Lavondyss de
Robert Holdstock
Tr. de l'anglais par
William Desmond
Le jour de la naissance de
Tallis , un très vieux cerf, connu depuis fort longtemps dans la région sous le nom de Gaillard écorné, s'approche jusque dans le jardin et y perd même un morceau d'andouiller que sa maman enveloppe dans sa robe de baptême et range précieusement. de ce jour,
Tallis portera le sobriquet de “la séductrice de Gaillard écorné”.
Quand elle est encore petite, son grand père Owen Keeton, avant de mourir brusquement un soir de Noël, le sourire aux lèvres,
lui écrit une longue et mystérieuse lettre dans la marge d'un livre de contes folkloriques et légendes galloises qu'il aime particulièrement et compte
lui léguer.
Lorsqu'elle a quatre ans, son demi-frère aîné, Harry Keeton, que nous avons rencontré dans La Forêt des Mythagos, vient
lui dire au revoir en
lui apprenant qu'il se rend dans un lieu étrange mais qu'il ne sera jamais très loin d'elle. Nous nous reverrons,
Tallis, je te le promets.
Le prénom de
Tallis est issu de ce
lui de l'illustre conteur Taliesin dont le grand père Owen croyait être
le descendant et curieusement, dès son plus jeune âge,
Tallis manifeste des dons pour les mots et les histoires, qui
lui viennent parfois, comme dans une sorte de transe, modifiant toute l'ambiance autour d'elle. Elle se raconte aussi que les lieux ont plusieurs noms dont un nom secret qu'il faut trouver pour pouvoir les traverser dans l'autre sens. Elle se met à sculpter des masques et des poupées qui
lui permettent de canaliser ses dons innés. C'est sa façon de se former et de préparer, sans le savoir, son entrée dans la forêt de Ryhope dont elle perçoit déjà des pré-Mythagos sur le pourtour de sa vision.
Autour de ses douze ans, un jour d'été, elle voit s'ouvrir devant elle une sorte de porte en forme de fente grise, laissant passer le vent d'un ancien hiver et les flocons d'une tempête de neige avec des bruits de cavalcade et la voix de son frère qui l'appelle :
Tallis,
Tallis,
Tallis ! Au moment où elle
lui répond : Je vais venir te chercher, Harry, attends-moi, la porte se referme.
Un peu plus tard, alors qu'elle s'est juchée sur une branche du grand chêne qu'elle a baptisé “Fort contre la tempête”, elle entend un cri désespéré, se penche et se retrouve dans une autre dimension, à contempler une scène de bataille où un jeune homme très beau est allongé à terre, semblant souffrir énormément. À partir de ce moment, elle en oublie son frère Harry et même l'école et ne pense plus qu'à sauver son guerrier, qu'elle a nommé Scathach, à l'aide de tous les rituels de magie qu'elle initie grâce à ses masques, notamment l'ouvrespace
lui permettant d'entrer dans l'ancien monde. Après son échec et la mort de Scathach, elle se rend compte qu'elle est intervenue dans un processus qu'elle aurait dû suivre en spectatrice et que cette grave erreur aura peut-être des conséquences.
À treize ans,
Tallis se lie d'amitié avec M. Williams, compositeur en recherche d'inspiration, qui sans le vouloir
lui donne l'idée de composer une chanson pour aider l'esprit de Scathach, qu'elle pense emprisonné dans les limbes à cause d'elle, à se libérer. Pour la première fois, elle peut parler librement à quelqu'un qui l'écoute sans la juger et s'intéresse à ses histoires.
Dans la maison d'Oak Lodge, désormais colonisée par la forêt de Ryhope – un grand chêne pousse au milieu du bureau – ,
Tallis réussit à retrouver et lire en partie le journal très abîmé du père de Steven, qui étudiait la création et le fonctionnement des Mythagos. C'est la dernière étape de son initiation avant qu'elle ne marque le Mythago Gaillard écorné qui la suit depuis son enfance et entre enfin dans la forêt.
Sachant que Lavondyss ou l'Antique Parage Interdit, le coeur de la forêt, est un lieu où le temps n'existe pas, sachant que
Tallis a maintenant des pouvoirs qui
lui permettent d'ouvrir des portes là où il n'y en a pas, tout est désormais possible.
Tallis va-t-elle rencontrer Scathach, son beau prince, alors qu'il est encore en vie ? Va-t-elle retrouver son frère Harry ? Va-t-elle réussir à le ramener à la maison ?
Ce roman parle de chamanisme, de l'initiation d'une jeune chamane qui découvre et apprivoise ses pouvoirs grâce à trois Mythagos encapuchonnées, les gaberlungi, ses trois maîtresses. Masque blanc, celle qui s'approche le plus de
Tallis, jusqu'à la toucher et la laisser lever son masque pour voir son visage, ce
lui d'une très vieille femme,
lui insuffle des histoires.
Le chamanisme a existé chez tous les peuples premiers bien avant les religions. Il procède de certains codes et rituels très précis, comme l'animal totem par exemple ou le gorla pour
Tallis qui n'est autre que le vieux cerf mythago Gaillard écorné. L'auteur s'est inspiré de ces codes ainsi que d'éléments historiques et anthropologiques connus et même de culture non écrite (danses, chants) auxquels il a mêlé son propre imaginaire, ceci avec un grand talent, pour construire son univers. Cet univers est génialement original, tout autant que ce
lui de
Tolkien, de
Lovecraft ou d'Ursula le Guin.
Comparativement à La Forêt des Mythagos, Lavondyss présente bien des différences. Les personnages de Steven Huxley et de Harry Keeton, même aidés par les notes de George Huxley (le père) et de son ami Edward Wynes-Jones (qui réapparait dans la deuxième partie de Lavondyss) sont beaucoup moins préparés que
Tallis pour affronter les métamorphoses d'espace et de temps qui se produisent dans le bois de Ryhope. Bien que très jeune, celle-ci se destine à trouver la voie de l'Antique Parage Interdit depuis l'enfance et sa force intérieure n'a fait que grandir jusqu'à son entrée dans la forêt. À côté d'elle, Steven et Harry ne sont que des enfants apeurés.
Dans Lavondyss, d'ambiance plus sombre encore, car cet opus traite davantage de la mort et des rites funéraires, le terrain métamorphique des bois de Ryhope révèle ses chemins cachés pour mieux embrouiller le lecteur ensuite. Dans une écriture poétique et sensible, l'auteur puise intelligemment dans le patrimoine traditionnel des îles britanniques, déjà empreint de magie et de superstition, et, sous la forme d'un fantasme animé, nous offre parfois de somptueuses visions dont
Arthur Rackham ou Charles Robinson auraient fait des merveilles.
Entre autres prix, Lavondyss a été récompensé par le British Science-Fiction Award du meilleur roman en 1988. CB
Chronique parue dans Gandahar 28 en juin 2021
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