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EAN : 9782366241624
294 pages
Cambourakis (23/09/2015)
4.41/5   95 notes
Résumé :
« Ne suis-je pas une femme ? », telle est la question que Sojourner Truth, ancienne esclave, abolitionniste noire des États-Unis, posa en 1851 lors d'un discours célèbre, interpellant féministes et abolitionnistes sur les diverses oppressions subies par les femmes noires : oppressions de classe, de race, de sexe. Héritière de ce geste, Bell Hooks décrit dans ce livre devenu un classique les processus de marginalisation des femmes noires et met en critique les fémini... >Voir plus
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Luttes pour l'égalité raciale et les droits des femmes

Dans sa préface, Lâche le micro ! 150 ans de luttes des femmes noires pour le droit à l'auto-détermination, Amandine Gay indique, entre autres, que bell hooks entend écrire « l'histoire des femmes noires, jusque-là systématiquement évacuées de l'Histoire ». Elle parle de réappropriation de la narration, d'« analyse théorique des interactions entre le racisme systémique, le patriarcat et le capitalisme », du sentiment de voir « ses propres expériences validées », de réalisation que « nous ne sommes pas seules »…

Mouvement pour l'abolition de l'esclavage, Sojourner Truth, un « refus de compartimenter les luttes et une réaffirmation de la singularité des femmes noires, qui appartiennent tant au monde des Noirs qu'au monde des femmes », Paulette Nardal, Claudia Jones, Ella Baker, les mouvements des droits civiques et de libération des femmes, l'inextricable liaison entre « oppression de race, de classe, de genre et d'orientation sexuelle », la Coordination des femmes noires (CFN), le Mouvement pour la défense des droits de la femme noire(MODEFEN), Awa Thiam, Affirmative Action…

« C'est donc dans la perspective de participer à la construction d'un mouvement afroféministe propre au contexte français que j'ai accepté avec empressement de rédiger cette préface ».

Amandine Gay parle de « la rhétorique universaliste qui invisibilise les différences de couleur et les hiérarchies qui y sont associées », de race comme construction sociale, des Blanc–he–s qui n'ont pas « pour habitude de penser qu'ils sont elles/eux aussi issu·e·s d'une construction sociale », du racisme qui est plus qu'une question de relations entre individus, d'auto-détermination et de lutte en non-mixité, de l'absence des afro-descendantes ou de leur enfermement dans « des représentations stéréotypiques », du film Ouvrir la Voix, du concept d'intersectionnalité, d'interaction et d'interdépendance des oppressions (ce qui ne me semble pas rendu en français lorsque l'on parle de femmes à l'intersection des discriminations raciales et de genre)…

Je trouve plus que discutable de parler de choix pour les rapports au sein des systèmes prostitutionnels (plus qu'une question de relations entre individus, pour reprendre une expression de l'auteure à propos du racisme).

Contrairement à ce qu'écrit la préfacière le matérialisme n'implique pas « la primauté des rapports de classe » même si le reproche vaut pour bien des écrits de chercheur-e-s se référent au(x) matérialisme(s), et à mes yeux, peu conséquent-e-s… Et si Amandine Gay critique à juste titre les accusations autour de l'« identitaire » et du « communautarisme », je reste dubitatif sur l'expression « nous sommes discriminé·e·s du fait de nos identités ».

La préfacière interroge : « comment se réapproprier la parole et les concepts afin de les rendre opérants dans l'espace francophone ? » et insiste sur la parole des concerné-e-s, la lutte contre la dépolitisation des revendications, l'émergence, par exemple, du collectif afroféministe Mwasi ou la web radio Cases Rebelles, « la non-mixité est assumée et revendiquée comme outil d'émancipation »

.

