- C'est la seule raison de ta venue ? Eh bien, reste et observe, afin d'apprendre combien les hommes grelottent de froid, de solitude, et de l'ingratitude des dieux qu'ils servent. N'y vois aucun affront, mais je vais essayer de dormir.
- Tu as l'arrogance de ton père. Et même... Un peu de son visage. Tout en toi me rappelle sa faute passée.
- C'est pourquoi tu m'as condamné si sévèrement ? Pourquoi tu t'élèves sur mon chemin sitôt que je crois toucher au bonheur ? J'en ai pris mon parti. Sache que tu ne m'imposes pas cette vie d'itinérant. Je l'ai choisie.
- Jusqu'à y prendre goût ! s'insurgea la déesse en serrant son poing sur sa crosse.
Sa réaction tira un sourire au jeune homme.
- C'est vrai. A quoi sert un châtiment si le condamné s'en accommode ? Au fond, je dois te rendre grâce. Sans toi, je n'aurais pas découvert le plaisir de se dévouer aux autres. Oui, je prends plaisir à aider les gens, à châtier les créatures qui les terrorisent, qu'ils soient princes ou simple paysan. Partout où j'ai pu me rendre utile, je l'ai fait pour qu'ils retrouvent leur joie de vivre et non pour satisfaire ton protégé Eurysthée.
- Tu es un monstre, murmura-t-elle entre ses dents. Je ne céderai pas.
- Je ne suis ni un monstre, ni un bienfaiteur, je suis un dieu, rétorqua la créature de feu. Douze tâches. Pas une de plus, les constellations, mes filles, en seront témoin. Voici le rêve que tu enverras à Eurysthée la nuit prochaine. Jure.
Héra courba l'échine et marmonna entre ses dents :
- Douze épreuves. S'il en ressort vivant, alors je lui accorderai mon pardon.
Sur cet assentiment arraché, qui lui lacérait l'âme, elle se dissipa dans les vapeurs étouffantes.
- Que tiens-tu à prouver ? s'irrita Hercule, vexé par son échec.
Le jeune homme aux boucles blondes se pencha vers lui, et sa physionomie d'ordinaire si joueuse se parait à présent d'une étrange compassion.
- Que tu ne sais rien du don des dieux. Et donc que tu ne sais rien de la force qui coule en toi. Elle n'est qu'en germe. Elle s'accroîtra encore et encore, jusqu'à peut-être te submerger un jour. Elle ne réside pas dans tes muscles. Elle coule dans ton sang, le sang divin de ton vrai père. Un jour, tu tordras cette égide. Un jour, mais pas encore aujourd'hui... Et jusque-là, tu auras besoin de moi.
Sur ces paroles, Eurysthée quitta son trône, estimant qu'il avait accordé suffisamment de temps à ce problème mineur. Seule Alcyoné resta, fascinée par ce condamné souillant le dallage, et que Pemptos couvrit d'un voile pour lui épargner la vue de sa nudité. Était-il celui que son frère avait vu en songe, ce magnifique guerrier à al belle stature, aux épaules alourdies par la tâche ? Elle croisa son regard, qui la sonda jusque dans les tréfonds de son âme féminine.
Un regard de bronze, qui ne se serait détourné devant personne.
Ni homme. Ni dieu.
L'Immortel se retira dans le coin d'ombre qui l'avait vu apparaître, et Hercule devina qu'il s'en était retourné sur les hauteurs printanières de l'Olympe, ou dans les vastes étendues des savanes africaines qu'il appréciait par-dessus tout. Il resta seul. Les étoiles pâlirent bientôt sous la clarté de l'aurore aux belles boucles qui inondait la baie de Tirynthe. Hercule retourna à ses pensées maussades.
- Si je dois devenir immortel, murmura-t-il, je veux être étoile et veiller la nuit sur le monde. Sans fin.
Michel Honaker : L'enchanteur de sable .Michel Honaker est à l'aise dans tous les styles. Il y a quelques mois, nous l'avions rencontré pour parler de sa trilogie Terre Noire (Voir l'interview) et aujourd'hui c'est dans un parking souterrain, lieu énigmatique ou débute le troisième volet de Chasseur noir, L'enchanteur de sable, que l'on se retrouve. du piano au parking, les ambiances se suivent mais ne se ressemblent pas. RencontreInterview réalisée pour le site spécialisé en littérature jeunesse Les Histoires Sans Fin (http://www.leshistoiressansfin.com)