Citations sur Bella Ciao (13)
"Les livres sont des drôles d'objets magiques, des boîtes à récupérer les coïncidences."
Penché au-dessus du guidon, les yeux embués par ces larmes qui avaient tendance, depuis quelque temps, à couler trop souvent, je revoyais l’après-midi où elle était apparue,avec son petit short blanc, ses jambes scandinaves, sa chevelure aussi fascinante, aussi compliquée que la ramure d’un chêne. Je l’avais regardée d’en bas, persuadé qu’elle était trop bien pour moi. Qu’est-ce qu’elle m’avait aimé, pourtant…
Misérable salopiaud, quel gâchis.
"Souvent je me demande à quoi vous pensez, les gars. Il faut tout vous dire. Et encore ! Quand vous comprenez...
- On ne me parle pas comme ça.
Ma voix m'étonna. Elle sonnait glacée, métallique, ainsi qu'à l'époque où l'on ne me marchait pas sur les pieds. Franck aussi en fut frappé. Il ôta ses lunettes et me fixa, les sourcils remontés jusqu'au front.
- Pardon ?
- Pas bonjour ni comment ça va. Pas une poignée de main. Tu déboules en criant, tu m'insultes...
- Quelle insulte ?
Ses yeux en s'agrandissant donnaient envie de rire.
- L'insulte commence où finit le respect le plus élémentaire!
- Hé, bon sang ! Comment veux-tu que je te parle ?
Comme à un client, comme à un copain, ou alors... comme à une femme ?
- Je ne veux plus subir la façon dont tu me traites. Je me demande qui peut, d'ailleurs, à part des adolescents qui n'ont rien connu d'autre. S'il n'y avait que ta vulgarité, mais tu es fêlé, malade. tu ne penses qu'à humilier les gens. Ne me regarde pas comme si tu allais me bouffer. C'est la première fois qu'on te le dit ?
J'aurais bien aimé apprendre la vigne, continuai-je. A la tailler, à conduire des tracteurs, à élaborer le vin.
Oui je crois que ça m'aurait plu, de changer de métier.
Franck mesure un mètre soixante-six. On n'ose imaginer le chef- d'oeuvre qu'aurait produit la nature si elle avait été plus magnanime, car ses cheveux sont d'un noir de jais sur lequel ricoche la lumière, et les muscles, moulés sans un pouce de graisse, courent sous sa peau comme ceux des chevaux. Sa petite taille, donc, ses longs cils veloutés, ses pommettes qui rougissent facilement, ses lèvres enflées de ragazzo inciteraient à la baisoter.
Sa raideur l'en défend, son autorité le protège.
Où qu'il déboule, serait-ce chez des intimes, un frisson de crainte parcourt l'assistance.
Chacun cherche à part soi une bêtise à se reprocher.
Nous avions expérimenté ensemble que deux individus dont les chemins auraient dû être divergents, qui n'ont en partage ni l'âge, ni l'instruction, ni les goûts, éprouvent parfois l'envie de se serrer dans les bras, tant ils se comprennent et s'estiment. Nous ne nous étions jamais serré que les mains, avec un peu de gêne, au moment de nous dire bonjour.
Les livres sont des drôles d'objets magiques, des boîtes à répercuter les coïncidences.
C'était un de ces cafés de province où l'on pratique la mixité, l'autochtone y côtoie l'étranger, le pauvre tutoie le riche, la jeunesse court entre les tablées de vieillards.
Nous n'avons pas changé. Les caractères se sont affirmés. Nous méritons encore les surnoms dont on nous affublait. Et nous n'avons pas oublié la leçon de tolérance qui nous faisait accepter le voisin, ses travers. Au fronton des cafés aussi, on devrait lire la devise "Liberté, égalité, fraternité".
"Un soir, il me prend par le bras pour que j'admire le soleil couchant au-dessus de Marlène, qui pointille le vallon alentour. On dirait que la brume la recouvre d'une soie, avec des plis sur le côté. Franck pose une main sur mon épaule.
_Il y a certainement de beaux spectacles dans le monde. Je n'en sais rien, je n'ai pas beaucoup voyagé. Mais celui-là, u vois, pour moi, c'est le plus beau. (Un temps...) Je m'y ressource, pour ainsi dire...Je viens, je me sens bien."
Une seule femme possède en même temps le derrière arrogant d'une adolescente, l'épanouissement irradiant des maternités heureuses, les pattes d'oies, au coin des yeux, de qui a tellement aimé rire. La sienne, si on a eu la chance de la rencontrer tôt.