Comme invitation à sa généralisation, je souligne la Note de traduction :

« L'idée que le masculin représenterait l'universel est vivement critiquée par les féministes. C'est une des formes de la domination patriarcale dans la langue française. L'anglais utilise le genre neutre pour les noms, les adjectifs et les participes passés, nous avons choisi de les traduire en adoptant des règles de féminisation. Nous utiliserons donc le point médian quand le terme se réfère aux hommes et aux femmes (opprimé·e·s), le pronom « iel », contraction de « il » et « elle », parfois au pluriel « iels ». Lorsque bell hooks se réfère explicitement aux hommes les expressions seront au masculin, et inversement lorsqu'elle se réfère uniquement aux femmes. Nous avons par ailleurs appliqué la « règle de proximité » selon laquelle l'accord de l'adjectif ou du participe passé se fait avec le nom le plus proche »

Sur ces sujets, :

L'Académie contre la langue française. le dossier « féminisation ». Ouvrage publié sous la direction d'Eliane Viennot,
Eliane Viennot : non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin. petite histoire des résistance de la langue française
Appliquons la règle de proximité, pour que le masculin ne l'emporte plus sur le féminin !
Éliane Viennot : « Mme le président » : l'Académie persiste et signe… mollement
Katy Barasc, Michèle Causse : requiem pour il et elle

« Une socialisation raciste et sexiste nous avait conditionnées à dévaluer notre féminité et à considérer la race comme seul marquer pertinent d'identification »

Je prend le terme « féminité » (womanhood) dans son sens de construction sociale.

En introduction, bell hooks parle de « notre silence », de la peur de reconnaître le sexisme comme pouvant être tout aussi oppressant que le racisme. Elle revient sur les luttes du XIXe siècle aux Etats-Unis, « Ces femmes noires ont participé aussi bien à la lutte pour l'égalité raciale qu'au mouvement pour les droits des femmes », celles qui ont insisté « sur l'aspect « féminin » de leur être qui a rendu leur sort différent de celui de l'homme noir », les liens rompus avec des féministes blanches pour cause de racisme de celles-ci, la bataille sur le droit de vote qui ne fut pas majoritairement pour toutes et tous, l'étouffement de l'esprit révolutionnaire radical… L'auteure aborde le mouvement des droits civiques des années 1950, la répartition sexiste des rôles, la place du patriarcat noir, l'oppression spécifique, « Iels font semblant de ne pas voir qu'être forte face à l'oppression n'est pas la même chose qu'avoir vaincu l'oppression, cette endurance ne doit pas être confondue avec une quelconque transformation », les intérêts des femmes noires, la différentiation sexuée et raciale, « Personne n' a pris la peine de parler de la façon dont le sexisme opère à la fois indépendamment du racisme et simultanément à celui-ci pour nous opprimer », l'impérialisme racial, la socialisation sexiste-raciste, des oeuvres des écrivaines noires, l'entremêlement des luttes pour la fin du racisme et pour la fin du sexisme… A noter que les rapports sociaux de classe, qui seront parfois traités dans le livre, sont ici passé sous silence. « notre lutte pour la libération n'a de sens que si elle a lieu au sein d'un mouvement féministe qui a pour but fondamental la libération de toutes et tous »…

L'auteure explique pourquoi il est nécessaire d'examiner conjointement les politiques racistes et sexistes depuis une perspective féministe, « examen de l'impact du sexisme sur les femmes noires pendant l'esclavage, de la dévaluation de la féminité noire, du sexisme des hommes noirs, du racisme dans le mouvement féministe récent et de l'engagement des femmes noires dans le féminisme ».

Quelques éléments choisis subjectivement.

1 Sexisme et vécu des femmes noires esclaves

Les femmes esclaves, le viol comme mode de torture courant, la destruction de la dignité humaine lors de la traite…

« le présupposé sexiste que les expériences des hommes sont plus importantes que celles des femmes ». bell hooks rejette les théorisations sur « la destitution des hommes noirs de leur masculinité ».

