraient pas de façon aussi cruciale de l'inégalité. Et les bons et les mauvais, les finauds et les lourdauds constituaient tous les éléments d'un ferment racial: tous se retrouvaient parmi les membres d'une certaine opposition. Et ce n'était fichtrement pas la peine de perdre son temps à discuter pour découvrir le responsable : il n'y avait pas de responsable.
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Les habitants de Harlem étaient furieux comme seuls peuvent l'être les Harlemites. La municipalité de New York avait ordonné la démolition des taudis condamnés comme insalubres dans le bloc situé sur le côté nord de la 125ème Rue entre Lenox et la Septième Avenue et les occupants ne savaient pas où aller. Ceux des autres secteurs de Harlem étaient furieux parce que ces expulsés allaient leur être balancés dans les pattes et que les maisons de leur quartier deviendraient des taudis. En outre, c'était un bloc à usage commercial et les propriétaires des petites boutiques installées au rez-de-chaussée des bâtisses étaient également furieux parce que le loyer des nouveaux immeubles serait prohibitif. Le même problème se posait aux résidents, mais la plupart n'avaient pas encore songé à un avenir aussi lointain. Pour l'instant, le souci immédiat de retrouver un toit suffisait à les absorber et ils étaient ulcérés de se voir vidés de maisons où certains étaient nés, où leurs enfants étaient nés, où d'autres s'étaient mariés, où des parents, des amis étaient morts ; peu importait qu'on eût attribué à ces maisons l'étiquette : Taudis condamnés comme impropre à l'habitat. Ils avaient été forcés de vivre entre ces murs, dans toute cette crasse et cette indignité jusqu'à ce qu'ils aient fini par s'y adapter et maintenant on les jetait dehors. Cela suffisait pour provoquer une émeute.
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Un clin d'oeil et t'es dépouillé, signala Ed Cercueil au Blanc qui traînait ses guêtres dans Harlem.
Deux clins d'oeil et t'es bousillé, ajouta sèchement Fossoyeur.
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Les portes couvertes d'encoches d'entailles et d'éraflures du fait de clefs perdues ou de tentatives de cambriolage témoignaient de la guerre continuelle que livraient aux résidents les ennemis du dehors. Satyres, voleurs, maris ou amants homicides, ou encore propriétaire en quête de son loyer. Sur les murs s'étalaient des graffiti obscènes, organes sexuels géants, cuisses largement ouvertes, formules grossières, numéros de téléphone, suggestions insidieuses, vantardises outrées, commentaires aberrants ou non sur les habitudes amoureuses des divers locataires, sur leurs mères et leurs pères, sur la légitimité de leurs enfants.
— Et y a des gens qui vivent ici, fit Fossoyeur, l'air consterné.
— Ben, c'est pour ça qu'on l'a construit.
— Comme des asticots dans de la viande pourrie
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Il était deux heures du matin à Harlem et la chaleur était étouffante. Même sans la ressentir, il aurait sufi pour s'en rendre compte d'observer la façon de se mouvoir des gens, Chacun était remonté à bloc, les glandes bien lubrifiées, les méninges en plein rendement comme une machine à coudre Singer. Chacun était sur le qui-vive.

Il n'y avait qu'un seul cave en vue et c'était un Blanc.
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-On est débordés ,patron, répondit Fossoyeur.
-Bob,ça va , je vais demander des renforts .Qu'est-ce qui a déclenché l'affaire?
-Un aveugle avec un pétard.
-Quoi!
-Vous m'avez bien compris ,patron.
-Mais ça ne tient pas debout!
-Ah ça,je vous le fais pas dire!
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Ils émergèrent dans la rue, et avec leurs tenues fantoches ils avaient tout de bons prolos cherchant à se faire passer pour des marlous en rogne contre leurs nanas.
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D'abord nous allons mobiliser Jésus, dit-il (Il leva la main pour couper court à tout commentaire.) Oui, mais je sais ce que vous allez dire. Vous allez dire que d'autres Noirs plus célèbres et plus de fidèles que moi se servent du truc de Jésus. Vous allez dire que ça a été la coutume et l'habitude de nos gens de couleur pendant des années d'en appeler à Jésus pour tout, -la nourriture la santé, la justice, la pitié, n'importe quoi. Mais il y a deux différences

Ils ont fait appel au Jésus blanc, et surtout ils lui ont demandé pitié. Vous savez bien que c'est ça la vérité. Vous êtes tous des gens de robe. Tous des prêcheurs noirs. Tous coupables du même péché. Vous demandez la pitié au Jésus blanc pour qu'il règle vos problèmes. Pour soutenir votre cause contre l'homme blanc. Et tout ce qu'il vous dit, c'est de tendre l'autre joue. Vous croyez qu'il va vous conseiller de rendre les coups ? Mais il est blanc,lui aussi. Et la blanchaille est de sa famille. En fait, c'est la blanchaille qui l'a fabriqué. Vous croyez qu'il va se mèttre à vos côtés contre son propre créateur ? A quoi tout cela rime ? Les prêcheurs eurent un rire embarrassé. Mais ils avaient compris la leçon.
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