Lorsqu'on aborde le problème de la description en littérature, on a trop souvent tendance à considérer soit les digressions circonstancielles dans le roman à intrigue du XIXe siècle : ces pages qu'en lisant Hugo, Balzac ou Zola on peut sauter sans perdre pour autant le fil de l'histoire; soit l'idéologie naturaliste telle que l'ont exaltée les poètes et les prosateurs romantiques, par exemple.
Il existe un autre usage de la description. Celui qui, comme chez Lucrèce, propose un degré zéro de la narration, quelque chose comme une première prose du monde.
La description a, dans ce cas, partie liée avec l'origine, la nature des choses, même si, comme chez Lucrèce, il n'y a pas de nature et, partant, pas d'origine aux choses. Alors, mettons, avec l'origine de l'écriture. D'ailleurs ce type de description ne touche-t-il pas souvent aux choses enfantines ? Les premiers livres de lecture, la "ligne claire" des premiers textes des manuels scolaires et les modèles de rédaction à l'école ? La "ligne claire" a toujours quelque chose à voir avec l'enfance et l'apprentissage de la langue à ce stade élémentaire où elle est encore associée à l'imagerie et à l'illustration. L'enfance de l'écriture en somme. [...] Or, cette première lecture, cette première description du monde, quel formidable travail d'abstraction ne demande-t-elle pas, puisqu'il s'agit de passer du chaos béant et insignifiant de l'ordre sensible au plan de la langue qui le quadrille de sens et lui confère, par là, un air de cohérence ! De sorte que, dans cette affaire, la "ligne claire" des premières descriptions fonctionne moins comme une transparence que comme une transposition. Ou une métaphore noire. Quelle écriture, si neutre ou si parée soit-elle, ne comporte-t-elle pas la marque de cet écart originel entre "la désignation et l'ordre muet" ?
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