Le travail des esclaves hommes et femmes, le travail aux champs pour tou-te-s et le travail domestique pour elles, les violences sexuelles et les viols des hommes blancs, le terrorisme institutionnalisé… Je souligne la qualité des paragraphes sur la haine des femmes et ses expressions dans la « sexualité ». La morale sexuelle hypocrite, le corps des femmes « comme égout séminal », les femmes noires mises à nu et fouettées publiquement, les viols des femmes noires par des hommes noirs, la « solidarité » des groupes d'hommes, et le partage d'une « définition patriarcale des rôles sexués », la reproduction forcée…

2 Dévalorisation perpétuelle de la féminité noire

La sous-estimation par les chercheurs/chercheuses des viols et de leurs impacts sur les femmes, la dévalorisation de la « féminité » noire, les différences d'appréciations sur les viols « inter-raciaux », « la femme noire était la cible privilégiée pour les violeurs blancs », le mythe de l'homme noir violeur, la dévalorisation comme « dispositif de contrôle social calculé », les suprématistes blanc-he-s, les lois anti-métissages, les modifications apportées par l'« intégration raciale à la fin du XXe siècle », la défense blanche de la « propriété féminine », l'oubli de l'exploitation sexuelle des femmes noires par des homme noirs, « le souci omniprésent que les personnes noires ont à propos du racisme leur permet d'ignorer de façon opportune la réalité de l'oppression sexiste », le contrôle de la sexualité des femmes noires, les sentiments sexistes envers toutes les femmes, la dégradation de « toutes les activités des femmes noires », le fantasme d'un matriarcat noir, la classe ouvrière noire, les femmes noires comme « voleuses » du travail des hommes noirs…

3 L'impérialisme du patriarcat

Le privilège de tous les hommes « sans considération pour leur classe ou leur race », le sexisme et la non-reconnaissance que « le racisme n'est pas la seule force oppressive qui régit nos vies », être à la fois victimes du racisme et oppresseurs sexistes, les travaux de service domestique comme simple extension du rôle « naturel » des femmes…

Je souligne les paragraphes sur les « leaders noires » et ceux sur les limites (sexistes) des dirigeants noirs masculins, les modifications sociales dans le cours du siècle.

« le racisme a toujours été une force de division séparant les hommes noirs et les hommes blancs, et le sexisme a été une force unissant ces deux groupes », les violences patriarcales, la critique du mouvement Black Muslin, l'aveuglement sur l'impact du sexisme « sur nos modes de relation », le racisme sexuel, « Lutter contre l'oppression sexiste est important pour la libération noire, car aussi longtemps que le sexisme divise les femmes et les hommes noir·e·s, nous ne pouvons allier nos forces pour lutter contre le racisme ». Ceci est par ailleurs vrai dans toutes les luttes contre les dominations et exploitation…

4 Racisme et féminisme, la question de la responsabilité

Le racisme comme outil politique du colonialisme et de l'impérialisme, la construction d'une histoire tronquée et mensongère, l'endoctrinement sexiste et raciste, des femmes considérées comme « Autres », la non confrontation à la réalité du racisme, l'impérialisme racial blanc, le racisme des femmes blanches, « un fait qui n'invalide en aucun cas le féminisme comme idéologie politique », l'assimilation injustifiée entre abolitionnisme et rejet du racisme, « ce que les femmes blanches ont appris à travers leur lutte pour libérer les esclaves, c'est que les hommes blancs consentaient à défendre les droits des Noir·e·s tout en refusant tout droit aux femmes », l'absence de solidarité politique de la majorité des réformatrices blanches lors des débats sur le droit de vote, les sentiments anti-Noirs d'associations de femmes blanches, le travail des femmes noires et la hiérarchie raciale sur le marché du travail, le mouvement de libération des femmes, le mouvement de libération noire, les expériences des femmes réduites à l'expérience de « la » femme blanche, « Dans une nation où règne l'impérialisme racial, comme c'est le cas dans la nôtre, c'est la race dominante qui se réserve le privilège d'être aveugle à l'identité raciale, tandis qu'on rappelle quotidiennement à la race opprimée son identité raciale spécifique. C'est la race dominante qui a le pouvoir de faire comme si son expérience était une expérience type » . Cela vaut aussi, me semble-t-il, pour l'ensemble des dominations, l'universel masculin et le soit-disant particularisme féminin, le communautarisme de la majorité et l'accusation de communautarisme des minorités, l'individu abstrait universel (de fait bourgeois mâle) et les particulier-e-s des autres classes ou autres groupes sociaux…

