- Le soir de ta naissance, ton père m'a fait la même remarque. Le pas de ton père m'était familier, et le tien m'est étranger. Je suis bien aveugle, et c'est par d'autres voies que j'ai appris que tu viendrais me consulter après le crépuscule. Tu as beaucoup réfléchi, semble-t-il... Comment était-ce, Alcide ?
- De quoi parles-tu ?
- De la gloire, enfant ! De cette heure de gloire après laquelle tout être humain soupire... Quel effet cela faisait-il de voir des inconnus t'acclamer, jeter des fleurs sous tes sandales, des filles se pâmer au passage de ton char ? Quel effet cela faisait-il d'entendre le roi te traiter en égal jusqu'à t'offrir sa propre héritière ?
- L'effet d'un rêve qui passe, sage aveugle, que l'on quitte avec soulagement, en s’étonnant de l'avoir un jour souhaité.
La réponse parut émouvoir le vieillard, car tout sourire disparut de son masque énigmatique.
- Je serai émue quand je te verrai en pleurs frapper le sol de rage, ainsi que je l'ai fait moi-même chaque fois que tu m'as trompée.
- Cela ne change rien à mon amour pour toi. Il brille dans mon âme avec la même force que le premier jour, où je t'ai surprise te baignant dans la source pure de Canathos...
Héra le fixa de ses yeux de chat en se soustrayant délicatement à son étreinte.
- Tu veux dire, le jour où tu m'as forcée à devenir ta femme ? Nous n'avons rien en commun. Il n'y a pas d'amour entre nous, seulement la même soif de pouvoir. Et dis-toi bien une chose : j'ai à cœur de contrecarrer chacun de tes projets. Dresse un mur, et je trouverai un bélier assez fort pour le renverser. Sème une forêt, je volerai ta foudre pour l'incendier. Je maudis ton nouveau fils, né de la duperie et de l'adultère. Il ne sera jamais roi. Jamais. Nulle part.
Nous les Parques, femmes des ténèbres, femmes sous les voiles blancs du savoir, nous, les trois sœurs qui détenons entre nos mains passé, présent et futur, nous l'avons vu en songe, celui qui n'était pas encore conçu, celui que Zeus le Père voulait pour être supérieur, celui qui serait mi-homme, mi-dieu. Nous l'avons vu quand il n'était encore que pensée. Pas encore chair. Pas encore souffrance. Et nous avons deviné combien sa renommée s'inscrirait dans les siècles à venir.
- Une guerre ? Avec qui ?
- On voit que tu es parti depuis longtemps. On n'apprend donc rien de la marche du monde sur le mont Hélicon ?
- Si, le détrompa Alcide. Le langage des vautours, la musique du vent... On observe la danse des étoiles au cœur de l'été. Est-ce que ce n'est pas suffisant ?
- Eh bien c'est une autre danse qui se prépare ici-bas, malheureusement.
Michel Honaker : L'enchanteur de sable .Michel Honaker est à l'aise dans tous les styles. Il y a quelques mois, nous l'avions rencontré pour parler de sa trilogie Terre Noire (Voir l'interview) et aujourd'hui c'est dans un parking souterrain, lieu énigmatique ou débute le troisième volet de Chasseur noir, L'enchanteur de sable, que l'on se retrouve. du piano au parking, les ambiances se suivent mais ne se ressemblent pas. RencontreInterview réalisée pour le site spécialisé en littérature jeunesse Les Histoires Sans Fin (http://www.leshistoiressansfin.com)