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Critique de hervethro


Si vous faites partie de ces parents modèles qui n'hésitent pas à sacrifier à la « petite histoire avant de s'endormir », y mettent du temps et y prennent du plaisir; si vous préférez aller chercher le pain ou aller à une séance de cinéma à pied; si vous prenez deux heures pour préparer un vrai repas fait maison; si vous mettez un point d'honneur à ne pas simplement ingurgiter des aliments scotché devant la télévision mais plutôt les partageant en famille ou en compagnie d'amis bien choisis; si vous êtes adeptes de la sieste postprandial; si vos élans charnels ne se limitent pas à un petit coup bien fait; enfin si vous ne faites pas passer votre vie professionnelle avant votre vie personnelle, inutile d'ouvrir ce livre. Vous seriez déçu et surement même frustré.
En revanche, pour tous les autres, cet hymne à la tortue (face aux gesticulations effrénées du lièvre) est un devoir. On s'accorde tous à reconnaitre que nos sociétés occidentales ont évolué vers une précipitation inéluctable. J'aime assez prendre l'exemple d'une locomotive trainant cinq cent tonnes de wagons à sa suite lancée à toute allure sur les rails en forte pente de l'avenir (du progrès?). Pas facile de s'arrêter quand la machine est en route. Pas même de simplement freiner. Pourtant la logique et une vision juste des choses commande que cette frénésie nous mène à notre fin. Plus nous allons vite, moins nous avons de temps. Quel paradoxe! Vivre à toute allure dans un monde par définition limité ne peut être viable bien longtemps. Tout porte à croire que nous avons atteint nos limites, du moins celles imposées par notre planète. Chaque année nous utilisons un peu plus de ce qui nous est alloué (en principe deux hectares par personne dans un monde peuplé de sept milliards d'individus) : ainsi un américain typique a épuisé ses ressources début Septembre. Les quatre mois restants, il hypothèque gravement son avenir… ou grignote les richesses d'un autre.
Oui, mais comment ralentir? Emportés tous autant que nous sommes dans cette locomotive sans frein, sans foi ni loi, comment inverser la tendance? Carl Honoré dresse la liste des solutions personnelles pour en sortir. Ce n'est pas forcément hors de porté ni même très coûteux (même si le livre a visiblement été écrit par et pour une certaine élite sociale). On y apprend que l'on peut travailler moins, accéder à la méditation, à faire de la musculation lente (SuperSlow), utiliser le Tantrisme pour développer sa sexualité, devenir adepte du Slow Food (mouvement d'origine Italienne qui prône le retour à une meilleure approche de la nourriture, tout comme les Slow Citta où la place des piétons en ville est primordiale, ), se mettre au tricot (présenté comme l'activité à la mode aux Etats-Unis - l'essai a été écrit au début des années 2000, pour ma part je n'ai jamais entendu rien de tel), même la musique peut être jouée moins vite, histoire de mieux profiter de chaque note, de chaque respiration. Car le but est là : tout faire moins vite pour en retirer davantage de plaisir et combattre le stress inhérent à une vie à cent à l'heure en faisant coup double et préservant les ressources forcément limitées que peut nous offrir notre Terre.
Seulement, cet éloge de la lenteur pâtit de deux défauts majeurs. D'abord, Carl Honoré fait preuve de trop d'optimisme. Aligner les témoignages de bonne volonté fait ressembler notre société à un vaste Bisounoursland. Il n'y a qu'à regarder autour de soi : l'agriculture biologique représente moins de deux pour cent des exploitations (exploitation, justement, voilà encore un mot lourd de signification), les AMAP (du producteur au consommateur) restent négligeables, les fast-food ne désemplissent guère, le monde du travail est de plus en plus une jungle : pour qui a encore un boulot, il s'y accroche bec et ongles quitte à enfoncer son voisin. Les 35 heures ne sont qu'une vraie/fausse bonne idée. Faire en moins de temps tout autant de travail, cela ne revient-il pas à accélérer?