A très juste titre, l'auteure souligne que le terme générique « de femmes » nie les constructions sociales systémiques et hiérarchiques. Auto-organisation non mixte, « tentative de la part des personnes noires de construire des espaces de refuge politique, où nous pouvons échapper, ne serait-ce que pour un temps, à la domination blanche ». Intérêts et divisions, « une interprétation du féminisme qui ne faisait plus sens pour toutes les femmes » et absence de stratégie « dans laquelle nous pourrions nous unir ».

bell hooks parle de solidarité politique, de processus en devenir, « ce processus commence par la reconnaissance que les femmes états-uniennes, sans exception, sont conditionnées à être racistes, classistes et sexistes à différents degrés, et nous autoproclamer féministes ne nous exempte pas du travail qui consiste à se débarrasser de cet héritage de socialisation négative »

5 Femmes noires et féminisme

Sojourner Truth, la participation des femmes noires aux débats du mouvement états-unien pour les droits des femmes, Mary Church Terrell, National Conference of Colored Wowen, Anna Julia Cooper, Frances Ellen Watkins Harper, l'apartheid de Jim Crow, alliances raciales, égalité sociale, politiques sexuelles, l'antiféminisme de femmes noires, affaiblissement du potentiel révolutionnaire de l'idéologie féministe, l'hypocrisie de certaines féministes, auto-défense des femmes, « engagement à éradiquer l'idéologie de la domination qui imprègne la culture occidentale à différents niveaux – le sexe, la race et la classe pour ne nommer qu'eux… »

Que l'on partage ou non la totalité des formulations ou des analyses, un livre important enfin traduit en français, prélude peut-être à la mise à disposition dans cette langue des multiples travaux des Afro-américaines…


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Cela faisait un moment que je devais me pencher sur le sujet de l'afroféminisme. Trop longtemps ignoré par la recherche/littérature/société, j'admets moi-même avoir pris bien trop de temps à me renseigner sur le sujet alors qu'il est indispensable à la lutte féministe. Et j'insiste sur le mot indispensable, parce que le mouvement féministe ne peut avoir de sens que si toutes les femmes sont prises en compte, avec leurs histoires et revendications propres.

Pour commencer mon éducation, j'ai donc choisi bell hooks. Même si son oeuvre est centrée sur le contexte étasunien, elle donne déjà une première idée des diverses oppressions subies par les femmes noires, qui ont mené par la suite au Black Feminism, mouvement né dans les années 60-70, plus ou moins à la même période que l'afroféminisme en Europe.

Mais comment résumer en quelques phrases cet essai si important ? Cela n'est pas possible, mais je vais essayer d'en ressortir les principales idées.

Dans cet essai, l'autrice remonte à l'origine de l'assujettissement des femmes noires aux États-Unis, à savoir l'esclavage, pour montrer comment l'oppression s'est installée, physiquement, mentalement. Elle explique comment les femmes noires ont été placées dès le départ en bas de l'échelle humaine, et comment on les a forcé à y rester tout au long de l'Histoire.

Le plus fou/terrible/contradictoire, c'est qu'on a infligé aux femmes noires les pires horreurs, tout en leur reprochant. On a forcé les femmes noires à assumer des rôles d'hommes en travaillant dans les champs, tout en continuant d'enfanter, de s'occuper des enfants et du foyer, sans jamais se plaindre, sans jamais plier, pour à la fin leur reprocher d'émasculer les hommes avec leur rôle de "matriarche" (qui n'en était pas vraiment un d'ailleurs, voir chapitre 2). On a réduit leur féminité au maximum, les utilisant comme objet sexuel, pour plus tard leur reprocher de ne pas être aussi jolie que les blanches, aussi pure, aussi douce.

