Au tournant des dix-huitième et dix-neuvième siècles japonais, Katsushika Hokusai, entre autres activités, produisit plus de 4000 planches de croquis, abordant tous les sujets imaginables et qui du fait de son extraordinaire talent d'observation, donnent une image remarquablement vivante de son époque.
Au point que, sous certains aspects, il serait possible d'assimiler cette œuvre au travail des Encyclopédistes français, l'humour en plus. Toutefois, la démarche d'Hokusai n'avait pas en soi d'objectif pédagogique; c'est à sa prodigieuse curiosité de tout ce qui l'entourait et à son amour du vivant que nous devons cette incomparable documentation sur la vie quotidienne à l'âge d'Edo. Précisons que nous n'avons pas affaire ici à un "livre d'art", au sens classique du terme: les planches sont reproduites dans les teintes de la gravure sur bois, telles qu'elles étaient diffusées à l'époque, d'où le titre de l'ouvrage. Un livre donc davantage fait pour les amoureux du Japon ancien, dans toute la richesse de son particularisme culturel, que pour les esthètes.
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La peinture japonaise possède une autre caractéristique remarquable, celle de rendre compte de la finitude humaine face à l'infini de l'univers, en révélant ses propres limites, son côté fragmentaire de simple manifestation d'un point de vue très limité sur le monde. Le dessin Gunmo kyozo wo naderu (Les aveugles caressant un éléphant), du huitième volume de la Manga, s'inspire d'un vieux proverbe autour d'aveugles à l'esprit fermé, qui croient de façon erronée que la partie qu'ils touchent d'un éléphant donne une idée exacte de tout l'animal. Ce dessin nous indique cependant que pour tous, acquérir une vision plus large passe par la prise de conscience des limites de notre savoir.
Hokusai gagna en force spirituelle grâce au dynamisme visuel et au sentiment de tension donnés par les constructions basiques de formes en S. Hokusai utilisait ces combinaisons de deux arcs de cercles avec une ligne, pour croquer humains, animaux, fleurs et autres. Les arcs de cercles deviennent des spirales dont les courbes se rapprochent à l'infini de l'extérieur vers le point d'origine, qui semble les attirer. Les points d'inflexion, où les deux rotations opposées prennent des directions contraires, créent un rapport de force chargé de tension.
Le douzième volume de la Manga d'Hokusai publié en 1834, contient un dessin intitulé Hokorobi (Couture déchirée). Une femme d'âge mur à la poitrine généreuse et dénudée y apparaît endormie, couchée sur le côté. L'arrière de son kimono s'est déchiré et l'on voit son derrière. Deux enfants la montrent du doigt, riant aux éclats. Cette scène pour le moins commune ne semble obscène en rien. Le dessin subit pourtant une altération dès sa parution; un tampon de bois a été utilisé pour recouvrir ce que découvrait la couture déchirée. Dans le contexte de censure qu'amena la réforme Tenpo, le shogunat alla jusqu'à interdire des images relativement innocentes comme celle-ci.