Du reste, cette volonté de ralentir n'occupe-t-elle pas un seul segment de nos sociétés : des bobos travaillant dans des secteurs qu'ils ont choisi et intéressant (journalisme, publicité, conseil) et qui veulent soudain donner un sens à leur vie. Car, depuis que le monde s'est emballé, aux balbutiements de la révolution industrielle à la fin du XVIIIème siècle, il n'a jamais manqué de minorités pour rejeter cette tendance à vouloir brûler les feux rouges. le mouvement des Luddites en Angleterre du XIXème luttant contre les machines, les avancées sociales du Front Populaire et, bien entendu, Mai 68. Tout cela a fait long feu. Ce que décrit l'auteur n'est-elle pas une simple mode? Presque 15 ans après sa parution, force est de constater que rien n'a vraiment changé et que, si l'on prend en compte les pays émergeants (Chine, Inde, Brésil), cela va en empirant (je viens d'apprendre que la majorité des installations coûteuses des derniers Jeux Olympiques tombaient déjà en ruine, si ce n'est pas l'éloge de la vitesse, ça - des coups d'épée dans l'eau).
Ensuite, si Honoré est trop un peu trop idéaliste, porté par la révélation qu'il a eue de ralentir dans sa propre vie, il n'en demeure pas moins qu'il ne va pas, n'ose pas aller, au bout des choses. D'abord, il prévient son lectorat : il ne va pas remettre en cause le système. Il semble s'excuser de commettre un crime de lèse-majesté face au progrès qui sous entend plus et encore plus. Son éloge de la lenteur me fait penser à un remède homéopathique. Juste un peu pour se donner bonne conscience mais pas trop quand même. Or le fondement viscéral de notre société libérale repose sur la vitesse. le temps c'est de l'argent depuis l'invention du crédit : on rémunère les minutes et les secondes, plus le travail. D'ailleurs, tout a foutu le camp depuis que l'on rétribue la durée du travail et non la production elle-même. Honoré prend bien soin de ne pas s'attaquer à la chose politique. Pourtant, le cumul des mandats n'est-il pas une forme de vitesse? Rien sur notre appétit débordant d'énergie induisant la pollution et le gaspillage. le plus grand responsable de toute cette agitation n'est autre que le sacro-saint P.I.B. Il ne prend l'économie qu'en valeur absolue, additionnant ce qui devrait se soustraite à ce qui fait la richesse d'un pays : pollution, gaspillage, accidents dû au travail, à la circulation, maladies, perte de la biodiversité, etc. Pas un seul mot sur cette institution qu'a pourtant rejeté le petit pays du Bhoutan, le remplaçant par le Bonheur National Brut (B.n.b), barème du niveau de vie plus holistique.
On aurait aimé, souhaité, espéré qu'il nous parle de nouvelles valeurs à substituer à la compétitivité. Un peu comme dans ces nouveaux jeux de société où le but n'est pas d'arriver premier mais de permettre au groupe tout entier de gagner. Je me souviens du témoignage d'un entraineur de football parti en Afrique dénicher de nouveaux talents. Dans un village reculé de la savane, il avait organisé une course à pied. Tous les gamins étaient parti dans tous les sens, revenant sur leurs pas, attendant leurs copains pour tous arriver ensemble sur la ligne d'arrivée. Eux n'étaient pas (encore) contaminés par cet esprit de concurrence et de rivalité qui sont le socle de nos sociétés élaborées. Faudra-t-il attendre que nos populations vieillissent tellement qu'on n'aura pas d'autre solution que finalement aller moins vite, par obligation, tout comme l'asphyxie de notre environnement nous poussera forcément à l'écologie. Mais est-ce bien souhaitable? A un âge avancé, ce n'est plus la décélération du train de vie mais le ralentissement des idées qui nous guette.
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