Et cette violence, cette oppression, vient d'abord des hommes blancs, mais elle a été perpétuée par les femmes blanches comme les hommes noirs. D'ailleurs, quand les premières revendications féministes ont éclaté, les femmes noires n'étaient jamais prises en compte. Quand les femmes blanches utilisaient le terme générique "femmes", c'était pour parler de la réalité des femmes blanches, pas des femmes noires. Et quand elle parlaient de "noirs", il était sous-entendus les hommes noirs.

Mais pourquoi les ignorer ? Pour garder un statut supérieur. Par vengeance contre les maris infidèles blancs (car il est toujours plus facile de se retourner contre les victimes que contre les agresseurs...). Par assimilation, parce que les hommes blancs étaient foncièrement sexistes et racistes, et que ce système a été perpétué sans réfléchir. Et tant d'autres raisons injustifiées...

De ce fait, les femmes noires ont vécu une double invisibilisation, une double discrimination de sexe et de race, de toutes parts. C'est pourquoi elles ont commencé à se mobiliser ensemble pour créer le Black Feminism. Car une femme noire ne peut pas choisir entre combattre le sexisme ou le racisme, les deux sont intrinsèquement liés. Et la liberté des femmes ne sera jamais acquise sans l'abolition des deux.

Ne suis-je pas une femme ? est donc une très bonne introduction à l'histoire des femmes noires étasunienne et à tous les combats quelles ont dû mener, et doivent encore mener. Cependant, comme nous le rappelle Amandine Gay dans la préface, le contexte est différent en Europe, beaucoup plus empreint par le colonialisme. Je pense donc que ma prochaine lecture sur le sujet se tournera sur le contexte français. Si vous avez des recommandations, n'hésitez pas à me les faire parvenir !
Lien : https://mangeonsleslivres.bl..
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Il me semblait particulièrement opportun de partager cette chronique aujourd'hui, journée internationale des droits des femmes. Sur ma liste de livres à lire depuis un moment, je me suis lancée dans la lecture de Ne suis-je pas une femme ? puisqu'il fait partie de la sélection de février-mars du club de lecture « Une chambre à nous ». Mille mercis aux organisatrices d'avoir proposé ce livre.

Un petit mot sur l'édition tout d'abord : si j'apprécie Cambourakis (et particulièrement la collection « Sorcières »), ce n'est pas seulement pour leurs titres pertinents et intéressants, mais aussi pour leur engagement. Ainsi, le livre a été traduit en français en écriture inclusive (dont des points médians), les pronoms neutres quand nécessaires et des noms de métiers féminisés.

De plus, le livre est préfacé par Amandine Gay (qui est, entre autres choses fabuleuses, la réalisatrice du film Ouvrir la voix) qui fait le point sur l'afro-féminisme français, ou plus particulièrement sa timidité au siècle dernier. Mais cela lui permet également de mettre ne lumière les militant·e·s qui se battent aujourd'hui pour que les voix afro-descendantes soient entendues, particulièrement celles des femmes, et avec les moyens contemporains (les réseaux sociaux notamment). le fait que Ne suis-je pas une femme ? soit traduit trente ans après sa sortie aux États-Unis est en effet affligeant, mais cela montre aussi que les choses bougent. Un peu.

Parce qu'on pourrait croire, naïvement, qu'un livre écrit dans les années 1980 n'aurait plus guère de résonance avec notre société actuelle. Déjà, bell hooks fait le point sur l'histoire des luttes afroféministes aux États-Unis, avec bien sûr de nombreux chapitres, nécessaires, sur l'esclavage. Et ce, dès les enlèvements faits en Afrique, jusqu'à leur situation une fois que les Noir·e·s étaient sur les plantations, à travailler dans les champs ou dans les maisons. L'autrice remet en contexte les pratiques qu'avaient ces personnes africaines de divers pays et diverses cultures, afin de montrer la violence ressentie par les tâches qu'on leur imposait. Par exemple, pour certains, le travail dans les champs était un travail typiquement féminin et lorsque les planteurs blancs ont réclamé que les esclaves hommes aillent dans les champs de coton, nombreux ont refusé.

Cette mise au point sur les réalités de l'esclavage des femmes, dont la particularité est souvent invisibilisée, est absolument nécessaire. Ces passages n'étaient pas sans me rappeler un autre livre à ce sujet, Femmes et esclaves : L'expérience brésilienne 1850-1888 de Sonia Maria Giacomini, qui se focalise sur cette même question, mais au Brésil (sans surprise, il y a beaucoup de similitudes).

Même une fois « sorti » de l'esclavage, le tableau est loin d'être plus joyeux. Ce qui m'a vraiment marqué, c'est tout le passage sur les Sufragettes et la lutte pour le droit de vote des femmes. J'ai déjà eu l'occasion d'étudier ce sujet, soit à l'université soit dans mes recherches personnelles et jamais je n'avais réalisé à quel point ce mouvement avait été raciste. Ce qui fait absolument parti de mon privilège de Blanche, de ne jamais m'être posé la question, et aussi du racisme (dont l'invisibilisation fait partie) dans lequel j'ai été conditionnée par la société. Bref, j'ai encore beaucoup à (dés)apprendre.

Toujours est-il, bell hooks montre parfaitement l'hypocrisie de beaucoup de militantes de l'époque qui réclamaient des droits pour « les femmes » alors qu'elles entendaient bien sûr « femmes blanches ». L'autrice rappelle ainsi la violence de nombreux écrits qui parlent des « femmes » sans précision alors qu'ils entendent parler des « femmes blanches » en réalité. Comme si elles étaient la seule représentation de leur genre. S'ajoute à cela une vision classiste qui fait que ces mêmes droits étaient souvent demandés pour une certaine catégorie sociale, et certainement pas la plus pauvre.

Ainsi, des féministes blanches ont été outrées qu'on puisse donner le droit de vote à des hommes noirs, et non à elles. Elles n'avaient d'ailleurs parfois aucun scrupule à encourager le patriarcat (qu'elles combattaient supposément) si cela pouvait les valoriser comparé aux femmes noires.

Je ne pourrai jamais être assez éloquente pour faire justice à ce livre, aussi je vous laisse avec une dernière citation et la très forte recommandation de le lire. Je sais qu'en tous cas, je vais m'intéresser aux autres écrits de bell hooks.
Lien : https://deslivresetlesmots.w..
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Première lecture de l'année 2020 et de la décennie. Un seul mot : waouh !

D'abord cet ouvrage est un classique du Black Feminism. Bell Hooks a vulgarisé avec brillo des concepts très complexes rendant cette oeuvre très facile à lire, très fluide car elle voulait que ce livre puisse être lu par toutes les générations, à tout moment.

Ce livre est sorti en 1981 et n'a été traduit qu'en 2015, et ce grâce aux nombreuses femmes en francophonie qui s'élèvent pour rétablir les choses que nous devons savoir et comprendre en tant que femmes de toutes origines.

Je tiens particulièrement à souligner l'excellent travail de Amandine Gay qui a préfacé le livre. En la lisant j'ai vraiment compris quelle était la définition de préface. C'est ouf ! Elle a tellement bien replacé la lecture de ce livre dans notre contexte d'afro-descendante évoluant en francophonie.
Une ex-ce-llente préface !

Je ne m'y attendais pas, mais ce livre contient des passages difficiles à lire. À certains moments je devais faire des pauses telles des minutes de silence tellement que la souffrance subie par la femme noire reste inouïe...

Bell Hooks nous donne des excercices simples mais qui corrigent notre pensée à jamais. Elle place certains textes ou faits où on ne voit pas forcément le sexisme ou/et le racisme, puis prend le même passage et le corrige...là tu te dis : mince comment ai-je pu rater cette insulte faite envers les femmes noires ?

Elle n'épargne personne, hommes blancs, femmes blanches, Martin Luther King, Malcolm X etc. Elle t'ouvre les yeux sur toutes les oppressions subies et les erreurs commises également par les femmes noires en acceptant certains faits ou discours et qui nous ont encore plus enfoncées.

Ce livre est non seulement une analyse simple claire et nette ! Mais aussi une critique sévère et salée envers le patriarcat et le féminisme des femmes blanches. J'aime le ton et l'audace de Bell Hooks, de la dynamite.

Ce livre m'a donné envie de relire Un féminisme décolonial de Françoise Vergès. Je pense que mon esprit en saisira encore mieux la portée.

Ne suis-je pas une femme, un MUST READ puissance 1000.
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Ne suis-je pas une femme ? 1981 (traduction : 2015)

Cet ouvrage a été publié dans la collection sorcières chez Cambourakis. C'est dans cette même collection qu'avait été publié Sorcières, sages-femmes et infirmières dont je vous parlais dans l'article "lectures féministes 2018".

"Ne suis-je pas une femme ?" est le premier essai que je lis en écriture inclusive et je n'ai eu aucune difficulté à le lire.

Voici comment il est présenté en 4ème de couverture :

« Ne suis-je pas une femme ? », telle est la question que Sojourner Truth, ancienne esclave, lança en 1851 lors d'un discours célèbre, interpellant féministes et abolitionnistes, sur les diverses oppressions subies par les femmes noires : oppressions subies par les femmes noires : oppressions de classes, de race, de sexe,. Héritière de ce geste, bell hooks décrit dans ce livre paru en 1981 aux Etats-Unis les processus de marginalisation des femmes noires. Elle livre une critique sans concession des féminismes blancs, des mouvements noirs de libération, et de leur difficulté à prendre en compte les oppressions croisées.

Un livre majeur du « Black Feminism », un outil nécessaire pour tou-te-s à l'heure où, en France une nouvelle génération d'Afroféministes prend la parole. »

Bell hooks est une auteure et activiste féministe contemporaine . Elle enseigne l'anglais, l'histoire afro-américaine et les études féministes dans différentes universités.

Je vais ici aborder la préface et vous présenter un extrait de l'ouvrage.

Dans la préface, Amandine Gay parle de l'importance de la recherche afro féministe états-unienne et des scissions qu'il y a pu avoir chez les féministes françaises entre les afro féministes et les autres. A. Gay est auteure et réalisatrice française. Elle a notamment réalisé « Ouvrir la voix » un documentaire sur les afro-descendantes en France et Belgique.

Voici d' autres ouvrages majeurs de blackfeminism des années 80 évoqués en préface :

Angela Davis : Women, race and class, 1981

Patricia Bell-Scott, Gloria T Hull et Barbara Smith : All the women are white, all the blacks are men, but some of us are brave : black women's studies, 1982

Audre Lorde : Sister outsider : essays and speeches, 1984Des afro féministes françaises ont pourtant marqué les années 70 mais ne sont malheureusement pas assez connues. Ces dernières années, l'afro-feminisme français s'est développé sur les réseaux sociaux. Elle cite de nombreux sites dont : https://mrsroots.wordpress.com/ et http://manychroniques.blogspot.com/.

Amandine Gay parle de son expérience personnelle, des impressions qu'elle a ressenties en lisant cet ouvrage et a quel point elle a pu s'y identifier. Elle évoque aussi le racisme vécu lorsqu'elle intègre Sciences Po et pourquoi elle a quitté Osez le féminisme.

D'après Amandine Gay, Bell hooks avait vraiment la volonté d'être la plus accessibles pour toutes, comme si sa mère était son « auditoire idéal ». Cela se ressent vraiment dans son écrit et c'est ce qui m'a énormément plu !

Cet ouvrage m'a vraiment marqué. Des passages sont, certes, difficiles à lire (notamment sur la condition des esclaves noires dans les bateaux qui allaient vers les Etats-Unis) mais très puissants. Elle témoigne des représentations et des attendus sur les femmes noires etats-uniennes.
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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critiques presse (1)
Telerama
15 mai 2023
bell hooks n’aura de cesse de mettre en lumière l’effacement, l’étouffement d’une identité féminine noire aux États-Unis – « aucun autre groupe n’a eu à se construire à travers une identité non existante, comme ce fut le cas pour les femmes noires ».
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
Apprendre l'autodéfense aux femmes afin qu'elles puissent se défendre contre les violeurs n'est pas la même chose que de changer la société afin que les hommes ne violent plus. Créer des foyers pour femmes battues ne change pas la mentalité des hommes qui les battent, ni la culture qui promeut et cautionne leur violence. Attaquer l'hétérosexualité ne renforce pas l'image de soi des femmes qui désirent être avec des hommes. Condamner le travail domestique comme étant ingrat ne rend pas à la ménagère la fierté et la dignité au travail dont elle est privée par la dévalorisation patriarcale. Exiger la fin du sexisme institutionnalisé ne garantit pas la fin de l'oppression sexiste.
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Il est évident que de nombreuses femmes, et plus particulièrement ces femmes blanches qui ont été à l'avant-garde du mou-vement, se sont approprié le féminisme pour servir leurs buts personnels, mais plutôt que de me résigner à cette appropriation, je choisis de me réapproprier le terme « féminisme », pour insister sur le fait qu'être « féministe » dans un sens authentique, c'est vouloir la libération des rôles sexistes, de la domination et de l'oppression pour toutes les personnes, femmes et hommes.
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Si la femme blanche s’était battue pour changer le sort de la femme noir esclave, c’est sa propre position sociale dans la hiérarchie sexe-race qui aurait été mise en péril.
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On ne peut parler de droits des femmes sans inclure toutes les femmes; lorsqu'une seule femme est privée de ses droits, ce sont toutes les femmes qui sont niées.
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Anne Scott résume l'image idéalisée de la femme du XIXéme siècle dans le passage suivant:
Cette création merveilleuse était comme une épouse soumise dont la raison d'être consistait à aimer, honorer, obéir et occasionnellement distraire son mari, élever les enfants et s'occuper de la maison de ce dernier. Faible physiquement, et créée pour des occupations moins ardues, elle était dépendante de la protection des hommes. Pour s'assurer cette protection, elle était dotée de la capacité à créer un envoutement magique autour de n'importe quel homme de son entourage. Elle était timide et modeste, belle et gracieuse, l'être de la création le plus fascinant (...), une joie et un enchantement dans tous les cercles dans lesquels elle évoluait.
Une part de son charme reposait sur son innocence,.... Elle avait une perception fine des relations humaines, et était une créature douée de tact, de discernement et de compassion. Il était dans sa nature d'être dans l'abnégation et de ne pas penser à elle, et elle ne pouvait que souffrir en silence, une caractéristique qui lui permettait de se faire aimer des hommes. Moins attachantes, mais non moins naturelles étaient sa piété et sa tendance à restreindre les vices naturels et les immoralités des hommes. Elle a été éduquée à soutenir tout projet refrénant les passions et renforçant la vraie moralité.
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Vidéo de bell hooks
bell hooks: Cultural Criticism & Transformation.
bell hooks is one of America's most accessible public intellectuals. In this two-part video, extensively illustrated with many of the images under analysis, she makes a compelling argument for the transformative power of cultural criticism.
In Part One, hooks discusses the theoretical foundations and positions that inform her work (such as the motives behind representations, as well as their power in social and cultural life). hooks also explains why she insists on using the phrase "white supremacist capitalist patriarchy" to describe the interlocking systems of domination that define our reality.
In Part Two, she domonstrates the value of cultural studies in concrete analysis through such subjects as the OJ Simpson case, Madonna, Spike Lee, and Gangsta rap. The aim of cultural analysis, she argues, should be the production of enlightened witnesses - audiences who engaged with the representations of cultural life knowledgeably and vigilantly.
"The issue is not freeing ourselves from representations. It's really about being enlightened witnesses when we watch representations." -bell hooks
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Les emmerdeuses de la littérature

Les femmes écrivains ont souvent rencontré l'hostilité de leurs confrères. Mais il y a une exception parmi eux, un homme qui les a défendues, lequel?

Houellebecq
Flaubert
Edmond de Goncourt
Maupassant
Eric Zemmour

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561 lecteurs ont répondu
Thèmes : écriture , féminisme , luttes politiquesCréer un quiz sur ce livre

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